Star Trek, c'est la série originale de 1966 à 1969, La Nouvelle Génération de 1987 à 1994, Deep Space Nine de 1993 à 1999, Voyager de 1995 à 2001, Enterprise de 2001 à 2005. Sans compter une dizaine de films autour des séries et les films modernes de J.J. Abrams et Justin Lin depuis 2009.
A l'origine de ce phénomène qui va bien au-delà des fameux trekkies, il y a pourtant une série, imaginée par Gene Roddenberry, qui n'a duré que trois saisons avant d'être annulée faute d'audiences satisfaisantes pour NBC, alors même que les fans se battaient pour la sauver. Née après plusieurs modifications en profondeur et un premier pilote abandonné, où le personnage du capitaine Kirk n'existait pas encore, la série originale a vite emballé et embarqué son public dans les folles aventures de l'Enterprise, piste de décollage pour l'imagination.
Parmi les 79 de la série matricielle, un épisode est resté gravé dans les mémoires : The City on the Edge of Forever (Contretemps en VF), épisode 28 de la première saison diffusé en avril 1967. Encore considéré comme l'un des grands moments de la mythologie Star Trek, il tourne autour du voyage dans le temps, avec des notions devenues depuis ordinaires dans le genre. La célèbre Joan Collins, connue notamment pour son rôle dans la série Dynastie, est l'invitée de luxe.
"I AM THE GUARDIAN OF FOREVER"
L'histoire démarre avec l'Enterprise qui traverse une zone de turbulences temporelles. Alors que le médecin Leonard McCoy s'apprête à soigner Sulu, une secousse remue le vaisseau : il s'injecte accidentellement une énorme dose de cordrazine, qui le plonge dans un état de paranoïa et de panique. McCoy se téléporte sur la planète la plus proche, suivi par Kirk, Spock, Uhura et quelques membres de l'équipage. Le groupe découvre alors un étrange portail temporel dans lequel McCoy disparaît. Le portail leur explique qu'il a échoué dans le passé, et qu'il a modifié le cours des évènements : l'Entreprise, la Fédération n'existent plus.
Kirk et McCoy décident de suivre McCoy pour tenter de le ramener et réparer le tissu du temps. Ils atterrissent ainsi dans le New York des années 30, en pleine Grande Dépression, un mois avant l'arrivée de McCoy. Alors qu'ils tentent de se fondre dans la masse, ils rencontrent Edith Keeler (Joan Collins). Jeune femme idéaliste, elle dirige un refuge et les aide, notamment parce qu'elle croise le regard du séducteur Jim Kirk.
Alors qu'ils tombent amoureux, Spock découvre la terrible vérité : l'arrivée de McCoy, qui croisera aussi la route d'Edith, lui évitera de mourir renversée par une voiture. Elle lancera alors un mouvement pacifiste qui retardera l'entrée des Etats-Unis dans la Seconde Guerre mondiale, permettant ainsi aux Nazis de développer l'arme nucléaire et gagner. Edith doit donc mourir pour sauver le monde, malgré elle.
McCoy finit par arriver à son tour, et le trio se retrouve. L'inévitable se met alors en place : Edith s'apprête à les rejoindre lorsqu'un camion approche. Kirk a d'abord le réflexe d'aller à son secours, avant de s'en empêcher. Lorsque McCoy essaie à son tour de la sauver, il l'arrête, détournant les yeux pour ne pas voir celle qu'il aime mourir par sa faute.
Edith morte, l'histoire reprend son cours. Kirk, Spock et McCoy reviennent dans leur présent, où l'Entreprise est réapparu. Le portail leur confirme que le tissu du temps a été réparé avant que Kirk, sombre, ordonne à son équipe de retrouver leur vaisseau et quitter ce planète.
"Assassins ! Murderers ! Murderers ! Assassins !"
The City on the Edge of Forever a été imaginé par Harlan Ellison, écrivain de science-fiction qui signera par la suite quelques épisodes d'Au-delà du réel et La Cinquième Dimension avant d'être consultant sur Babylon 5. La première version était sensiblement différente : un lieutenant avec de sévères problèmes de drogue, qui apparaissait pour la première fois, était condamné à mort après avoir tué un membre de l'équipage. Kirk et Spock l'escortaient sur une planète voisine pour l'exécuter, et le groupe découvraient une ancienne civilisation où des gardiens de presque 3 mètres de haut protégeaient le fameux portail temporel.
Le condamné à mort parvenait à le traverser, avant que les Gardiens annoncent qu'il avait modifié l'Histoire. Contrairement à l'épisode diffusé, le groupe revenait à bord de l'Enterprise, qui n'avait pas disparu mais était aux mains de rebelles. Ils revenaient consulter les Gardiens, qui leur expliquait d'emblée le rôle d'Edith, dont la mort empêchée par le lieutenant avait des répercussions énormes. Kirk tombait amoureux d'elle en connaissant la vérité. Finalement incapable de la laisser mourir, il était aidé par Spock, qui permettait à l'Histoire de reprendre son cours.
The City on the Edge of Forever a vite inquiété la production à cause du budget nécessaire à la première version. Plusieurs éléments, comme les combinaisons que les personnages devaient porter sur la planète des Gardiens, ont été enlevés pour réduire les coûts, et le scénario est passé entre plusieurs mains pour qu'il corresponde aux canons de la série.
Le budget alloué de 191 000 dollars, supérieur aux 185 de l'épisode classique, a finalement gonflé jusqu'à 245 ou 257 000 dollars.
"She was right. But at the wrong time."
Peu importe : The City on the Edge of Forever a participé pour beaucoup à l'aura de Star Trek en offrant une belle aventure, savant mélange d'humour, de suspense et d'émotions. Gene Roddenberry a toujours dit qu'il était parmi les dix meilleurs épisodes de la série, voire le meilleur.
Un épisode qui a entraîné une guerre entre le créateur de la série et Harlan Ellison : celui-ci avait accepté de soutenir Star Trek pour l'empêcher d'être annulée après la première saison, avant d'être rejeté par Roddenberry, blessé que l'auteur ait presque renié The City on the Edge of Forever.
Un épisode qui est aussi entré dans la culture populaire pour son audace : la dernière phrase, "Let's get the hell out of here", a provoqué un petit scandale puisque c'était l'une des toutes premières fois qu'un mot comme "hell" était utilisé à la télévision.
"Save her, do as your heart tells you to do, and millions will die who did not die before."
Mais ce qui fait de The City on the Edge of Forever un épisode si mémorable, c'est bien évidemment cette tragique histoire d'amour entre Jim et Edith. L'éternelle interrogation sur le voyage dans le temps, l'immuabilité des évènements et l'effet papillon sont depuis entrés dans le langage courant des films de science-fiction, mais Star Trek reste l'un des pionniers du genre après la littérature.
En à peine 50 minutes, l'épisode tente ainsi de construire une histoire d'amour, une aventure palpitante, tout en nourrissant la complicité de Kirk et Spock. Les ficelles sont parfois grossières : Edith se lance sans vraie raison dans un discours sur les étoiles, et sa mort permet simplement de sauver le monde du nazisme. C'est une visionnaire, une âme pure qui aide son prochain, qui a la conviction profonde que l'humanité est capable d'aller dans l'espace, au-delà des limites de l'imagination.
Mais le message de The City on the Edge of Forever est plus ambigü. C'est à cause d'une manifestation pacifiste, et d'une humaniste, que le nazisme aurait pu triompher. La lecture est plus complexe que prévue, à tel point que Joan Collins, qui interprète Edith, a répété au fil des années que le personne était pour elle une sympathisante nazie. Ellison a affirmé que ça n'avait jamais été l'intention, mais le point de vue a du sens.
L'épisode met en jeu de manière archétypale les notions de sacrifice, de bien commun, et fait entrer en collision la grande et la petite histoire ; Kirk est ainsi tiraillé entre sa mission au sein de la Fédération et sa simple humanité, avec la nécessité de perdre d'une manière ou d'une autre, et de ne pas rentrer victorieux, cette fois.
Preuve que derrière ses vieux effets, son écriture désuette et son aura de pure nostalgie, Star Trek demeure un objet passionnant.
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