Venu du cinéma d’auteur malin et expérimental, passé par le trip sous acides hyper hypé, puis la transe new age mégalo, avant de se réinventer en maître du thriller organique pour s’aventurer du côté du blockbuster faussement biblique et vraiment sous LSD, Darren Aronofsky n’est pas un cinéaste aisé à appréhender. Et gageons qu’avec le renversant Mother !, il va laisser plus d’un spectateur groggy, sidéré par l’uppercut que lui destine le cinéaste.
PRINCESSE DES TENEBRES
En dépit d’un talent monstrueux tant qu’il est question d’assembler des myriades d’images à priori peu compatibles, afin de provoquer chez son public une pure réaction physique en adéquation avec son sujet Aronofsky est toujours demeuré un inébranlable bourrin. Qu’il aborde l’aliénation toxicomane dans Requiem for a Dream, l’Art jusqu’au sacrifice de soi dans Black Swan, ou dans The Wrestler, il ne coupe jamais les cheveux en quatre, se saisit de ses sujets à bras le corps et les jette au visage du spectateur.
Une démarche frontale, souvent brutale, qui concourait à faire de The Fountain un sublime gloubi-boulga ou de Noé une proposition passionnante, hélas jamais en phase avec les spectateurs ciblés, mais qui fonctionne parfaitement avec l’intrigue resserrée de Mother. Nous y suivons Jennifer Lawrence en jeune épouse hallucinée d’un Javier Bardem qui convie sans raison apparente un couple d’inconnus dans leur vaste demeure, laquelle ne tarde pas à se transformer en dédale cauchemardesque.
Avec une hargne jamais atteinte précédemment, le cinéaste crée un réseau d’interprétations et de métaphores, toutes possibles, toutes envisageables, qu’il laissera au spectateur le soin de démêler, préférant se concentrer sur l’impact immédiat généré par les visions qu’il convoque. Son héroïne est-elle une ambassadrice des femmes, phagocytées et parasitées par des désirs masculins conquérants ? Une allégorie de la nature, que l’humain tente par tous les moyens de subvertir et de dominer, ou un emblème de la créativité, de ses détours et violents soubresauts ?
ROSEMARY SANS ANESTHÉSIE
Peu importe. Le metteur en scène est bien trop occupé à engendrer une mosaïque folle, dont les organes vitaux mutent perpétuellement, jusqu’à former un corps hybride et fascinant. Gardant Lawrence au centre de son découpage, il orchestre un dispositif plus économe que d’accoutumée en termes de mouvements d’appareils, et choisit de se focaliser sur le rendu de sa pellicule 16mm, l’irrésistible oppression jaillissant initialement de ses interminables errances dans son décor labyrinthique, avant de lâcher les chevaux.
On se gardera bien de révéler le tournant du film, mais mother! se propose tout simplement de basculer dans la pure hallucination évoluant en un film d’horreur bubonique viral et surpuissant. Alors que le réalisateur sur-multiplie les visions tantôt grotesques, dérangeantes, superbes ou tout simplement puissantes, on en oublie progressivement les nombreux impairs, le côté petit malin démonstratif dont il ne s’est jamais départi pour apprécier la richesse de la vision qui déchire l’écran.
Certes, Aronofsky se hisse toujours sur les épaules de Polanski, Carpenter et Satoshi Kon sans daigner signifier combien il leur doit et son métrage est plus un patchwork d’influences jamais rassemblées auparavant, plus qu’un condensé véritablement original. Il n’empêche, les auteurs capables de tant de radicalité, d’un geste de cinéma aussi enragé et esthétiquement maîtrisé deviennent de plus en plus rares, et on aime trop sortir d’une salle de cinéma titubant, tripes par-dessus tête, pour faire les fines bouches.
EN BREF
Darren Aronofsky est peut-être un petit malin, mais il demeure le plus doué et jusqu'au boutiste, comme le confirme ce mother! radical, parsemé de visions hallucinantes.
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