Remarqué grâce à ses Amants du Texas, David Lowery nous revient d’un passage chez Disney, après avoir réalisé l’adaptation live de Peter et Elliott le dragon, poussé par le désir de revenir à une certaine simplicité. Et si l’histoire de fantôme qu’il nous propose se pare d’un apparent minimalisme, c’est bien à une supernova émotionnelle qu’il nous convie.
LA MORT LUI VA SI BIEN
Fraîchement décédé, C. hante la maison où il a vécu avec M. Réduit à un ectoplasme de tissu invisible, il erre et attend. Qu’on le remarque. Que celle qu’il aimait réagisse à ses suppliques silencieuses. Que quelque chose advienne. En découvrant les premières images de A Ghost Story, on pouvait légitimement redouter une rêverie arty, nimbée dans les artéfacts du cinéma indépendant américain, qui n’aborde ses thématiques et son genre que du doigt, par et pour une pose fumeuse.
Et si au premier abord, la photographie de l’ensemble et son ascèse parfois radicales peuvent rebuter, le film a bien plus à proposer, et s’avère au contraire une exploration passionnante de la condition spectrale, et à travers elle, de notre humanité. Pourquoi un fantôme hante-t-il ? Quelles sont ses motivations et que provoque chez lui la lente érosion de la raison, de l’amour, voire de la mémoire ?
C’est à ces questions que David Lowery esquisse une réponse. Porté par un héros mué, dont il est allé jusqu’à supprimer le visage, et donc toute émotion immédiatement lisible, le metteur en scène n’a dès lors plus que sa mise en scène et son montage pour narrer, pour amener son mirage fantomatique jusqu’au cœur du spectateur. Et il relève ce défi délicat d’une main de maître. Il n’est pas une seule séquence du métrage qui ne déploie une parfaite composition de l’image, une trouvaille de mise en scène, où de formidables expérimentations rythmiques.
Le réalisateur pousse le perfectionnisme jusqu'à opter pour un format rarement employer, 1:37, qui confère à l'image un aspect carré, qui n'est pas sans évoquer les proportions de vieux photogrammes, aspect encore renforcé par la photo pastel légèrement désaturée. Au sein de microcosme esthétique faussement éthéré, chaque ligne de fuite, chaque écran dans l'écran (fenêtres, baies vitrées, résurgences géométriques) recompose le sens des séquences, altère notre rapport au réel, pour nous plonger petit à petit dans un poème visuel qui explore sans relâche le temps et l'espace.
DEAD AND ALIVE
Rarement la mélancolie, l’absolu du sentiment amoureux magnifié par le manque, la représentation de l’absence, avaient été représentés avec une si magnifique acuité. Le temps d’un plan à la longueur presque insoutenable, où Rooney Mara, assommée de chagrin se repaît mécaniquement d’une tarte sans voir la silhouette du spectre qui guette la moindre inflexion de son visage, Lowery montre qu’il manie brillamment la temporalité, afin de rendre chaque micro-mouvement de caméra, chaque tressaillement de ses comédiens, riches d’une quantité de nuances écrasantes.
Métaphysique car la beauté de ce récit intime et mystique est de nous proposer, au-delà de l’autopsie d’un amour corrodé par le temps et la fatalité, une formidable réflexion sur le temps. Lowery utilise du cadre comme d’une frise temporelle, et incarne génialement son évolution au fur et à mesure qu’avance la narration. On ne révélera pas les twists et retournements qui font de A Ghost Story un film aux frontières de la science-fiction, mais c’est avec sidération que son auteur développe sans crier gare une économie du sentiment, une théorie du deuil, de son sens et de la quête de la paix, dont la limpidité impressionne et provoque un véritable maelström émotionnel.
Quand David Lowery use de l'espace comme autant d'écrans subdivisant l'image
Au sein d’un dispositif qui leur laisse une grande latitude de création, Rooney Mara et Casey Affleck évoluent au rythme d’un pas de deux tantôt funèbre, tantôt désespéré, toujours mû par les palpitations erratiques de leurs cœurs meurtris, dont toutes les pulsations trouvent dans le spectateur un écho dévastateur. La grâce de leurs prestations doit beaucoup à la révérence avec laquelle le cinéaste les capture, mais également aux ruptures de ton qu’organise le montage souvent audacieux, et une bande-originale somptueuse.
Avec la joliesse d’un secret qui ne pourrait être divulgué par le verbe, A Ghost Story lève un voile éclatant sur ce qui, au cœur même de la perte, relève de la beauté, sur cette capacité étonnante de la lumière à briller plus fort quand elle est enclose dans les ténèbres.
EN BREF
Rêverie spectrale et puissamment incarnée, A Ghost Story bat dans chacun de ses plans d'une myriade de trouvailles et d'idées à la poésie viscérale et lumineuse.
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