Alors que Ça s’impose comme un succès planétaire, on en apprend de plus en plus sur sa genèse.
En effet, la production du film est bien loin d’avoir été de tout repos. Le projet devait initialement être réalisé Cary Fukunaga, qui avait également rédigé un scénario adapté du roman de Stephen King avec Chase Palmer. Mais le réalisateur de la première saison de True Detective quitte la production en mai 2015, pour être remplacé trois mois après par Andrés Muschietti.
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Cary Fukunaga |
Depuis, Fukunaga a expliqué qu'il s'était heurté aux producteurs, qui refusaient de soutenir sa vision artistique. Sa version ayant donc été abandonnée, on désespérait un peu de la découvrir. Sauf que le texte vient justement d’arriver sur les Internets.
L’occasion était trop belle d’aller jeter un œil sur cette proposition. Je vous recommande de faire de même, pour peu que vous soyez à peu près à l’aise avec l’anglais (le scénario est juste ICI). Et pour les autres, vous trouverez ci-dessous une petite fiche de lecture, qui contient en premier lieu mon opinion sur le scénario, puis une liste des principales différences entre les deux visions de Ça.
Et bien sûr, si vous n'avez pas encore vu la version de 2017, ça va beaucoup spoiler.
LES LARMES DU CLOWN
Un constat s’impose et cela quelque soit votre appréciation du film d’Andrés Muschietti : le script de Palmer et Fukunaga est éminemment supérieur. Beaucoup plus noir, construit avec une fluidité très supérieure (oubliez l’enchaînement stérile de sketch horrifique pendant 50 interminables minutes), le récit est d’une densité et d’une efficacité extrêmement impressionnantes.
On note également le soin avec lequel la narration tend à imbriquer les différents récits, afin d’éviter de les dérouler trop platement. L’ensemble recèle quantité de séquences très radicales et inventives et ose souvent aller beaucoup plus loin que le film actuellement en salles, notamment dans la fidélité à l’horreur conçue par King, mais aussi dans la représentation de la sexualité.
Le choix de situer l’ensemble à la fin des années 80 tout comme la séparation entre les deux lignes temporelles du roman originale sont déjà présentes dans cette version, mais paraissent sur le papier moins abruptes.
Evidemment, il ne faut pas comparer un film bien réel et son ébauche de papier, qui ne verra pas le jour. Néanmoins, se pencher sur ces deux lectures des travaux de King est une excellente façon de s’interroger sur les problématiques d’une adaptation, à fortiori d’un matériau aussi célèbre et complexe que Ça.
LE JEU DES DIFFERENCES
Et quelles sont justement les divergences entre Muschietti et Fukanaga ? J'ai listé pour vous les altérations majeures d’un projet à l’autre.
Dès l’introduction, Richie Tozier est présent, via un talkie-waklie qui lui permet de discuter avec Bill (qui est roux). Cette scène, construite sur un montage alterné entre Georgie dans la cave et la discussion entre son aîné et Richie, contient des références à la Tortue, élément primordial du roman de Stephen King. Comme dans le film de Muschietti, une entité est bien présente, mais on ne la voit pas, pas plus que Georgie, et nous comprenons sa présence par le biais de plans en vision subjective.
La mort de Georgie respectait également l’idée du roman, où l’enfant a le bras arraché par Ça alors que la créature, déjà en train de se repaître de sa victime, la tire de toutes ses forces pour l’attirer dans les égouts, le désarticulant et démembrant au passage. Dans cette version, Bill ne s’illusionne pas sur le sort de son frère, dont le cadavre a été retrouvé dans la rue.
L’humour des enfants est toujours très présent, mais paraît plus « maladroit ».
Henry Bowers s’appelle ici Travis. Les parents des héros sont plus caractérisés et on voit plus nettement leurs traumas respectifs, notamment ceux de Bill, qui interagissent dans plusieurs séquences, et permettent de bien comprendre comment la ville « hypnotise » les adultes au détriment des plus jeunes.
La mère de Beverly est là, ancienne reine de beauté déprimée, obsédée par la puberté de sa fille. On le découvre lors d’une scène particulièrement crue, où elle laisse comprendre à sa fille que sa vie sera une suite de déceptions et d’horreurs, avant de lui lancer un tampon usagé au visage.
Le rabbin n’est pas le père de Stan, mais il l’identifie au fils qu’il a perdu. Stan cherche les toilettes, va dans celles des femmes à la synagogue, où il voit Ça pour la première fois sous la forme d’une femme nue, magnifique, lubrique et en putréfaction. Un hommage à Shining ? Possible.
La confrontation entre Ben et Bowers arrive beaucoup plus tôt mais est quasi similaire, jusqu’à ce que Ben s’enfuie et frappe Bowers avec un enjoliveur.
Comme dans le roman, le club des loseurs construit un barrage dans les friches.
Il y a initialement une défiance entre Mike et les loseurs. C’est lui qui tombe sur les restes de l’usine où sont morts 88 enfants en 1906 lors des célébrations de Pâques, alors qu’il cherche à échapper à Bowers. Hockstettler rencontre Ça dans les ruines du bâtiment, fasciné par les indices marquant sa présence.
Beverly a une première expérience avec les voix du lavabo alors qu’elle urine, seule dans la salle de bain familiale. La scène a une symbolique plus ouvertement sexuelle que celle sanglante de Muschietti.
Il est établi très tôt dans le récit que les adultes ne voient pas les manifestations de Ça.
La question du racisme est abordée frontalement alors que Mike est soupçonné des meurtres d’enfants. Les enfants essaient de prévenir la police.
Le père de Mike, brutalisé par la police, dévoile à son fils comment il a compris l’essence de Derry. Il a assisté et survécu à l’incendie du Black Spot, perpétré par le KKK. Mais Leroy a vu le véritable auteur du massacre : Grippe-Sou qui manipulait les pyromanes et se repaissaient des malheureux survivant aux flammes. Après quoi Mike est confronté à Ça, dans la morgue de l’hôpital, lors d’une longue séquence hallucinatoire particulièrement éprouvante.
Les loseurs ne fraternisent plus avec lui en le sauvant de Bowers et en jetant des pierres, mais en le menaçant avec des feux d’artifices, juste après avoir mis en commun leur connaissances sur Ça. C’est pour échapper à la bande de Henry qu’ils vont se réfugier dans la maison de Neibolt Street. La séquence qui suit est alors très similaire à la confrontation du film de Muschietti, à la différence que le sang y joue un fort rôle symbolique et que les enfants prennent le dessus grâce à leur feux d’artifices.
Un flashback extrêmement violent montre comment en 1979, Ça manipule un bûcheron, lequel fait un carnage dans un saloon de Derry. Il s’agit en réalité d’une anecdote déterrée par Ben.
Ce sont les camarades de Bowers qui découvrent le meurtre de son père. Travis l’a poignardé et flingué à bout portant. Lorsqu’ils découvrent le corps, leur ami est devant la télé, fasciné par une émission animée par Pennywise. C’est lui qui le poussera à les tuer un peu plus tard.
Le climax sous-terrain est très différent. Tout d’abord, les loseurs vont tomber nez à nez avec une énorme membrane remplie d’araignées, la probable descendance de Ça, totalement absente du film actuellement en salles mais présente dans le roman. Ils seront ensuite attaqués par un tentacule appartenant à une créature aquatique qui possède un œil immense et lumineux. Ce sera leur premier contact avec les Lumières Mortes, que Grippe-Sous mentionnera nommément un peu plus tard.
Le groupe l’immole par le feu. Enfin, le changement peut-être le plus important : la fameuse communion sexuelle vécue par les enfants après l’affrontement est ici clairement sous-entendue, en dépit d’une ellipse. On peut raisonnablement supposer que la question était vouée à être abordée ultérieurement.
De quoi permettre d'imaginer un peu plus précisément ce que Ça aurait donné entre les mains de Cary Fukunaga.