29 juin 2018

Sicario : La Guerre des cartels - Stefano Sollima


En 2015, Sicario avec Emily Blunt, Josh Brolin et Benicio Del Toro devait durablement assoir l’éclatante réputation de Denis Villeneuve (Prisoners, Enemy, Blade Runner 2049). Si l’annonce d’une suite de ce thriller crépusculaire ne date pas d’hier, elle pouvait sembler un tantinet absurde, la tonalité du film laissant peu de place à l’installation d’une franchise, au sens où l’entend actuellement l’industrie hollywoodienne. Cette dernière est pourtant devenue réalité. Elle s'appelle Sicario : La Guerre des cartels, et c'est Stefano Sollima qui s'en est chargée.

ALL CARTELS ARE BASTARDS

Là où on pouvait redouter que ce Sicario : La Guerre des cartels échoue entre les mains d’un exécutant sans génie, tout en jouant très opportunément des relations plus que tendues entre les Etats-Unis de Donald Trump et les autorités mexicaines, c’est à une danse plus réjouissante et macabre que nous sommes conviés. Un écueil qu’aura justement évité l’embauche de Stefano Sollima, avec le retour de Taylor Sheridan au scénario.


Réalisateur des épisodes de Romanzo criminale, de Suburra et du trop méconnu A.C.A.B., le cinéaste est rompu à l’art de représenter les ravages de la violence, tout comme la cartographie d’une criminalité sous-terraine et toute-puissante. Quand Villeneuve faisait des cartels mexicain une pieuvre omniprésente, capable de surgir aussi bien dans un dîner du Nouveau Mexique, au cœur d’une villa luxueuse, dans les fondations d’un bâtiment anonyme ou en plein embouteillage, Sollima prend l’exact contre-pied de son prédécesseur.

Le Cartel est partout, et par conséquent nulle part. Sitôt nos soldats de fortune à ses trousses, c’est un nouveau chausse-trappe qui se referme sur eux pour les transformer en hachis parmentier. Alors que l’ultra-violence sature l’écran, souvent maculé de viscères et matière cérébrale, que des passeurs fous de la gâchette s’énervent ou que paniquent des flics corrompus, on découvre progressivement combien l’adversaire est puissant, insatiable, mais surtout insaisissable.

"Avoir un bon copain."

FRONT TIERS

Ce principe permet au metteur en scène de dérouler un discours politique limpide mais terrible, en forme de réquisitoire contre les politiques occidentales de lutte contre le terrorisme. Car dans Sicario : La Guerre des cartels, une série d’attentats imputés rapidement aux passeurs dépendant des Cartels mexicain pousse les autorités américaines à les assimiler aux organisations terroristes « classiques », afin de leur déclarer la guerre.

Dès lors, le métrage peut interroger la propension des Etats-Unis (mais pas seulement) à exploiter ses propres tragédies pour s'en prendre à l’ennemi du moment, répandant un chaos qui ne pourra être endigué que par un surplus de brutalité extrême. Le monde que décrit Sollima (le nôtre) est celui du flou permanent, de l’affaiblissement des frontières, de la balkanisation totale et irrémédiable de tous les combats, de toutes les valeurs, par ceux-là mêmes qui prétendent les sacraliser.


Pour ce faire, le réalisateur use de toute son expérience de chorégraphe balistique. Explosions, ballet de fusillades, opérations clandestines, vendettas urbaines : tout y passe, avec une maestria technique qui sidère le plus souvent. Alternant hyper-réalisme et découpage iconique, connectés par un montage étouffant, l’image impulse au spectateur le pouls délirant d’une intrigue d’une rare cruauté.

BENICIO DEL MUERTO

Pour arriver à ce résultat, Stefano Sollima choisit de s’éloigner de Denis Villeneuve en matière d’écriture des personnages. L'épisode précédent faisait de ses porte-flingues de quasi-monolythes et usait de ses protagonistes comme autant d’effets de manche, jusqu’à s’en désintéresser presque totalement lors de son ultime tiers. Ils sont ici le moteur d’un récit où l’humain reprend progressivement sa place.

BOOM !

Sauf qu’ici, la montée en puissance de l’humanité au cœur du déroulé narratif n’est pas synonyme de chaleur, sinon celle des canons rougis appuyés sur les tempes de quidams innocents par Josh Brolin et Benicio Del Toro. Tous deux forment un duo létal irrésistible, l’alliance d’intérêts divergents, mais réunis par une soif de chaos inextinguible. Ils incarnent brillamment la folie d’une guerre motivée uniquement par sa propre perpétuation.

Au sein de ce tableau fumant, saturé d’idées de mise en scène, on regrettera une poignée de choix narratifs et twists dans le dernier acte, pensés pour amener un peu de surprise au sein d’une histoire dépressive, ou tout simplement motiver le public à retrouver ses anti-héros pour un troisième volet déjà évoqué. Ainsi, quelques tentatives d'adoucir les personnages sonnent étrangement faux, quand ils se mettent soudain à opérer des choix à la limite de l'absurde. Ces anicroches ne sont pas suffisantes pour altérer le plaisir pris devant le film, mais lui interdisent d’échapper complètement à sa nature de suite destinée à laisser le spectateur sur sa faim, plutôt que repus.

Ne jamais énerver un automobiliste mexicain.

EN BREF

Réquisitoire contre une guerre motivée seulement par sa propre continuation, ce nouveau Sicario est plus agressif et tétanisant que jamais, en dépit de certaines facilités d'écriture.

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