22 septembre 2017

Ça - Andrés Muschietti


Si La Tour Sombre n'aura pas marqué les esprits, Ça se chargera de raviver la flamme Stephen King sur les écrans. Attendue de pied ferme par les fans de l'écrivain et les amateurs de film de genre, portée par une revue de presse très positive aux Etats-Unis et propulsée par un démarrage extraordinaire au box-office, la nouvelle adaptation du livre est sans conteste l'un des événements de la rentrée. Mais au-delà du buzz, de l'enthousiasme, de l'attente, le film d'Andrés Muschietti est-il à la hauteur ?

IL EST (VRAIMENT) REVENU

Adapter Ça de Stephen King n'est pas une mince affaire. Pas uniquement parce que l'histoire d'amour entre le cinéma et l'écrivain est pavée de déceptions et horreurs : publiée en 1986, cette histoire centrée sur un groupe d'amis qui affronte une entité terrifiante dans la petite ville de Derry, est certainement l'une des œuvres les plus riches de l'auteur. Ça a des airs de pièce maîtresse dans sa carrière, à la fois pour son approche absolue de l'horreur et son portrait terriblement beau et douloureux de l'enfance.

Si le livre est en grande partie connu grâce au téléfilm culte des années 90 avec Tim Curry, le champ était largement libre pour en tirer un film plus noble. Avec la Warner et New Line (derrière Conjuring et compagnie), le réalisateur de Mama Andrés Muschietti et le succès de Stranger Things (à laquelle a été emprunté l'acteur Finn Wolfhard) pour confirmer l'intérêt du public, Ça est donc revenu. Pour le meilleur, malgré quelques ratés.

Le club des Losers version ciné

LES ÉGOUTS DE L'ANGOISSE

L'introduction est un bon indice pour évaluer la couleur du film. La fameuse scène où le petit Georgie est tué dans un caniveau en plein orage installe une belle ambiance, grâce à une mise en scène solide et des effets simples. Le générique très sobre plonge doucement le spectateur dans l'univers, pour mieux l'attraper par la gorge avec la première apparition de la figure démoniaque incarnée par Bill Skarsgård. Plus proche du roman, à la fois dans la forme et dans le fond, cette première scène est une petite réussite qui saura sans aucun doute ravir le public. Et le plan très réussi du titre clôture parfaitement cette entrée en matière.

Mais ce début illustre aussi les limites du film au rayon frissons et horreur graphique. Il y a bien de la chair à vif, une mare de sang et un aperçu de la dimension cauchemardesque de Ça, mais le montage semble presque avoir peur de l'affronter de face - malgré un R Rated aux Etats-Unis, une interdiction aux moins de 17 ans non accompagnés.

Rien de honteux : Ça assure le service, offre une poignée d'images horrifiques parfois saisissantes, et remplit humblement sa mission. Mais Andrés Muschietti ne rend pas entièrement justice à la dimension étourdissante et terrifiante de ce clown venu d'ailleurs.

"Coucou, je suis la mise à jour de vos cauchemars d'enfant"

CLOWNVILLE

Ce plan récurrent où le clown avance vers la caméra, agité de sursauts artificiels au rythme d'un son strident, est un petit aveu de faiblesse de la part du réalisateur. Comme s'il n'avait pas confiance en sa créature au point de devoir l'animer en avance rapide, ou comme s'il devait obéir à un cahier des charges validé par les Conjuring et autres succès de ces dernières années. C'est là une grande limite du film : ne pas avoir su puiser dans ce personnage glaçant la matière à effroi attendue.

Le film a beau raconter une histoire de cauchemar absolu, Ça n'est pas très effrayant ou dérangeant. Il offrira certainement quelques sursauts et frissons mécaniques, mais difficile d'y voir autre chose de plus définitif ou féroce. Trop de jump scares et pas assez d'intensité, trop d'effets de montage et pas assez de mise en scène pure, trop d'apparitions de Grippe-sou et pas assez de moments pour l'exploiter : le clown omniprésent manque d'espace et de temps pour prendre son envol. Même une grande scène de peur comme celle de la projection souffre d'un montage hâché, d'une précipitation qui brise la valeur de l'action et en annule les effets.

Bill Skarsgard est Ça

C'est d'autant plus dommage que Grippe-sou est réussi. Son maquillage (les célèbres Alec Gillis et Tom Woodruff notamment crédités), son costume, son sourire, sa voix, sa façon de se mouvoir : le clown prend une forme captivante, plus vive et reptilienne que dans le téléfilm des années 90. S'il abuse un peu des rires grandiloquents et des expressions hallucinées sur son visage, Bill Skarsgård incarne avec brio la chose, grâce notamment à son corps bien exploité par la mise en scène - le contraste avec la taille des enfants fonctionne très bien. Dans ses meilleurs moments, le film brille par la force de quelques idées qui donnent à l'entité ce caractère fou : un Georgie sous forme de marionnette glaçante, une main qui reste posée sur le rebord d'un tuyau entre deux métamorphoses, une danse finale où le visage de Ça reste statique tandis que le décor tremble. 

Si Andrés Muschietti conserve le côté très mécanique de son premier film, Mama, il se repose sur des arguments solides. La direction artistique est impeccable, avec un soin apporté à tous les étages - la patine des décors, les costumes eighties, jusqu'aux gueules des seconds rôles. Et la photo du Coréen Chung-hoon Chung, collaborateur privilégié de Park-chan Wook depuis Old Boy, offre de superbes images pour créer une atmosphère de conte intemporel. Seul hic regrettable : la musique insignifiante de Benjamin Wallfisch (Dans le noir, Annabelle 2).


LE CLUB DES SEPT

Comme dans le roman, la grande force de Ça est le groupe de héros. Le choix de consacrer un film entier aux enfants (le roman entremêle leurs aventures avec celles des adultes, dans un constant vas-et-vient) est logique, et fonctionne parfaitement : le club de losers est central dans l'histoire, et apporte toute la dimension mélancolique et violente sans laquelle Ça serait un simple croque-mitaine. 

De ce côté, c'est une réussite incontestable : Jaeden Lieberher, Finn Wolfhard, Wyatt Oleff, Jeremy Ray Taylor, Jack Dylan Grazer, Chosen Jacobs et Sophia Lillis forment une superbe bande, drôle et touchante. Les interprètes de Beverly et Richie (Mike dans Stranger Things) tirent leur épingle du jeu : elle, derrière son visage envoûtant, apporte toutes les nuances à ce superbe rôle, certainement le mieux adapté du roman ; lui, grâce à une énergie qui anime le groupe sans pour autant desservir un personnage terriblement touchant.

Si le scénario décevra les fans du livre en laissant de côté énormément de matière, le film compose une jolie harmonie avec ces outsiders attendrissants. Et ce sera bien utile vu la narration bancale, coincée entre démonstrations mécaniques des peurs dans une première partie pas très fine, et scènes d'exposition didactiques où le mystère est décrypté en quelques instants.

Jaden Lieberher et Sophia Lillis : Bill et Bev, personnages inoubliables de Ça

Par petites touches, Ça parvient même à effleurer la force discrète des mots de Stephen King - Ben qui laisse traîner son walkman derrière lui, Eddie qui pose son vélo différemment des autres, la panique de Richie dans la maison, le regard éternellement triste de Beverly et les mots terribles de son père. Le film lutte pour condenser tous les éléments du roman et composer la même toile dramatique, mais se sauve lui-même en visant juste sur ce groupe. Si le métrage passe souvent à côté de la délicatesse de l'histoire, comme lors d'une bataille de cailloux un brin ridicule ou d'une relation trop simplifiée entre Bev et Ben, il brille grâce à ces mômes. En ça, il a compris le livre de Stephen King et tenté de lui rendre justice.

Et ce n'est pas un hasard si tout se termine sur une note douce teintée de mélancolie, plutôt qu'une image d'horreur : lorsque le titre Ça réapparaît pour clôturer le film, avec le sous-titre Chapitre 1 pour avertir le public que la suite arrive, ce n'est pas le sourire infernal du clown qu'il faut garder en tête, mais le cœur de ces beaux losers.

"Allez,viens, on va bien s'amuser !"

EN BREF

Inutile de chercher à démontrer que le film Ça n'est pas à la hauteur du magnifique et terrifiant livre de Stephen King : c'est une évidence. Transposée au cinéma, la première partie de l'histoire devient un petit film d'angoisse efficace mais un peu limité, qui ne parvient pas à capter toute l'ampleur de ce personnage iconique. Mais grâce aux excellents acteurs, une direction artistique très réussie et quelques idées saisissantes, le club des losers nous embarque avec eux.

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