Annoncée il y a quelques mois, cette nouvelle version du livre de Ray Bradbury, Fahrenheit 451, avec Michael Shannon, Michael B. Jordan et Sofia Boutella, produite et diffusée par HBO (OCS en France) avait surpris son petit monde. Elle avait aussi inquiété pas mal de gens au passage, parce qu'il y a quand même un film qui existe déjà, et pas n'importe lequel : un classique signé François Truffaut.
LE BÛCHER DES VANITÉS
Bien que cela soit malheureusement incontournable, il ne faudrait pas trop jouer au jeu de la comparaison pour vraiment appréhender cette nouvelle lecture du roman de Ray Bradbury. Parce que 50 ans séparent le film de Truffaut et celui de Ramin Bahrani et qu'entre-temps, la société occidentale a énormément changé. Puis parce que surtout, dans ce laps de temps, Fahrenheit 451 est passé du statut d'oeuvre dystopique à celui d'histoire d'anticipation. C'est en tout cas l'angle clairement choisi et assumé par cette relecture terriblement actuelle.
Dans un futur proche, la culture est devenue l'ennemi. Il n'y a plus que trois livres autorisés par un gouvernement tyrannique, les civils sont drogués à leur insu pour oublier leur passé et donc qui ils sont. Les stars du moment sont les pompiers, des soldats chargés de détruire par le feu tout ce qui pourrait constituer un élément culturel félon et subversif : CD, films, tableaux, livres, tout y passe.
C'est dans ce contexte que nous faisons la connaissance de Montag, un pompier à la carrière prometteuse, pris sous l'aile de son supérieur Beatty, qui va sacrément remettre en cause la société après avoir débusqué une Anguille (une clandestine vivant entourée de livres) et avoir assisté à son immolation. En subtilisant un livre, il va découvrir que la société dans laquelle il vit n'est pas forcément ce qu'elle semble être.
MI-CUIT
Notre plus grande crainte était évidemment que l'histoire de départ ne soit appauvrie et maltraitée pour répondre aux canons actuelles. Que cela entraîne une simplification des enjeux et du discours pour la vider totalement de sa substance, comme Hollywood en a malheureusement trop l'habitude en ce moment. C'est donc avec un grand plaisir que nous comprenons, dès les premières minutes qu'HBO n'a pas cédé aux sirènes du politiquement correct. Bien au contraire.
En effet, ce nouveau Fahrenheit 451 se permet même d'aller encore plus loin que son modèle en prenant en compte les évolutions douteuses de notre civilisation. Ainsi le monde que l'on nous présente est une conséquence directe de la société dans laquelle nous vivons actuellement, dominée par les réseaux sociaux, où le concept de vie privée s'étiole de jour en jour et où la nécessité narcissique remplace la main tendue à son voisin. Dans ce contexte, l'histoire prend un tout autre sens, beaucoup plus amer et troublant.
C'est bien à un gigantesque cri d'alarme que nous avons affaire. Cela dit Ramin Bahrani (99 Homes) a l'intelligence de ne pas faire passer le fond avant la forme et de faire de son film avant tout un objet de divertissement, très sombre et envoûtant par bien des aspects. C'est pourtant au détour d'un simple dialogue que le film nous ouvre son coeur, lorsque l'on nous explique que contrairement à ce que l'on pourrait penser, il n'y a pas eu de coup d'État pour imposer une dictature. L'anéantissement de la culture (et donc des esprits et du libre-arbitre) a été voulu inconsciemment par la population qui ne demandait que cela en se divisant en groupes communautaires qui voulaient interdire tout ce qui pouvait choquer au nom d'une morale un peu floue.
Cela fait évidemment écho à tout ce qui se passe actuellement et que l'on ne cesse de relever en tentant de comprendre ce qui nous arrive, tout en nous mettant en garde. Et, de ce point de vue, le film est terrorisant parce que parfaitement crédible. Quand on prend uniquement en compte son histoire, ses personnages et son message, Fahrenheit 451 est une réussite éclatante.
LA CHAIR ET LES CENDRES
Si l'on veut vraiment profiter de ce film, il ne faut donc pas le prendre comme une adaptation du livre original ou une nouvelle version du film de Truffaut mais bel et bien comme leur réactualisation tout autant qu'une variation sur le concept. Si le film respecte les péripéties du roman dans les grandes lignes, leur traitement risque de faire grincer quelques dents.
On vous prévient tout de suite, effectivement l'histoire a été arrangée en fonction des canons actuels. Il y a donc bien une histoire d'amour entre Montag et Clarisse (mais elle est très intelligemment faite), le rapport entre Beatty et Montag se base sur une relation père-fils (mais cela s'inscrit logiquement dans le propos) et la dernière partie verse un peu trop dans l'action (mais atteint sans mal son objectif).
D'un point de vue strictement formel, le film oscille entre un univers assez épatant qui tire son influence de la science-fiction dark-indus de certains films des années 90 et une facture plus télévisuelle qui trahit un manque d'ampleur général. Michael Shannon est parfait comme d'habitude, et les gros ajouts de son personnage le rendent encore plus tragiques et montrent bien la contradiction avilissante de cette société. Michael B. Jordan lui, semble plus en retrait au départ, éteint, distant, mais c'est tout à fait logique puisque son personnage passera l'histoire à découvrir sa propre humanité. Il est, dans cette perspective, parfait. Sofia Boutella, quant à elle, compose une Clarisse sensible et mélancolique qui change énormément des rôles qu'on lui confie actuellement et elle assure pleinement le job.
Au final, Fahrenheit 451 est réellement un film à voir parce qu'il a parfaitement capté l'esprit de l'époque et la direction que l'on prend. Il est en même temps un film prenant et divertissant qui réserve de très belles séquences tout en nous rappelant douloureusement que notre plus grand ennemi n'est jamais que nous-même. Fahrenheit 451, si l'on arrive à faire abstraction de son glorieux aîné, est une énorme réussite.
EN BREF
Tétanisant par son discours très actuel, Fahrenheit 451 s'est permis de gros changements pour coller à son époque. La meilleure solution possible pour un film destiné à devenir très important si nous ne changeons pas notre manière d'appréhender le monde.
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