Festival de Cannes, César, Oscar, Golden Globes : Mustang a propulsé Deniz Gamze Ergüven sur le devant de la scène en 2016. La réalisatrice franco-turque est de retour avec son deuxième film, tourné en anglais avec deux pointures hollywoodiennes : Kings, avec Halle Berry et Daniel Craig au cœur d'une évocation des émeutes de Los Angeles en 1992, autour du scandale Rodney King.
QUEEN
Le chemin emprunté par Kings n'a pas été aussi calme et lumineux que prévu. Après le succès phénoménal de Mustang en 2015 qui a résonné jusqu'aux Etats-Unis, le deuxième film de Deniz Gamze Ergüven et son premier en anglais était a priori un rendez-vous glorieux, surtout avec deux acteurs hollywoodiens de prestige (Halle Berry et Daniel Craig) et un sujet si fort (une évocation des émeutes de Los Angeles en 1992, suite à l'affaire Rodney King). Kings a d'ailleurs été présenté au festival de Toronto en 2017, devenu la plate-forme de lancement des studios pour la saison des Oscars.
Sauf que l'accueil critique a été glacial et que très vite, le film a gagné une sale réputation. Que Detroit de Kathryn Bigelow n'ait pas rencontré le succès escompté (16 millions de dollars au box-office mondial) l'été dernier, sur un sujet similaire (les émeutes de 1967), n'a pas dû aider. Un parallèle d'ailleurs amusant puisque la réalisatrice oscarisée pour Démineurs avait clairement traité l'affaire Rodney King dans son film de science-fiction Strange Days. Toujours est-il que Kings arrive enfin dans les salles français, et mérite un bien meilleur traitement tant le film est fort et intéressant.
BRILLE UN AUTRE JOUR
Suite à l'acquittement le 29 avril 1992 des quatre policiers filmés en train de frapper Rodney King en mars de l'année précédente, des centaines d'afro-américains expriment leur colère et indignation dans les rues de Los Angeles. Une étincelle qui aura enflammé une communauté abandonnée et maltraitée, avec un bilan effrayant de plusieurs milliers de blessés, une cinquantaine de morts, des milliers d'arrestations et de nombreux bâtiments détruits.
Kings est construit autour de deux poles : celui des adultes et celui des adolescents, divisés dans le chaos des émeutes le temps d'une nuit électrique et bruyante. Les stars sont dans la première case, Halle Berry incarnant une mère de famille débordée, qui recueille des enfants en difficulté, tandis que Daniel Craig est son voisin, écrivain alcoolique, bougon et colérique. Si les deux acteurs sont bien évidemment les visages du film d'un point de vue marketing (avec néanmoins un beau choix du distributeur français de mettre les enfants en avant sur l'affiche), ils sont aussi la faiblesse de Kings.
Deniz Gamze Ergüven a beau affirmer qu'à peu près tous les éléments de son scénario sont tirés de faits réels, la relation entre les deux personnages semble trop artificielle pour convaincre, et embarque le film dans une direction trop différente du reste. La juxtaposition de leurs mésaventures presque comiques, et des drames vécus par les adolescents, créé un étrange fossé au sein du métrage, qui semble tiraillé entre deux énergies. C'est ce qui empêche l'histoire de véritablement s'envoler.
LA FUREUR DE VIVRE
Car le vrai coeur de Kings bat ailleurs. Du côté des adolescents, pris dans le tourbillon de leurs petits sentiments et des grandes émotions de leur pays, le film se révèle particulièrement puissant et évocateur. Au détour d'une traversée hallucinée de nappes de fumée qui transforment Los Angeles en décor de film d'horreur, d'une apparition aussi tendre que lumineuse d'une fille pas comme les autres, ou d'une introduction tétanisante d'une violence absolue, Deniz Gamze Ergüven confirme ses talents évidents de réalisatrice, capable de composer une image et un cadre de pur cinéma.
Elle rappelle aussi son regard précis en terme de casting et direction de jeunes acteurs, avec notamment les excellents Lamar Johnson et Rachel Hilson. Tous deux sont excellents dans Kings, et portent à la perfection sur leur visage la violence de l'adolescence brisée par les évènements L'actrice est particulièrement épatante, mini-tornade qui passe de la femme à l'enfant à un regard et un cri.
Si Kings souffre donc d'une construction un peu bancale, qui l'empêche de véritablement trouver son identité et sa voie. Le poids de deux acteurs du calibre de Halle Berry et Daniel Craig y est certainement pour quelque chose, tant ils alourdissent le film une fois réunis dans leurs propres mésaventures. Mais peu importe : en face, la puissance des jeunes est magnifique, et suffit à embraser le film en quelques séquences.
EN BREF
Kings souffre d'une construction bancale et d'une partie plus faible autour des deux stars hollywoodiennes, mais brille du côté des adolescents, superbement interprétés et filmés.
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