Les attentats du 11-Septembre s’expliqueraient d’abord par un conflit d’egos et par un scandale sexuel impliquant le président des Etats-Unis. C’est cette double ligne directrice que suit The Looming Tower, adaptation pour Hulu de l’ouvrage de Lawrence Wright paru en 2006 qui tente de retracer le parcours menant à l’effondrement des tours du World Trade Center dans la première attaque contre le sol américain depuis Pearl Harbour. Cette réduction de la perspective ramène la mini-série de dix épisodes à un simple thriller et ne rend pas tout à fait justice à cet événement.
Les Etats-Unis ne se sont jamais totalement remis de cette série d’attaques coordonnées orchestrées par Al Qaïda qui a coûté la vie à près de 3.000 personnes et a anéanti la certitude de leur supériorité hégémonique. Le sanctuaire de leur territoire n’était plus inaccessible et inviolable. Tout le paradigme de leur sécurité devait être revu, révisé, repensé. Et bien sûr, à l’heure des questions, personne n’est prêt à endosser la responsabilité de cet échec sans précédent.
La commission d’enquête parlementaire qui a mené les interrogatoires après les faits est parvenue à établir que la CIA avait fait preuve de mauvaise volonté dans le partage d’informations confidentielles avec le FBI. Les relations inter-agences étaient empreintes de méfiance, pour ne pas dire plus. Ces mésententes ont facilité la tâche des assaillants et ont ouvert des brèches dans le mur sécuritaire que constituait (en théorie) la communauté du renseignement.
La mini-série s’attarde sur la rivalité et la détestation existant entre John O’Neill (Jeff Daniels), chef du département antiterroriste du FBI (I-49) et Martin Schmidt (Peter Sasgaard), chef du département antiterroriste de la CIA (Alec Station). Ce dernier est présenté comme un personnage arrogant, convaincu de la supériorité de son intelligence, certain que l’agence à laquelle il appartient est la seule en mesure de lutter contre les menaces extérieures. O’Neill est, lui, un individu sanguin, impatient mais compétent qui ne fait pas passer les intérêts particuliers avant l’intérêt général.
Entre les deux, Richard Clarkes (Michael Stuhlbarg) est le conseiller aux questions de sécurité d’une Maison blanche plus occupée à contenir l’incendie allumé par les révélations sur la relation entre Monica Lewinsky et Bill Clinton qu’à se soucier des deux attentats commis le 7 août 1998 contre les ambassades américaines de Dar es Salaam et de Nairobi à quelques minutes d’intervalle.
C’est de cette double opération – d’une portée sans précédent contre des intérêts américains depuis la fin de la Seconde guerre mondiale – que part l’adaptation télévisée pour remonter la route du 11-Septembre. Il était sans doute possible de revenir quelques années en arrière, jusqu’au 26 février 1993, lorsqu’une voiture piégée explosa dans le parking du World Trade Center. Le but était de briser les fondations de la tour nord et de la faire s’effondrer sur la tour sud pour faire un maximum de victimes.
Il était certainement possible de remonter encore plus loin, comme le fait Lawrence Wright dans son ouvrage, peut-être jusqu’au théoricien islamiste égyptien Sayyd Qutb qui, dès les années 40, dénonça le matérialisme et la violence de l’Occident et des Etats-Unis. Cela aurait permis de donner à la série une perspective qui lui fait défaut, au moins dans les trois premiers épisodes disponibles.
MAIS, POURQUOI ?
Cela aurait permis de répondre à la question que posait Aaron Sorkin avec une pertinence brûlante et inaudible à l’époque dans cet épisode unique de The West Wing intitulé « Isaac and Ishmael » : pourquoi nous déteste-t-il autant ? Cette dimension essentielle est absente de The Looming Tower ou plutôt, elle est à peine effleurée.
Ce choix d’adaptation ne rend pas tout à fait grâce à l’aspect documentaire de l’ouvrage de Lawrence Wright qui s’attarde longuement sur les personnes qui ont imaginé et mis au point les attentats du 11-Septembre. Le combat n’a pas commencé quand Oussama ben Laden a décidé d’apparaître devant la caméra d’un journaliste d’ABC News avec une Kalachnikov à la main. Le combat n’a pas commencé quand Ayman al Zawahiri a fomenté les attentats de 1998 en Tanzanie et au Kenya. Il était déjà dans les radars depuis l’assassinat du président égyptien Anouar el Sadate en 1981.
On comprend bien l’intérêt narratif d’aborder la question sous l’angle des rivalités internes aux agences fédérales américaines. Cela est plus facile à écrire, plus facile à comprendre et cela est plus vendeur. Et à la défense des auteurs, cela est exact. S’attarder sur les acteurs de l’attentat, leurs motivations, leurs personnalités, leurs parcours et leurs relations à l’Occident et à l’islam était beaucoup plus compliqué à mettre en scène. Mais cela donnait une perspective plus précise du sujet.
Au-delà de l’intérêt rétrospectif qui aurait mérité d’être mieux traité, The Looming Tower présente aussi (mais peut-être n’est-ce qu’incident) un intérêt prospectif. La lutte d’influence et les chamailleries entre la CIA et le FBI montrent que les Etats-Unis ne peuvent, que cela leur plaise ou non, se replier sur eux-mêmes comme le promet l’actuelle administration en affirmant ne plus vouloir s’intéresser du reste de la planète.
Ils ont été à partir de la chute de l’Union soviétique la seule puissance à pouvoir mener une politique globale, à avoir des intérêts dans l’ensemble des pays du monde. Et cela leur imposait des obligations sécuritaires, à commencer par le maintien d’une présence et de relais nombreux, efficaces et permanents dans la totalité du monde musulman. Ce qui n’était plus le cas à l’époque. Cet aspect, qui explique lui aussi les attentats de 9/11, est évoqué rapidement au détour d’une phrase par O’Neill lors du premier épisode.
Puis il est ramené à une proportion minimale. La question de la relation avec les pays de tradition islamique repose sur le seul personnage de l’agent fédéral Ali Soufan (Tahar Rahil), un Libano-Américain travaillant pour le FBI qui ne supporte pas la version de l’islam que préconisent les djihadistes. Là encore, le sujet méritait (mais peut-être est-ce exploré dans les épisodes suivants) un traitement approfondi pour avoir une vision plus pédagogique.
EN BREF
Sinon, oui, The Looming Tower est un bon thriller, rythmé, auquel il manque un peu de cet aspect terne et répétitif du métier d’agent du renseignement que l’on trouvait dans Rubicon, série de 2010 pour AMC qui n’a connu qu’une saison.
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