01 août 2018

Pose - Ryan Murphy


Il a créé ou co-créé Popular, Nip/Tuck, Glee, American Horror Story, The New Normal, Scream Queens, Feud, 9-1-1. A réalisé Courir avec des ciseaux, Mange, prie, aime, The Normal Heart, en plus d'être derrière des succès comme American Crime Story. Ryan Murphy est donc devenu incontournable.

Et il le rappelle avec sa nouvelle série, Pose, co-créée avec son compère Brad Falchuk et également Steven Canals. Une série extraordinaire, qui ne ressemble à aucune autre puisqu'elle est portée par un casting d'acteurs et actrices majoritairement transgenres.

STRIKE A POSE

La Pose, c'est celles des hommes et femmes au coeur de l'histoire, obligés de prendre des postures à la fois dans le monde "normal", parmi les gens "normaux", mais également dans leur univers parallèle, où les paillettes masquent le temps de quelques soirées l'horreur de la réalité des années 80. 

Pose se déroule dans le New York de 1987. Celui où Wall Street rayonne comme un miroir aux alouettes, refaçonne l'Amérique de Ronald Reagan et Donald Trump, tandis que l'épidémie de SIDA enflamme les communautés LGBT. Alors que les traders et business men se saoulent dans l'argent et l'électroménager, les marginaux ont leur propre terrain de liberté et fantasmes. Ce sont des rendez-vous sous forme de shows, où des maisons dirigées par des Mothers s'affrontent lors de défilés thématiques. Où plus rien d'autre n'existe alors que la victoire, la reconnaissance, la beauté et la démesure.

 

STRANGER THINGS

Que ceux qui voient encore là une de ces fameuses preuves de la dictature de la bienpensance, du vivre ensemble publicitaire et de l'horreur du politiquement correct respirent bien profondément : si Pose est la première série avec des premiers rôles interprétés par des acteurs transgenres, c'est bien que ces artistes ont peu, voire pas l'occasion d'exister.

La récente polémique sur le casting de Scarlett Johansson pour incarner Tex Gill dans Rub & Tug l'a encore illustré, même si le message a été tordu - il n'a jamais été question d'interdire à un acteur non transgenre d'en interpréter un. Au contraire, il s'agit de décloisonner l'industrie et permettre à tous les acteurs d'accéder, même de loin, aux rôles, et ce peu importe leur genre.

Pose a donc par nature une valeur incroyable. Laverne Cox dans Orange is the New Black puis Doubt, Jamie Clayton dans Sense8, Elliot Fletcher dans Shameless, ou encore Trace Lysette dans Transparent ont attiré l'attention ces dernières années, et marqué les esprits, mais la série FX est une date à bien des égards. C'est la première fois qu'une grosse série est portée par un casting transgenre si important, et en coulisses il y a la même cohérence. Une centaine de personnes, devant et derrière la caméra. Une centaine de plus que la plupart des projets.


Pose est parti d'un scénario de Steven Canals, qui est parvenu jusqu'à Ryan Murphy en 2016. Emporté par cette histoire d'un apprenti danseur rejeté par ses parents et recueilli par une femme transgenre, il lance la série avec son collaborateur Brad Falchuk, et fait de Canals le co-créateur du show. Le producteur-star n'a pas juste envie de participer à une série avec un casting transgenre talentueux : il veut offrir un miroir à tous ceux qui n'ont aucun modèle dans la pop-culture, et que lui-même n'a pas eu plus jeune. Il veut offrir la possibilité à toutes ces personnes d'avoir une voix qui résonne, et de pouvoir apporter leur regard, sur leur histoire. Il reversera d'ailleurs son salaire à des organisations et associations qui aident cette communauté.

Et à ceux qui accuseraient Pose d'être sectaire : Evan Peters (une muse de Murphy, présent dans chaque saison d'American Horror Story), Kate Mara (au casting de la première saison de l'anthologie d'horreur) ou encore James Van Der Beek sont eux aussi omniprésents. Les deux premiers ont des scènes parmi les plus belles et fortes de la série, tandis que l'ex-Dawson se délecte d'un rôle de salopard.


DE L'AUTRE CÔTÉ DU MIROIR

Ce qui fonctionne parfaitement dans Pose, c'est l'équilibre entre le familier et le nouveau. Car la série marche dans des sentiers battus, avec des intrigues et personnages clairs et stéréotypés. L'adolescent gay renié par sa famille et qui rêve de devenir danseur, la prostituée transgenre qui tombe amoureuse d'un apprenti golden boy hétéro et marié, la compétition entre les deux "mothers" aussi ennemies qu'intimes, la petite vengeance du patron dépassé par son poulain, le choc frontal du SIDA : les enjeux de la saison 1 sont maîtrisés, à défaut d'être très neufs.

Mais c'est grâce à ce cadre dramaturgique simple et efficace que Pose peut tendre la main vers le public, et l'inviter à pénétrer dans un univers probablement inconnu pour beaucoup. Un univers longtemps secret et opaque, rejeté et ignoré, craint et moqué, mais qui a été depuis adopté par tout un pan de la pop-culture, bien au-delà de la communauté LGBT - voir le succès phénoménal de RuPaul Drag Race, disponible sur Netflix jusqu'en France.


BALLROOM DANCING

L'autre grand attrait de Pose vient de ces scènes de "balls" irrésistibles, bouffées d'airs pour les personnages et pulsations presque épiques pour la saison. Souvent légers, parfois graves, ces moments de paillettes, de musique, d'affrontements et d'egos sur-dimensionnés, sont des moments grandioses, qui font tout le sel de la série.

"C'est un rassemblement de gens qui ne sont les bienvenus nulle part ailleurs, c'est la célébration d'une vie qui ne le mérite pas pour le reste du monde", explique Blanca. Et c'est dans cette antre insoupçonnée que toute la folie, la démesure, la beauté, l'extravagance et la pulsion de vie absolue, s'exposent sous les cris, les applaudissements, les huées. 

Ailleurs, la vie est une lutte permanente, mais le plus souvent subie - pour payer son loyer, pour échapper aux fléaux qui ravagent la communauté, pour simplement aller boire un verre et exister. Mais dans cette grande salle, la lutte est assumée, embrassée, et utilisée comme un carburant pour vivre plus fort que jamais.

 

Et pour donner vie à ce théâtre incroyable, Pose se repose sur des interprètes fantastiques, aussi talentueux et étourdissants sous les boules à facettes que dans les appartements lugubres. Il y a d'abord Dominique Jackson, parfaite et divine en queen insatiable, insupportable et imbue d'elle-même, qui se pavane avec un plaisir manifeste. Drôle, cruelle, elle se révèle dans la dernière ligne droite de la saison, et offre quelques-uns des moments les plus déchirants. Et la fin de saison n'en manque pas.

Il y aussi Indya Moore, excellente et magnétique, et certainement le plus mélancolique des visages de la série derrière ses allures de grande poupée. Et si Ryan Jamaal Swain, Billy Porter, Charlayne Woodard, Evan Peters et Kate Mara sont tous fantastiques, même ceux qui n'ont qu'une poignée de scènes, toute la série se repose vite sur Mj Rodriguez, alias Blanca. Féroce, forte, maladroite, déterminée, elle porte l'histoire sur ses épaules. Et Pose peut se vanter d'avoir réuni un fabuleux casting, d'une cohérence et d'une diversité(des visages, des énergies, des couleurs, des voix) enivrantes. 

La série a beau parfois tomber dans les facilités (le cadeau de Noël à Angel), elle offre de nombreux moments absolument magnifiques, que ce soit dans les grands effets dramatiques, ou par de petites touches plus subtiles ("Si vous voulez savoir qui je suis, c'est pas là que vous devez regarder"). Indya Moore a résumé la série comme "une histoire de famille, pour des gens que certains pensent être incapables d'en avoir", et c'est une phrase aussi belle que triste, qui pourrait servir de motif à Pose - à l'écran, mais également en coulisses.


EN BREF

Alors que Ryan Murphy s'envole pour Netflix avec un contrat incroyable (300 millions de dollars, cinq ans, et des séries et des films), qui va logiquement l'éloigner un peu de FX qui était sa maison depuis des années, Pose fait figure d'adieux spectaculaires. Le producteur superstar restera officiellement impliqué sur American Horror Story, Feud, et autres, mais sera bien occupé ailleurs.

Mais c'est aussi l'histoire de Pose : celle de Murphy qui, en reconnaissant qu'il pouvait "faire plus", a mis son pouvoir au profit de ceux qui n'en avaient pas et en avaient tellement besoin pour exister. Cette série, c'est leur série. C'est pour cette raison que Steven Canals en est le co-créateur. C'est pour cette raison que Janet Mock, première femme transgenre noire à rejoindre une équipe de scénariste sur une série, a eu l'opportunité de devenir productrice, puis réalisatrice d'un épisode de la saison.

Pose, avec ses qualités (éclatantes) et ses défauts (mineurs), relancera de nombreux débats, et sa valeur sera sûrement tordue ou détournée par certains. Mais peu importe : elle est là, elle existe. Et elle le sera encore, puisqu'une saison 2 a été commandée.

27 juillet 2018

Hôtel Artémis - Drew Pearce


HÔTEL CALIFORNIA 

Impossible de ne pas penser à l'hôtel Continental de John Wick face à l'hôtel Artemis. Logé dans les ruelles mal famées d'un Los Angeles aussi futuriste que lugubre, l'établissement cache un étage ultra-sécurisé, réservé aux membres très exclusifs d'un club composé de criminels de premier ordre, lesquels peuvent venir être soignés grâce à une technologie de pointe. Avec des règles claires : interdiction de se battre, de tuer ou de porter des armes, au risque d'être exclu.

Peu ou prou le code de conduite des assassins dans John Wick et John Wick 2, et l'une des facettes les plus amusantes des films avec Keanu Reeves. Co-scénariste d'Iron Man 3 également passé sur la saga Mission : Impossible, Drew Pearce signe ici son premier film, épaulé par un casting en or. Autour de Jodie Foster, de retour en actrice après Elysium et 5 ans d'absence, il y a Dave Bautista, Sofia Boutella, Sterling K. Brown, Charlie Day, Jeff Goldblum ou encore Zachary Quinto, rassemblés pour donner vie à une galerie de personnages décalés, réunis dans cet hôtel pas comme les autres pour quelques heures de chaos sanglant et sans fin.


NO FIGHT CLUB 

Attention à ne pas attendre de ce Hotel Artemis un film d'action survitaminé à la John Wick ou à la Atomic Blonde, où tout tourne autour de scènes de castagne dures et extrêmes, et d'une caméra qui s'attarde sur la brutalité des cascades. Ici, la baston compte moins que la tension, et le chaos est plus diffus. Il sera moins question d'en mettre plein les yeux dans un grand mouvement cartoonesque ou ultra-violent, que de plonger le spectateur dans un futur bizarroïde et rétro-futuriste.

En arrière-plan, tandis que se prépare l'apocalypse entre les murs tapissés de moquette de l'Artemis, Los Angeles est remuée par de violentes émeutes suite à un soulèvement du peuple face aux puissants. La violence gronde en fond et se rapproche, alors que se mettent peu à peu en place les pièces et pions du jeu de massacre. Entre les secrets des uns, les obsessions des autres et les missions à assurer, la partie est tendue.


Parce qu'il a d'autres ambitions et n'en a pas les moyens de toute façon (Hotel Artemis a coûté 15 millions, deux fois moins que le premier John Wick ou Atomic Blonde), Drew Pearce ne se concentre donc pas sur l'action et ne cherche pas à rivaliser avec les concurrents sur ce terrain. Ce sera une source de frustration pour ceux qui attendait une sorte de Shoot' Em Up ou The Raid, mais une agréable petite surprise pour ceux qui se laisseront embarquer dans cette aventure qui ne ressemble à à peu près rien.

ART DECONNE

Hotel Artemis amuse d'emblée par son atmosphère et son univers. L'hôtel rétro-futuriste semble tout droit sorti d'une histoire à la Agatha Christie, avec ses moquettes, ses vieilles lampes, ses tapisseries ridicules et ses lumières basses. Le film s'amuse avec les stéréotypes, de la femme fatale (Sofia Boutella et sa robe rouge absurde) au costard cravate (Sterling K. Brown) en passant par la vieille dame ronchonne (Jodie Foster, grimée en mamie asséchée). Il les brise d'autant mieux qu'au-delà de jouer bien évidemment avec les clichés, il replace l'histoire dans un univers futuriste.


Les chambres poussiéreuses cachent des appareils médicaux incroyables, et les vieux placards, des serrures ultra-modernes. Ce grand écart entre les couloirs de grand-mère et les écrans du futur donnent un petit vertige à Artemis. A tous les niveaux, la direction artistique est séduisante, et chaque recoin de décor prend vie en quelques images. Qu'une porte s'ouvre avec une technologie moderne tandis qu'une autre s'active avec un bouton cachée comme dans le manoir de Cluedo, et cet hôtel prend des airs d'attraction amusante.

Hotel Artemis bénéficie aussi d'un casting qui rivalise de charisme, et tire le meilleur de rôles globalement peu creusés. Si l'infirmière incarnée par Jodie Foster souffre d'une grosse lourdeur en terme de ficelles dramatiques, et se révèle la moins intéressante, le film gagne une somme de petits instants tour à tour drôles et touchants grâce notamment à Sofia Boutella, Sterling K. Brown, Charlie Day et Dave Bautista. 


Avec en plus quelques saillies bien violentes, et une tendresse inattendue qui prend peu à peu sa place dans l'intrigue, Hotel Artemis est un film étrange, curieux, sorti de nulle part avec une foule d'envies et d'idées. La plupart ne sont pas exploitées autant qu'elles le mériteraient, l’atmosphère apocalyptique qui s'empare des rues et le parallèle avec le déséquilibre social des puissants membres du club reste trop esquissé, et le grand huit espéré retombe finalement bien vite dans le climax. Mais au-delà de ces défauts et ratés, le premier film de Drew Pearce tente quelque chose de très amusant et excitant, qui étonne et charme. Et qui mérite un petit coup d'œil pour tout amateur du genre.

EN BREF

Sans aller jusqu'au bout de ses idées, et vraiment exploiter son univers et ses personnages, Hotel Artemis se révèle bien plus amusant, excitant et décalé que bon nombre de films du genre.

10 juillet 2018

Retour vers le Futur - Robert Zemeckis


Derrière son énergie tonitruante et ses allures de comédie teenager matinée de science-fiction, Retour vers le futur se révèle être une démonstration implacable de mise en scène et une géniale aventure qui sera source d'inspiration pour beaucoup mais que très rarement égalé... voire jamais !

Adulé instantanément et dépassant très vite le titre de film générationnel pour s'inscrire dans les méandres de la culture pop, Retour vers le futur ouvrira littéralement les portes de la gloire à son réalisateur Robert Zemeckis et à sa vedette Micheal J. Fox. Car si les deux naviguaient déjà dans les eaux hollywoodiennes depuis quelques temps, leur collaboration restera à jamais dans les annales au risque même de laisser une sacrée ombre sur leur carrière respective. Mais les deux tireront profits de l'expérience, l'un s'imposant comme un metteur en scène consciencieux, le second comme l'une des figures mythiques des années 80. Une consécration évidente aujourd'hui mais pourtant pas assurée à l'époque: la conception du film connaîtra moult embûches ! Explications.


Lorsque le script de Retour vers le Futur fait son entrée dans les divers bureaux de production, les choses ne sont pas gagnées : loin de là ! Robert Zemeckis, à cette époque, n'a pas encore la réputation de grand réalisateur qu'on lui connait : papa d'une poignée de courts-métrages qu'il a mis en scène à l'université et qui lui a valu un award étudiant (pour Field of Honnor), il s'est vaguement fait remarqué avec ses deux premiers longs-métrages (Crazy Day en 78 et La grosse magouille avec Kurt Russell plus tard) mais est surtout connu pour avoir pondu, avec son compère de toujours Bob Gale, l'histoire du démentiel 1941 de Steven Spielberg. D'ailleurs c'est cette rencontre qui va lui mettre le pied à l'étrier et ce même s'il fréquente le même groupe d'amis composé de George Lucas, John Milius ou encore Brian De Palma. Car depuis quelques temps le duo ne parvient pas vraiment à percer: le scénario qu'ils ont rédigé se fait refouler pour diverses raisons. Inspiré par un délire de Gale (il tente de s'imaginer ami avec son père lorsque celui-ci était adolescent), Retour vers le futur connait tout d'abord un refus catégorique des studios Disney : le fait que le jeune héros, Marty, connaisse une romance avec sa mère trouble véritablement les dirigeants. Retravaillant pour rendre ce rebondissement narratif anecdotique, ils proposent alors une version édulcorée mais essuient un nouvel échec. Pire encore, les autres studios trouvent la trame niaise et peu courageuse comparée à l'humour provocant des teen-movies du moment !


Ils sont alors pris en charge par Spielberg, déjà producteur de La grosse magouille, et qui tente d'établir son nom comme marque de fabrique : il accepte que l‘on vende le projet sur son nom et Retour vers le futur est enfin accepté par la Universal qui émet tout de même quelques réserves : d'une part, le script devra être remanié pour des raisons budgétaires. Ensuite, la réalisation sera confiée à une tierce personne. Contraint d'accepter les conditions et désireux de se faire légitimement accepter aux manettes, le duo réécrit tentant d'aller à l'essentiel en s'affranchissant des réelles difficultés. A commencer par la machine à voyager dans le temps: initialement pensée telle un laser puis imaginée en frigo exposé à des radiations atomiques, ils évoquent enfin une simple voiture, la fameuse DeLorean, choisie pour sa plastique futuriste. Les problèmes étant réglés au fur et à mesure, il reste cependant la place de réalisateur à reconquérir: celle-ci est alors convoitée par Leonard Nimoy, mythique Spock, qui se verrait bien faire une pause entre la réalisation de deux volets de Star Trek. Heureusement, il prend du retard sur l'écriture du script de Star Trek IV : Retour sur Terre et il abandonne, la réalisation incombant à Zemeckis ! Surtout que celui-ci a, entre temps, accepté un film de commande passé par Michael Douglas : A la poursuite du diamant vert est un succès et Zemeckis est accueilli les bras ouverts !

Un réalisateur aux commandes, la production peut commencer. La construction des décors, éléments décisifs de la qualité du métrage, n'est pas un problème puisque Universal met à la disposition de la production ses plateaux extérieurs déjà en place : ainsi le tournage de la plupart des plans extérieurs se déroulera dans le même cadre que celui de Gremlins, autre production estampillée Spielberg. Reprenant fatalement l'ambiance très Capra du film de Dante, la petite ville de Zemeckis, Hill Valey, obtient tout de même une nouvelle Tour de l'horloge, mais totalement identique à celle présente dans Du Silence et des ombres de Robert Mulligan. A une exception près: le carillon a été remplacé par celui présent dans La machine à explorer le temps de George Pal. Quelques références assumées et glissées parmi tant d'autres, les clins d'œil étant légions : Monte là-dessus ! avec Harold Lloyd, Chitty Chitty Bang Bang, C'était demain, Star Wars, plusieurs Kubrick (2001, Orange Mécanique...), quelques uns avec Reagan (La reine de la prairie) ou même ses propres films (The lift)... Zemeckis tend discrètement quelques perches aux cinéphiles. Pour l'anecdote, Reagan lui-même sera tellement fan des allusions faites à sa personne qu'il s'offrira une copie du film et reprendra même la fameuse phrase « Là où on va, on n'a pas besoin de route ! » pour l'un de ses discours.


Avec un budget de 19 millions de dollars et le mentor Spielberg (entouré de sa clique composée de Frank Marshall et Kathleen Kennedy) veillant aux grains , Zemeckis est totalement libre: il impose Christopher Lloyd dans le rôle du Doc Brown alors qu'on lui préfère John Lithgow ou Jeff Goldblum, il fait apparaître ses connaissances dans le film (Deborah Harmon par exemple). Subsiste tout de même un problème de taille : Marty n'a pas d'interprète. Michael J. Fox, acteur adulé et spécialisé dans les feuilletons à minettes, ne peut se libérer pour le tournage : suite à son apparition dans le tendancieux Class 1984, son image s'est prise un coup et il est obligé de continuer son rôle récurrent dans la série Sacrée famille. Spielberg propose alors C. Thomas Howell avec qui il a déjà collaboré sur E.T, l'extra-terrestre et qui est de plus en plus populaire grâce à des films tels que Outsiders ou L'aube rouge. Peine perdue, Sheinberg, producteur, impose Eric Stoltz. Zemeckis entame le tournage avec celui-ci. Après près de cinq semaines, Stoltz est viré pour différents artistiques et on propose à nouveau à Fox : ce dernier accepte mais, sous contrat, il ne peut abandonner la série sur laquelle il est engagé. Aucun problème, Retour vers le futur sera tourné entre 16h00 et 4h00 du matin, l'acteur passant d'un plateau à l'autre et ne dormant que deux heures par nuit !

Un tournage de folie, le rythme étant pour le peu tendu : se rendant compte de l'impressionnante différence de taille entre Lloyd et Fox, Zemeckis doit abandonner une sous-intrigue pour mieux se consacrer à la mise en scène et plus précisément au travail sur la profondeur de champs, histoire de faire illusion. Au montage, il mise avant tout sur le rythme évinçant à nouveau quelques séquences et parvient à imposer les partitions de son compère Alan Silvestri : Spielberg, détestant les mélodies de celui-ci sur A la poursuite du diamant vert, finit par accepter en entendant l'orchestration de Retour vers le futur de manière anonyme. Reste tout de même Sheinberg qui persiste et qui, convaincu qu'un titre possédant le mot « futur » ne peut fonctionner au box-office, réclame que l'on rebaptise le métrage « L'homme de Pluton ». L'histoire ne lui donnera guère raison puisque le film engrangera plus de 350 millions de dollars à travers le monde le positionnant ainsi en première position devant des mastodontes comme Rocky IV, Rambo: la mission. Retour vers le futur met même la pâté aux autres productions de Spielberg qu'il les réalise (La couleur pourpre) ou pas (Les Goonies) ! Et Zemeckis dans tout ça ? Tandis que la Universal comptait les billets, il entrait à nouveau en production mais cette fois-ci à une nouvelle échelle : celle de Qui veut la peau de Roger Rabbit ?


Et que reste-t-il aujourd'hui de Retour vers le futur ? Si le film est devenu avec le temps un modèle du genre, c'est parce qu'il possède assurément quelques atouts non négligeables : forte de personnages hauts en couleurs, originaux, brillamment écrits et auxquels une pléiade d‘acteurs apporte une réelle fraîcheur (parmi lesquels Crispin Glover et Lea Thompson), l'intrigue s'affranchit du sensationnalisme qu'implique généralement le concept du voyage dans le temps pour se consacrer à l'émotion. Finalement, rien de plus impressionnant qu'une rencontre avec ses futurs géniteurs sur fond de carte postale nostalgique des années 50... Paradoxes temporels et aventure œdipienne, c'est à cela qu'est confronté Marty qui amène, par la même occasion, l'âme du rock'n roll dans une Amérique puritaine et rétrograde. Une exaltation et un dynamisme communicatif qui agit directement sur le spectateur.

EN BREF

Pur moment de bonheur, Retour vers le futur se révèle être avec le temps l'une de ces bandes immuables et toujours aussi jubilatoires. Vif, décomplexé, novateur, respectueux, le tour de force de Zemeckis s'impose certainement comme l'une des pépites du cinéma popcorn, une de celles que l'on revoit toujours avec autant de plaisir et ce une à deux fois par an ! Tout comme ses deux suites, toutes deux aussi frappées, et qui forment ainsi l'une des plus brillantes trilogies qui soient, nom de Zeus !

06 juillet 2018

American Nightmare 4 : Les origines - Gerard McMurray


Le premier volet de la franchise American Nightmare était une véritable purge mal agencée et mal exploitée. American Nightmare 2 explorait mieux le concept original sans impressionner, quand American Nightmare 3 : Election jouait habilement de l’idée de base pour instaurer un propos politique pertinent, malgré un scénario peu élaboré. Dans American Nightmare 4 : Les origines, James DeMonaco revient sur la première Purge, dans l'espoir de faire mieux. Verdict.

THE DEATH OF A NATION

American Nightmare 4 : Les origines (The First Purge en version originale) part d'un principe particulièrement passionnant et alléchant : comment la nuit cauchemardesque de crimes, de délits et de meurtres en tout genre, a été mise en place sur le territoire américain ? Ainsi, les premières minutes du long-métrage réalisé par Gerard McMurray - qui prend la relève d'un James DeMonaco uniquement scénariste ici - nous plongent quelques jours avant la première Purge, avant de se lancer dans le grand bain.

Dans un style proche du documentaire, s'enchaînent reportages télévisés, interviews des nouveaux Pères fondateurs et des experts sociaux, ou discours du Président des Etats-Unis, pour nous présenter le projet du gouvernement. Ainsi, avant de devenir un phénomène national, la Purge a été testée sur l'île de Staten Island, grandement défavorisée, pour analyser le comportement de la population américaine et la fiabilité du concept.




Evidemment, la présentation de cette première nuit infernale, où les citoyens cobayes qui acceptent de participer sont payés par la NFFA (parti des Nouveaux Pères Fondateurs de l'Amérique), était le moyen idéal de développer un propos politique piquant. American Nightmare 4 : Les origines tente ainsi de décrire les motivations politiques, la corruption ambiante et surtout de décortiquer la société américaine. Une nation cadenassée entre les extrêmistes conservateurs et les progressistes libertaires, entre nationalistes et mondialistes, entre racistes et cosmopolites...

Le précédent volet de la franchise mettait en avant une politicienne démocrate progressiste et un républicain fanatique (non sans rappeler Hillary Clinton et Ted Cruz à l'époque), s'affrontant à quelques mois des élections. La franchise, décidée à devenir un miroir de l'Amérique plus qu'une saga horrifique depuis Election, nous livre alors un quatrième film pastichant l'Amérique trumpienne.

Il dépeint un gouvernement qui surfe sur un populisme évident, s'octroie les faveurs des populations les plus démunies, en profite jusqu'à la moelle avant d'abandonner sur le bas-côté ces mêmes citoyens trompés.




MAKE AMERICA DIVIDED AGAIN

Sur le papier, American Nightmare 4 : Les origines avait donc des choses passionnantes à raconter et un sous-texte très riche à développer. Un postulat rapidement écarté, le film laissant tomber toutes portées sociales, politiques, économiques ou historiques au profit d'un faux-thriller dramatique sur fond de film d'action bourrin vide de sens.

Le long-métrage enchaîne alors les rencontres armées, les cache-cache faussement effrayants et les révélations passablement anodines. Pas avare en action, Gerard McMurray offre certes une ou deux scènes très bien exécutées (un combat en plan-séquence dans une cage d'escalier) et un final explosif largement inspiré de The Raid (la maestria en moins). Cependant, si la réalisation est plutôt bien tenue, aucune image ne marquera durablement la rétine.

Pire : le réalisateur n'arrivera jamais à créer une once de tension au milieu de ce ramassis de déflagration. Un désintérêt profond dû à une écriture des personnages au mieux ratée, au pire oubliée. Les protagonistes sont tous plus insignifiants les uns que les autres, quand ils ne sont pas tout simplement exaspérants (la voisine de la jeune héroïne) ou de simples ressorts scénaristiques à l'image de Skeletor, seul personnage un tant soit peu intrigant du film.




A côté de quelques visages connus comme Marisa Tomei (dont le rôle se révélera presque plus nul que celui de Channing Tatum dans Kingsman : Le Cercle d'or) et Melonie Diaz (qui apparaît 25 secondes), le film est porté par une troupe d'acteurs inconnus, menés par Lex Scott Davis et Y'lan Noel. Et en plus d'être desservis par l'écriture, leur casting dans le cadre d'un tel film socio-horrifique interroge.

En effet, loin de la diversité progressiste présentée par Blumhouse, le choix de comédiens afro-américains ressemble surtout à un opportunisme marketing à peine dissimulé, quelques mois après les succès retentissants de Get Out et Black Panther au box-office. Une décision qui rappelle finalement (et paradoxalement) les actions politiques du parti Républicain que veut dénoncer le film puisque ces héros répondent à des stéréotypes gênants sur la drogue, la violence ou l'humour et ne se sont jamais mis en valeur.

EN BREF

Les origines de la Purge avaient de quoi passionner et captiver à l'heure de l'Amérique de Trump. Malheureusement, le long-métrage délaisse rapidement son propos politique pour livrer un film d'action bourrin sans fond et particulièrement cliché.

29 juin 2018

Sicario : La Guerre des cartels - Stefano Sollima


En 2015, Sicario avec Emily Blunt, Josh Brolin et Benicio Del Toro devait durablement assoir l’éclatante réputation de Denis Villeneuve (Prisoners, Enemy, Blade Runner 2049). Si l’annonce d’une suite de ce thriller crépusculaire ne date pas d’hier, elle pouvait sembler un tantinet absurde, la tonalité du film laissant peu de place à l’installation d’une franchise, au sens où l’entend actuellement l’industrie hollywoodienne. Cette dernière est pourtant devenue réalité. Elle s'appelle Sicario : La Guerre des cartels, et c'est Stefano Sollima qui s'en est chargée.

ALL CARTELS ARE BASTARDS

Là où on pouvait redouter que ce Sicario : La Guerre des cartels échoue entre les mains d’un exécutant sans génie, tout en jouant très opportunément des relations plus que tendues entre les Etats-Unis de Donald Trump et les autorités mexicaines, c’est à une danse plus réjouissante et macabre que nous sommes conviés. Un écueil qu’aura justement évité l’embauche de Stefano Sollima, avec le retour de Taylor Sheridan au scénario.


Réalisateur des épisodes de Romanzo criminale, de Suburra et du trop méconnu A.C.A.B., le cinéaste est rompu à l’art de représenter les ravages de la violence, tout comme la cartographie d’une criminalité sous-terraine et toute-puissante. Quand Villeneuve faisait des cartels mexicain une pieuvre omniprésente, capable de surgir aussi bien dans un dîner du Nouveau Mexique, au cœur d’une villa luxueuse, dans les fondations d’un bâtiment anonyme ou en plein embouteillage, Sollima prend l’exact contre-pied de son prédécesseur.

Le Cartel est partout, et par conséquent nulle part. Sitôt nos soldats de fortune à ses trousses, c’est un nouveau chausse-trappe qui se referme sur eux pour les transformer en hachis parmentier. Alors que l’ultra-violence sature l’écran, souvent maculé de viscères et matière cérébrale, que des passeurs fous de la gâchette s’énervent ou que paniquent des flics corrompus, on découvre progressivement combien l’adversaire est puissant, insatiable, mais surtout insaisissable.

"Avoir un bon copain."

FRONT TIERS

Ce principe permet au metteur en scène de dérouler un discours politique limpide mais terrible, en forme de réquisitoire contre les politiques occidentales de lutte contre le terrorisme. Car dans Sicario : La Guerre des cartels, une série d’attentats imputés rapidement aux passeurs dépendant des Cartels mexicain pousse les autorités américaines à les assimiler aux organisations terroristes « classiques », afin de leur déclarer la guerre.

Dès lors, le métrage peut interroger la propension des Etats-Unis (mais pas seulement) à exploiter ses propres tragédies pour s'en prendre à l’ennemi du moment, répandant un chaos qui ne pourra être endigué que par un surplus de brutalité extrême. Le monde que décrit Sollima (le nôtre) est celui du flou permanent, de l’affaiblissement des frontières, de la balkanisation totale et irrémédiable de tous les combats, de toutes les valeurs, par ceux-là mêmes qui prétendent les sacraliser.


Pour ce faire, le réalisateur use de toute son expérience de chorégraphe balistique. Explosions, ballet de fusillades, opérations clandestines, vendettas urbaines : tout y passe, avec une maestria technique qui sidère le plus souvent. Alternant hyper-réalisme et découpage iconique, connectés par un montage étouffant, l’image impulse au spectateur le pouls délirant d’une intrigue d’une rare cruauté.

BENICIO DEL MUERTO

Pour arriver à ce résultat, Stefano Sollima choisit de s’éloigner de Denis Villeneuve en matière d’écriture des personnages. L'épisode précédent faisait de ses porte-flingues de quasi-monolythes et usait de ses protagonistes comme autant d’effets de manche, jusqu’à s’en désintéresser presque totalement lors de son ultime tiers. Ils sont ici le moteur d’un récit où l’humain reprend progressivement sa place.

BOOM !

Sauf qu’ici, la montée en puissance de l’humanité au cœur du déroulé narratif n’est pas synonyme de chaleur, sinon celle des canons rougis appuyés sur les tempes de quidams innocents par Josh Brolin et Benicio Del Toro. Tous deux forment un duo létal irrésistible, l’alliance d’intérêts divergents, mais réunis par une soif de chaos inextinguible. Ils incarnent brillamment la folie d’une guerre motivée uniquement par sa propre perpétuation.

Au sein de ce tableau fumant, saturé d’idées de mise en scène, on regrettera une poignée de choix narratifs et twists dans le dernier acte, pensés pour amener un peu de surprise au sein d’une histoire dépressive, ou tout simplement motiver le public à retrouver ses anti-héros pour un troisième volet déjà évoqué. Ainsi, quelques tentatives d'adoucir les personnages sonnent étrangement faux, quand ils se mettent soudain à opérer des choix à la limite de l'absurde. Ces anicroches ne sont pas suffisantes pour altérer le plaisir pris devant le film, mais lui interdisent d’échapper complètement à sa nature de suite destinée à laisser le spectateur sur sa faim, plutôt que repus.

Ne jamais énerver un automobiliste mexicain.

EN BREF

Réquisitoire contre une guerre motivée seulement par sa propre continuation, ce nouveau Sicario est plus agressif et tétanisant que jamais, en dépit de certaines facilités d'écriture.

03 juin 2018

13 novembre : Fluctuat Nec Mergitur - Jules et Gédéon Naudet


VENDREDI NOIR

Alors que notre gouvernement actuel profite de l'acte héroïque d'un migrant pour l'ériger en super-héros du quotidien et ainsi se donner bonne conscience par rapport à toutes les lois liberticides et anti-migrants qu'il promulgue à côté, il est rassurant de voir que 13 novembre : Fluctuat Nec Mergitur, de Jules et Gédéon Naudet, n'emprunte pas le même chemin et en évite tous les pièges.

A la glorification idéologique, le documentaire préfère le témoignage direct de ceux qui ont vécu cette terrible nuit. Sans fards, sans paillettes, juste des hommes et des femmes, filmés entre lumière et obscurité, qui racontent leur nuit d'horreur avec la plus grande sincérité. Découpé en 3 parties, 13 novembre : Fluctuat Nec Mergitur nous propose donc de suivre le trajet sanglant des divers commandos armés qui ont semé la terreur à Paris et en Seine-Saint-Denis en quelques minutes, avec évidemment comme point d'orgue le massacre au Bataclan.


Dans une construction finalement assez classique (Episode 1 : le Stade de France et les cafés; Episode 2 : le Bataclan et Episode 3 : l'assaut de la BRI), le documentaire prend aux tripes dès le départ. On craint d'ailleurs, au début, qu'il n'emprunte la voie facile de l'émotionnel pur, d'un schéma narratif hollywoodien avec les bons d'un côté et les méchants de l'autre, mais il se permet très rapidement d'exploser ce cadre purement introductif pour nous mettre face à une poignée de survivants tout autant qu'à des figures politiques majeures telles que François Hollande, Anne Hidalgo ou encore Bernard Cazeneuve. Il est d'ailleurs intéressant de constater, au fil du récit, la manière dont les politiques, tout empreints de leur posture officielle et étatique, se délitent progressivement, sortent de leur personnage pour enfin laisser voir l'humain qu'ils sont face à cette horreur.


OMBRES ET LUMIERES

Et il est bien question d'horreur dans 13 novembre : Fluctuat Nec Mergitur. Les réalisateurs n'hésitent pas à compiler les images d'archives inédites, les témoignages crus, les appels aux services de secours, pour bien nous montrer le chaos qui était le nôtre il n'y a même pas trois ans. De ce fait, il convient de vous prévenir que le documentaire comporte un certain nombre d'images particulièrement intenses, fortes et choquantes. Bien sûr, nous ne voyons pas le massacre en lui-même, nous n'en voyons que les conséquences. Mais, nous l'entendons, à certains moments. Nous entendons l'assaut de la BRI, nous entendons les explosions des kamikazes, les rafales de kalachnikov, les cris, les pleurs, la peur. Nous sommes plongés au coeur de l'horreur. 

Et nous assistons à un spectacle incroyable. Cette succession de témoignages de personnes, dont on a l'impression de déjà connaitre le visage, qui racontent simplement ce qu'ils ont vécu, comment ils l'ont vécu et comment ils s'en sont sortis. Pas d'acte héroïque ici, chacun reconnait ses failles, sa surprise, ses faiblesses et nous arrivons à plusieurs moments qui mettent en lumière l'absurdité totale de la situation. On rit tout autant que l'on pleure, et généralement en même temps.


Alors que nous avons généralement énormément de mal à assumer notre propre histoire national, à nous regarder tels que nous sommes, 13 novembre : Fluctuat Nec Mergitur, réussit un tour de force assez impressionnant. Il n'est pas question ici d'analyse ou d'enquête, il n'est pas question de savoir pourquoi cela s'est produit, mais bel et bien de comprendre comment cela s'est passé. A ce titre, le documentaire, très clair et explicatif quant au déroulé des évènements (sans jamais être scolaire) ne dévoile son véritable visage que dans ses détails. Un positionnement que l'on pourrait qualifier de politique et philosophique lorsqu'il laisse le soin à ces intervenants de parler pour lui. Un moment en particulier nous revient en mémoire : alors que les médias ont tôt fait de qualifier les terroristes comme des monstres inhumains, le fait de voir une victime parler d'eux en utilisant leurs prénoms, nous rappelle qu'ils étaient avant tout des êtres humains comme nous. Ça n'a l'air de rien, mais c'est capital et cela illustre bien la volonté du documentaire : rester au niveau de l'humain, ne pas diaboliser, ne pas glorifier, ne pas juger. Ce qui ne veut pas dire non plus excuser.

Et tout au long de ces trois épisodes, le documentaire nous met face à nos propres contradictions, à nos propres questionnements. Comment aurions-nous réagi dans de telles circonstances ? Impossible de le savoir. Au détour d'un plan flouté où l'on croit reconnaître le corps d'un pote tombé en terrasse, on comprend la véritable nature de ce qui se passe sous nos yeux.


Jules et Gédéon Naudet n'ont pas réalisé une enquête, ils n'ont pas non plus réalisé un documentaire, ils nous invitent à une séance de thérapie collective. Un acte psychomagique, pour que le traumatisme ne se transforme pas davantage en la névrose qu'il est en train de devenir à un niveau national. Une manière intelligente et subtile de donner corps au drame pour tous ceux qui ne l'ont pas vécu, pour arrêter la machine à fantasmes morbide qui nous gangrène depuis, pour pouvoir se raccrocher à un petit morceau de réalité afin de ne pas sombrer davantage dans nos ténèbres et nos peurs.


TÉMOIGNAGES

Cela n'enlève en rien l'horreur du drame, la réalité terroriste qui nous entoure et avec laquelle nous devons apprendre à vivre, mais au moins, en vivant symboliquement ces attentats, en compagnie de ceux qui y étaient, cela nous permet de l'inscrire dans notre réalité, dans notre quotidien. On se demande au final pourquoi un tel documentaire a été fait et pourquoi de cette manière. Pour que les victimes rescapées parlent enfin, puissent sortir ça d'elles ? Pour nous, en priorité ? Afin de savoir comment ça s'est passé ? Pour que nous guérissions de nos propres constructions mentales ? C'est peut-être un peu pour tout ça en fait. Pour crever un abcès national, enlever le pus et permettre à la blessure de cicatriser pour enfin entrer en guérison. Cela ne veut pas dire que l'on va oublier, que l'on va pardonner et que tout ira bien maintenant. Au contraire. Cela veut surtout dire qu'il est à présent temps d'assumer, d'accepter, de digérer le drame pour à nouveau avancer tous ensemble.

On ressort de ces presque trois heures bouleversé, K.O., triste et heureux en même temps. Si l'on peut ne pas accrocher à la morale finale ("L'amour gagnera toujours"), nous n'avons pas le droit de la remettre en question. Parce qu'elle vient de la bouche d'une rescapée, parce que c'est sa vérité, parce que c'est ainsi qu'elle s'en sort. Et parce que c'est à chacun de choisir ce qui lui permet de tenir le coup. Et effectivement, il y a énormément d'amour qui se dégage de ce documentaire. 13 novembre : Fluctuat Nec Mergitur évite avec brio le piège du spectacle bêtement émotionnel. Même si certains responsables politiques, dans le documentaire, semblent aller tout droit sur ce terrain, les réalisateurs désamorcent constamment leurs tentatives.


A une époque où nous vivons la division de l'intérieur, où nous nous retournons les uns contre les autres sans comprendre que cela fait partie d'un système politique et économique à but purement lucratif, cette bouffée d'humanité et de fraternité est indispensable. Elle rallume des lumières que beaucoup souhaitent éteindre de manière pro-active actuellement. A l'issue du documentaire, nous n'avons qu'une seule envie : sortir, dehors, voir les autres, parler aux autres, les toucher, savoir qui ils sont, savoir comment ils vivent et comment ils vont. 

26 mai 2018

Fahrenheit 451 - Ramin Bahrani


Annoncée il y a quelques mois, cette nouvelle version du livre de Ray Bradbury, Fahrenheit 451, avec Michael Shannon, Michael B. Jordan et Sofia Boutella, produite et diffusée par HBO (OCS en France) avait surpris son petit monde. Elle avait aussi inquiété pas mal de gens au passage, parce qu'il y a quand même un film qui existe déjà, et pas n'importe lequel : un classique signé François Truffaut.

LE BÛCHER DES VANITÉS

Bien que cela soit malheureusement incontournable, il ne faudrait pas trop jouer au jeu de la comparaison pour vraiment appréhender cette nouvelle lecture du roman de Ray Bradbury. Parce que 50 ans séparent le film de Truffaut et celui de Ramin Bahrani et qu'entre-temps, la société occidentale a énormément changé. Puis parce que surtout, dans ce laps de temps, Fahrenheit 451 est passé du statut d'oeuvre dystopique à celui d'histoire d'anticipation. C'est en tout cas l'angle clairement choisi et assumé par cette relecture terriblement actuelle.


Dans un futur proche, la culture est devenue l'ennemi. Il n'y a plus que trois livres autorisés par un gouvernement tyrannique, les civils sont drogués à leur insu pour oublier leur passé et donc qui ils sont. Les stars du moment sont les pompiers, des soldats chargés de détruire par le feu tout ce qui pourrait constituer un élément culturel félon et subversif : CD, films, tableaux, livres, tout y passe.

C'est dans ce contexte que nous faisons la connaissance de Montag, un pompier à la carrière prometteuse, pris sous l'aile de son supérieur Beatty, qui va sacrément remettre en cause la société après avoir débusqué une Anguille (une clandestine vivant entourée de livres) et avoir assisté à son immolation. En subtilisant un livre, il va découvrir que la société dans laquelle il vit n'est pas forcément ce qu'elle semble être.

MI-CUIT

Notre plus grande crainte était évidemment que l'histoire de départ ne soit appauvrie et maltraitée pour répondre aux canons actuelles. Que cela entraîne une simplification des enjeux et du discours pour la vider totalement de sa substance, comme Hollywood en a malheureusement trop l'habitude en ce moment. C'est donc avec un grand plaisir que nous comprenons, dès les premières minutes qu'HBO n'a pas cédé aux sirènes du politiquement correct. Bien au contraire.

En effet, ce nouveau Fahrenheit 451 se permet même d'aller encore plus loin que son modèle en prenant en compte les évolutions douteuses de notre civilisation. Ainsi le monde que l'on nous présente est une conséquence directe de la société dans laquelle nous vivons actuellement, dominée par les réseaux sociaux, où le concept de vie privée s'étiole de jour en jour et où la nécessité narcissique remplace la main tendue à son voisin. Dans ce contexte, l'histoire prend un tout autre sens, beaucoup plus amer et troublant.


C'est bien à un gigantesque cri d'alarme que nous avons affaire. Cela dit Ramin Bahrani (99 Homes) a l'intelligence de ne pas faire passer le fond avant la forme et de faire de son film avant tout un objet de divertissement, très sombre et envoûtant par bien des aspects. C'est pourtant au détour d'un simple dialogue que le film nous ouvre son coeur, lorsque l'on nous explique que contrairement à ce que l'on pourrait penser, il n'y a pas eu de coup d'État pour imposer une dictature. L'anéantissement de la culture (et donc des esprits et du libre-arbitre) a été voulu inconsciemment par la population qui ne demandait que cela en se divisant en groupes communautaires qui voulaient interdire tout ce qui pouvait choquer au nom d'une morale un peu floue.

Cela fait évidemment écho à tout ce qui se passe actuellement et que l'on ne cesse de relever en tentant de comprendre ce qui nous arrive, tout en nous mettant en garde. Et, de ce point de vue, le film est terrorisant parce que parfaitement crédible. Quand on prend uniquement en compte son histoire, ses personnages et son message, Fahrenheit 451 est une réussite éclatante.


LA CHAIR ET LES CENDRES

Si l'on veut vraiment profiter de ce film, il ne faut donc pas le prendre comme une adaptation du livre original ou une nouvelle version du film de Truffaut mais bel et bien comme leur réactualisation tout autant qu'une variation sur le concept. Si le film respecte les péripéties du roman dans les grandes lignes, leur traitement risque de faire grincer quelques dents.

On vous prévient tout de suite, effectivement l'histoire a été arrangée en fonction des canons actuels. Il y a donc bien une histoire d'amour entre Montag et Clarisse (mais elle est très intelligemment faite), le rapport entre Beatty et Montag se base sur une relation père-fils (mais cela s'inscrit logiquement dans le propos) et la dernière partie verse un peu trop dans l'action (mais atteint sans mal son objectif).


D'un point de vue strictement formel, le film oscille entre un univers assez épatant qui tire son influence de la science-fiction dark-indus de certains films des années 90 et une facture plus télévisuelle qui trahit un manque d'ampleur général. Michael Shannon est parfait comme d'habitude, et les gros ajouts de son personnage le rendent encore plus tragiques et montrent bien la contradiction avilissante de cette société. Michael B. Jordan lui, semble plus en retrait au départ, éteint, distant, mais c'est tout à fait logique puisque son personnage passera l'histoire à découvrir sa propre humanité. Il est, dans cette perspective, parfait. Sofia Boutella, quant à elle, compose une Clarisse sensible et mélancolique qui change énormément des rôles qu'on lui confie actuellement et elle assure pleinement le job.

Au final, Fahrenheit 451 est réellement un film à voir parce qu'il a parfaitement capté l'esprit de l'époque et la direction que l'on prend. Il est en même temps un film prenant et divertissant qui réserve de très belles séquences tout en nous rappelant douloureusement que notre plus grand ennemi n'est jamais que nous-même. Fahrenheit 451, si l'on arrive à faire abstraction de son glorieux aîné, est une énorme réussite.


EN BREF

Tétanisant par son discours très actuel, Fahrenheit 451 s'est permis de gros changements pour coller à son époque. La meilleure solution possible pour un film destiné à devenir très important si nous ne changeons pas notre manière d'appréhender le monde.

17 mai 2018

Happy - Brian Taylor


Révélé avec les trips Hyper Tension et Hyper Tension 2, Brian Taylor revient en forme avec la série Happy !, gros trip drôle et vénère aux amphèt' mâtiné de touchantes fulgurances, créé par Darick Robertson et Grant Morrison.

Nick Sax est un ancien flic modèle devenu un tueur à gages, et une véritable décharge humaine. Alcoolique, violent, cynique, drogué, affreux, sale et méchant, il vogue (enfin, zigzague à contresens sur une autoroute) de contrats en débordements suicidaires en passant par quelques arrêts cardiaques. Mais son "quotidien" va se retrouver complètement bouleversé par deux évènements simultanés et liés d’une certaine manière : un contrat qui tourne mal suite à un imprévu… et l'arrivée de Happy, un petit cheval bleu avec des ailes que seul lui voit.

Happy, véritable personnage de cartoon (mais qui existe vraiment, rangez vos théories nulles sur un dédoublement de personnalité du héros), est en réalité l’ami imaginaire d’Hailey, la fille de Nick, dont il ignorait l’existence. Or, cette dernière a été enlevée et Happy est venue trouver Nick pour qu’il la sauve des griffes d’un psychopathe habillé en Père Noël : Very Bad Santa. Nick Sax va devoir défourailler sec pour trouver son chemin jusqu’à sa fille... et faire un peu la paix avec lui-même et sa lassitude de l'existence.

Nick Sax, épisode 1, moins de 5 minutes. Bonjour.

HYPER ATTENTION

Happy ! est l'adaptation des comics éponymes de Grant Morrison et Darick Robertson, crédités comme créateurs du show d'abord diffusé sur Syfy aux Etats-Unis, avant d'arriver notamment en France sur Netflix.

Une série dont on pouvait légitimement attendre le pire comme le meilleur, car elle est en grande partie réalisée par Brian Taylor, derrière cinq des huit épisodes de cette première saison (la deuxième a été commandée). Or, s'il est capable du meilleur, comme on a pu le voir avec les deux Hyper Tension avec Jason Statham (qui les ont révélés lui et son copain Neveldine) ou avec Ghost Rider 2 : L'Esprit de vengeance, il est aussi capable du franchement plus que pire avec Ultimate Game ou Mom and Dad (ou le scénario de Jonah Hex). Alors, coupons court au suspense et disons-le sans détour : allez-y, c’est de la bonne, voire très bonne si vous accrochez vraiment à cet univers vulgaire et complètement barje au style photographique grand guignolesque.

Une série qui a de la gueule

Happy ! a énormément de qualités pour elle, à commencer par le plus important pour une série qui mise à ce point sur l’action et l’hystérie collective : c’est foutrement bien rythmé et surtout très bien réalisé, et même par moment vraiment joli plastiquement parlant. Les scènes d’action ont beau être menées à fond la caisse, on sent vraiment que la lisibilité et la fluidité de l’image ont été l’alpha et l’omega de Happy !, la condition sine qua non pour qu’une prise soit validée ou non. Et à l’exception d’un combat à la hache, l’exercice est parfaitement réussi et régulièrement assez décapant.

Sur la langue le buvard stp.

L'ÉQUILIBRE DU TRASH

La deuxième plus grosse qualité de la série, c’est la maîtrise de son ton. Brian Taylor, comme d’habitude, emballe ici une série volontairement trash et outrancière, mais loin de la décadence débile ou de la provoc creuse d’un Ultimate Game par exemple. Il réussit la plupart du temps à mélanger avec succès un humour bouffon avec des violences des plus sinistres (on pèse nos mots, on n'oubliera pas de sitôt l’exhorbitante scène du Destructeur de Mondes, ni le révulsant micro-ondes).

Autre gros point fort : Happy ! a su doser exactement comme il fallait ses personnages, toujours hauts en couleurs et hyperactifs, mais jamais inutilement hystériques ou vainement gueulards. Brian Taylor ne cède donc pas à la facilité de ce côté là et n’oublie jamais de prendre le temps d’assoir ses personnages (surtout les secondaires), de leur donner ce qu’il faut de profondeur et même de temps de pauses pour qu’ils puissent se déployer autant qu’il leur est nécessaire.

Smoothie à gauche, dans la scène la plus incroyablement WTF

Du très important Blue au beaucoup plus anecdotique Le Dick (oui oui), personne n’est laissé pour compte, et ce soin apporté à l’univers fait vraiment du bien à Happy ! car il lui donne une belle cohérence et une solidité à toute épreuve (enfin presque). Les deux plus belles réussites de Brian Taylor à ce niveau-là sont très clairement Smoothie (excellentissime Patrick Fischler), dont chaque apparition est attendue avec un mélange d’excitation sadique et de terreur tétanisante, et Happy lui-même.

On vous promet, Happy est un personnage super

Si notre petit cheval bleu souffre malheureusement d’une introduction et de premières scènes assez bancales qui le feront passer pour un autre comic relief jetable et agaçant, il se révèle cependant dès l’épisode 3 être le véritable cœur émotionnel de la série qui porte son nom en plus d’être le précipité cristallisé du sentiment doux-amer qui traverse Happy ! sur l’enfance, le fait de grandir, ou sur l'innocence (ce qui forme un duo complémentaire assez efficace avec les thématiques bien plus mortifères dont Nick Sax se fait le vecteur). Pour peu que vous passiez outre ses premières apparitions un peu faiblardes, ce personnage devrait de manière assez surprenante faire vibrer une corde sensible surtout dans la deuxième moitié de la saison.

Une dynamique de buddies qui marche très très bien

PRESQUE HAPPY END

Happy ! est donc un très bon moment à passer : jamais on ne s’ennuie, régulièrement on sourit et toujours on a envie de lancer l’épisode suivant, et à l’arrivée on ne regrette absolument pas l’investissement, mais il y a bien évidemment quelques petites choses qui fonctionnent moins bien.

D’abord, à force d’enchaîner les gags trashs et les grimaces excessives, il y a nécessairement des saillies qui fonctionnent moins bien ou des scènes un peu too much. Il y a toujours un moment, une réplique, une situation au sein d’un épisode où l’on regrette un peu que Brian Taylor ne soit pas descendu d’un ton, ne se soit pas un peu plus pris au sérieux ou n'ait pas évité de verser dans des facilités racistes ou sexistes.

Jamais de quoi crier au scandale, simplement ces écarts sont un peu lourds et inutiles, en plus d’être rarement drôles (le gag de la fellation, les Chinois et leurs biscuits, bref). Happy ! souffre également d’un petit problème de cohérence vis-à-vis de ses éléments surnaturels, dont les règles demeurent assez floues voire varient un peu en fonction des besoin du scénario.

Joyeux Noël. Et surtout, la santé.

Mais le plus gros point faible de la série tient en réalité en un mot : son protagoniste. On ressent certes beaucoup d’empathie pour Nick Sax dès les premiers épisodes, mais elle s’essouffle rapidement, d’abord parce qu’on a vite fait le tour du personnage et ensuite parce qu’il les personnages secondaires ont une sacrée tendance à être plus intéressants que lui. Il faut dire en plus qu’il n’est pas très bien servi par Christopher Meloni.

C’est pourtant un excellent acteur d’habitude, mais ici, une fois l’intrigue lancée pour de bon et passée une excellente scène émotionnelle dans le métro, il a tendance à servir toujours les mêmes grimaces et s’enfermer dans un ton badass monocorde un peu lassant à la longue. Heureusement, le caractère auto-destructeur du personnage de même que son espèce de chance karmique délirante (mais presque pas assez) parviennent à maintenir l’intérêt à flot.


Enfin, on regrettera très amèrement que le dernier épisode n’arrive pas à trancher entre conclusion décisive du récit et envie de faire une saison 2. Difficile de rentrer dans les détails sans spoiler, mais il est assez agaçant de voir Happy ! rétropédaler (parfois vraiment jusqu’à l’abus) quant aux sorts de certains de ses personnages ou à la conclusion de certaines de ses intrigues. Bref, il fallait faire un choix, et pas servir deux soupes mélangées. Mais bon, ces petites scories puent tellement les greffons et les modifications faits à la va vite une fois l’évocation d’une éventuelle commande de saison 2 qu’on pardonne à Brian Taylor.

EN BREF

Autrefois, pour fuir l'angoisse du monde, on nous invitait au voyage. Brian Taylor nous invite plutôt au délire énergique, et même si la musique est un peu trop forte ou que la drogue aurait pu être un peu mieux coupée, plutôt rejoindre cette fête chaotique et déchaînée que de rester chez soi avec une tisane.