Après un Benjamin Button quelque peu décevant (de par son côté surfait), autant dire que David Fincher était attendu au tournant avec son The Social Network. D’autant plus qu’avec un pitch pareil (la naissance très controversée de Facebook et l’ascension fulgurante de son créateur), son dernier long métrage fut l’objet d’un buzz sans précédent dès son annonce. Alors, David Fincher a-t-il signé son grand retour dans le paysage cinématographique ? Le réalisateur du génialissime Seven a-t-il mérité son Golden Globe du meilleur réalisateur ainsi que ses huit nominations aux Oscars 2011 ?
Pitch : Une soirée bien arrosée d'octobre 2003, Mark Zuckerberg, un étudiant qui vient de se faire plaquer par sa petite amie, pirate le système informatique de l'Université de Harvard pour créer un site, une base de données de toutes les filles du campus. Il affiche côte à côte deux photos et demande à l'utilisateur de voter pour la plus canon. Il baptise le site Facemash. Le succès est instantané : l'information se diffuse à la vitesse de l'éclair et le site devient viral, détruisant tout le système de Harvard et générant une controverse sur le campus à cause de sa misogynie. Mark est accusé d'avoir violé intentionnellement la sécurité, les droits de reproduction et le respect de la vie privée. C'est pourtant à ce moment qu'est né ce qui deviendra Facebook. Peu après, Mark crée thefacebook.com, qui se répand comme une trainée de poudre d'un écran à l'autre d'abord à Harvard, puis s'ouvre aux principales universités des États-Unis, de l'Ivy League à Silicon Valley, avant de gagner le monde entier...
Cette invention révolutionnaire engendre des conflits passionnés. Quels ont été les faits exacts, qui peut réellement revendiquer la paternité du réseau social planétaire ? Ce qui s'est imposé comme l'une des idées phares du XXIe siècle va faire exploser l'amitié de ses pionniers et déclencher des affrontements aux enjeux colossaux...
Mon avis : Autant le dire tout de suite, The Social Network est une claque ! J’irais même encore plus loin dans mes propos en affirmant haut et fort que le dernier bébé de David Fincher peut aisément faire office de Fight Club 2.0, son film le plus subversif et le plus contestataire à ce jour. Bien entendu, ce n’est pas dans leurs trames respectives que vous y trouverez des points communs mais bien dans les idées développées dans ces deux métrages. Car, plus que la genèse de Facebook ou bien encore l’histoire de son créateur Mark Zuckerberg, il s’agit ici de se servir de la naissance de Facebook comme d’un point de départ à l’émergence d’une nouvelle ère, d’une nouvelle société et d’une nouvelle jeunesse : celle du 2.0. Cette nouvelle société où l’intime s’affiche sans plus aucune limite trouve sa personnification dans un génie de l’informatique, Mark Zuckerberg. Celui-ci est dépeint comme un être inadapté au monde qui l’entoure et dont le génie sera d’avoir réussi à adapter le monde (au sens large du terme) à sa propre inadaptation par le biais de son réseau social.
The Social Network nous montre ainsi l’évolution d’un ado mal dans sa peau qui, après s’être fait larguer par sa copine de l’époque et avoir vu son ego froissé, pirate le réseau informatique de son université afin d’y récupérer les photos d’identité de toutes ses camarades afin de les mettre en ligne sur un site créer spécialement pour l’occasion et permettant à tous les étudiants de Harvard de les juger sur leurs critères physiques et par conséquent d’élir la plus belle fille du campus ainsi que la plus « moche ». C’est sur cette scène d’ouverture que commence le décryptage de l’ascension d’un nerd (peut-être même le king of the NERD) qui a eu un jour la bonne idée, ou plutôt a su s’inspirer du travail et des idées des autres pour donner naissance au phénomène que l’on connaît tous. Cet épisode quasi prophétique de la vie de Zuckerberg n’a pas été sélectionné pour rien. En ouvrant le film sur ces images, Fincher montre très clairement où il veut en venir : bien plus que l’ascension de ce personnage fragile et méprisable, c’est bien la dimension désespérément dramatique de cette quête aveugle de reconnaissance qui servira de moteur à son The Social Network. Dans ce film, la réussite de Zuckerberg est presque accidentelle et est surtout dû à son entourage plus porté par la soif de conquête et d’argent qu’autre chose. Malheureusement mal accompagné, Zuckerberg se fera vite manipulé par des personnes plus présentes que lui dans le monde du business et finira par trahir le seul véritable ami qu’il avait. Notre « héros » finira par sombrer dans une solitude encore plus grande qu’avant que ne commence l’une des plus grandes succès story de tous les temps.
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"Ou comment résumer un film en un plan" |
A ce titre, la prestation de Jesse Eissenberg est à saluer tant il incarne avec brio cet être tourmenté exprimant son mal-être et son asociabilité par un débit de paroles supérieur et un air absent. Pour faire simple, lui ainsi que l’ensemble du casting crèvent littéralement l’écran tant ils semblent habités par leurs personnages. A ce titre, les dialogues sonnent juste à chaque fois et apportent assurément
Certains auront vite fait de critiquer The Social Network sur sa réalisation qui, il faut bien le reconnaître, n’a rien d’exceptionnelle. David Fincher a doté son film de la même mise en scène sobre et épurée que celle déjà vu dans Zodiac tout en gratifiant le spectateur , à quelques rares reprises, d’effets de style dont lui seul à le secret : on pense notamment au traversé de fenêtre rappelant "l’effet de l’anse" dans Panic Room. Seulement voilà, il serait injuste de condamner la mise en scène du film sur sa « simplicité » tant cette dernière met admirablement bien en valeur (via une infinité de champs/contre-champ) l’opposition entre Mark Zuckerberg et ses « ennemis » ainsi que le choix narratif donné à ce métrage. Construit à la manière d’un thriller judiciaire, le film tourne autour d’un procès ponctué de flash-back permettant de mieux cerner les pièces d’un puzzle, dont les enjeux financiers et les dégâts collatéraux risquent d’en effrayer plus d’un.
Prenant le parti pris de rester neutre du début à la fin, The Social Network a l'intelligence de laisser au spectateur la responsabilité de juger -ou pas- du cas du plus jeune milliardaire du monde. Et c’est en laissant son personnage dans le doute et la solitude la plus totale que David Fincher signe son chef d’œuvre. Ni plus, ni moins.