24 février 2018

D'Avengers à Black Panther : Marvel, ou la propagande positive de l'Histoire américaine ?


Si Black Panther s’impose rapidement comme un phénomène ainsi qu’un accomplissement politique, c’est entre autres parce qu’il s’inscrit dans une mouvance bien particulière du 7eArt, régulièrement usitée par Marvel et Disney, à savoir la réécriture positive de l’Histoire.

Ne montez pas sur vos grands chevaux, rien de sale là-dedans, et pas l’ombre d’une critique. Il s’agit d’une démarche évidemment problématique dans le cadre d’une pratique historique académique, mais plutôt courante et stimulante artistiquement parlant. À titre d’exemple, c’est exactement ce que fit Quentin Tarantino dans Inglourious Basterds.

Captain Symbol et le Monde de Demain

Son film se terminait en effet sur l’exécution ultra-violente d’Adolf Hitler par ses héros, au cœur d’un cinéma. Le but n’est évidemment pas de faire croire au spectateur que Brad Pitt et ses copains ont effectivement zigouillé l’affreux moustachu, mais bien d’offrir au cinéma un territoire métaphorique entre allégorie, réflexion en creux et revanche sur un passé parfois douloureux ou terrible. Un espace fantasmatique donc.

À ce titre il est intéressant de voir quand et comment Marvel a choisi de réécrire l’Histoire à travers trois exemples éclairants.

Quand les Avengers rejouent (et déjouent) le trauma initial du XXIème siècle

AVENGING 9/11

New-York face à l’imminence d’une catastrophe causée par des appareils volants étrangers qui percutent des immeubles. Cela pourrait être le résumé d’un film catastrophe lambda, malheureusement c’est également aussi le résumé des attentats du World Trade Center, vécus du point de vue américain. Mais c’est aussi celui d’Avengers.

À une époque où détruire joyeusement et massivement des villes entières comme dans Armageddon, Deep Impact ou Independance Day n’amuse plus personne et tandis que fleurissent les propositions sombres comme Cloverfield ou La Guerre Des Mondes, les comics furent le remède parfait pour renouer avec l’héroïsme et l’innocence.

Nos héros américains font littéralement face à une invasion du sol new-yorkais venue du ciel.Impossible de ne pas y lire le 9/11. Mais ici, dix ans après, la destruction n’aura pas lieu. Cette fois, un assemblage composite de héros mené par Captain America prévient les pertes massives, se met entre les civils et les aliens et dévie les monstres volants de leurs courses fatales. Et à la fin du film, l'imagerie du 11 septembre sera convoquée pour mieux être exorcisée : les gens communieront joyeusement sur une catastrophe évitée de justesse dans un New-York intact, au lieu de faire le deuil de leurs morts.


CAPTAIN PATRIOT ACT

Dans Captain America : Le soldat de l'hiver, les frères Russo se sont fait connaître du grand public et des fans de Marvel, tout comme ils ont mis au centre de leur récit un évènement abondamment commenté de l’histoire américaine contemporaine. Ici, Steve Rogers découvre que sa trombine et ses collègues sont la cible d’un terrible complot.

Non seulement un mystérieux assassin au bras d’acier veut massacrer ses copains d’amitié et n’est autre que son frère d’armes Bucky Barnes, laissé pour mort mais retapé par les Soviétiques, mais le Cap ne va pas tarder à comprendre que quelque chose de plus terrible encore se trame.

Le Soldat de l'Hiver, vrai-faux adversaire de Steve Rogers

H.Y.D.R.A. la branche secrète du IIIème Reich, autrefois dirigée par Red Skull, s’est infiltrée depuis des décennies au sein de la société américaine et de ses organes de décisions publiques. Elle a mis sur pied un système d’espionnage global, rendu possible au lendemain des évènements d’Avengers et de l’attaque de Manhattan. Système qui servira en réalité à réduire les libertés, asservir les américains et permettre à un Etat dans l’Etat d’émerger.

Il s’agit bien sûr d’une relecture du Patriot Act, loi liberticide et terreau du système de surveillance mis en place sous l’administration Bush, que dénoncera quelques années plus tard Edward Snowden. Mais dans le monde de Marvel, c’est à Captain America, c’est-à-dire l’incarnation de l’âme américaine, que revient la mission de percer à jour cet évènement et l’empêcher d’advenir. Dans le monde de Disney, le gouvernement américain, dont la forfaiture est incarnée à l’écran par Robert Redford, est montré du doigt, et vaincu, tandis quel’esprit de l’Amérique, s’il ne sera plus jamais le glaive de l’Administration, met à jour l’Etat profond et fédéral – repoussoir symbolique depuis la disgrâce de J. Edgar Hoover.

Ou comment transformer Steve Rogers en simili-lanceur d’alerte.

Captain America, lanceur d'alerte (et de bouclier)

WAKANDA, OU LAVER LA SOUILLURE COLONIALE

Le Wakanda est un rêve d’une Afrique épargnée par le colonialisme et toujours en possession de ses ressources naturelles fabuleuses. Si cela permet de fantasmer une Afrique noire puissante qui aurait été à la pointe de la technologie si certains peuples occidentaux étaient restés chez eux, cela permet surtout, et c’est probablement plus important encore, d'esquisser une représentation d'une réalité alternative possible si une partie de la population d'origine africaine ne vivait pas au rythme d’une désappropriation culturelle imposée par une « hypnose » occidentale (vous venez de comprendre Get Out).

En grattant un peu la surface, on y retrouve également un peu d’Amérique. Le Wakanda est en effet un pays tiraillé entre deux doctrines : celle de T’Challa - ou en tout cas de la tradition du Wakanda dont il est le représentant - qui veut que le pays reste replié sur lui-même et aveugle aux tourments du monde, et celle de Killmonger, qui lui veut étendre son idéologie par une méthode agressive combinant interventions armées et déstabilisations de régimes (Killmonger a dû avoir de très bonnes notes à la CIA). Entre les lignes, le film rejette l’isolationnisme américain, particulièrement fort en cette ère Trumpienne, et l’impérialisme américain.

Bienvenue au Wakanda

Black Panther tente, par la voix de Nakia d’abord au début du film, de montrer une troisième voie. Celle-ci serait, pour résumer, celle d’une aide internationale, voire, à mesure que le film avance, d’un recours à une instance supérieure aux nations. Si l’on suit Black Panther jusqu’au bout, l’ONU se désembourbera ainsi grâce au leadership du pays qui se rendra compte le premier qu’il faut aider les nations à régler leurs problèmes par elles-mêmes plutôt que de faire de l’interventionnisme.

Probablement quelque chose que la Syrie de notre monde aurait apprécié. Ainsi et d'une manière plus globale, c'est 70 ans de politique étrangère américaine que Ryan Coogler se propose de réécrire, à travers le prisme d'un pays imaginaire pensé à l'écran pour exorciser les péchés d'une certaine Amérique.

T'challa et les siens : voies de la sagesse d'une Amérique rêvée ?

15 février 2018

Chrono-Critique : Phantom Thread - Paul Thomas Anderson



Un « fil invisible », tel est le seul indice donné par le titre. S’agit-il du fil à coudre qui permet au réputé Reynolds Woodcock de dissimiler des secrets, totems et messages dans ses créations ? Est-il question du lien qui le rapproche de la haute couture, une obsession qui annihile tout autre centre d’intérêt dans sa vie ? Ou alors ce fil fait-il référence à la relation qui a su naître entre le styliste et la belle Alma ? Probablement, un peu de tout ça. Car Phantom Thread est une œuvre féconde, d’une richesse inouïe et d’une élégance rare. Dans le Londres des années 50, la maison Woodcock est prospère, tout le gratin de la haute société s’arrachant leurs créations. À sa tête, un designer colérique tendance insociable dont le quotidien est uniquement rythmé par son travail. Rien ne doit venir perturber sa routine calibrée à la minute près. Sa rencontre avec une serveuse va pourtant tout chambouler, l’union naissante créant un désordre inédit dans la demeure. Entre le pervers narcissique et la muse indocile, c’est une liaison bien moins simpliste que prévue que va capturer l’objectif de Paul Thomas Anderson. 


Avec maestria, le cinéaste esquisse un amour nécessairement différent entre deux êtres torturés à leur manière, dont le rapport dominant / dominé serait bien trop réducteur pour le qualifier. Dans un jeu de miroir et de nuances, le film dépeint un couple rapproché par l’art mais éloigné par le quotidien, où tout n’est qu’apparences et faux semblants. Reynolds a eu beau essayé de façonner Alma à son image, l’obligeant à pénétrer dans son monde (la séquence troublante des essayages du premier rendez-vous), celle-ci conserve sa personnalité désinvolte, quitte à faire exploser au visage de son compagnon les faiblesses qu’il s’évertue à dissimuler. Avec ce personnage typiquement andersonien (l’homme dont la tyrannie sert à lui donner la force de croire justement en sa propre puissance), le métrage dresse un portrait déconcertant d’un artiste qu’on peut notamment interpréter comme l’alter ego du réalisateur.


Plus qu’un autoportrait détourné, Phantom Thread vrille au thriller psychologique mâtiné d’une romance sadomasochiste. Derrière son faux classicisme, ce drame soigné s’impose comme l’une des œuvres les plus dérangées de son auteur. Dans le cadre étouffant de cette bâtisse aux couloirs exigus et aux espaces resserrés, Paul Thomas Anderson aime enfermer ces protagonistes dans des gros plans, ces visages dont la chaire rougit ou blanchit au rythme du récit. La plongée est aussi radicale que sublime ; la mise en scène autant virtuose que profondément déstabilisante. S’il venait à s’agir de la dernière performance de Daniel Day-Lewis, comme tend à le prouver ses récentes interviews, ce dernier tour de piste aura été à l’image de son personnage : parfaitement chic et raffiné. La classe tout simplement.

11 février 2018

Le Rituel - David Bruckner


David Bruckner est l'un des artisans du cinéma d'horreur actuel, mais pas forcément le plus démonstratif. Après V/H/S/, The Signal ou encore Southbound, il retourne dans le fantastique une nouvelle fois avec Le Rituel et signe, au passage, probablement son meilleur film. En tout cas, le plus abouti.

Plus qu'aucun autre, le cinéma d'horreur est un genre ultra balisé, avec ses figures imposées et ses clichés incontournables. Si Le Rituel n'entend jamais casser ces codes en vigueur depuis des décennies, il ne s'interdit pas, par contre, d'en jouer et de les agrémenter à sa sauce pour faire vivre à son spectateur une expérience assez traumatisante. Disons-le d'emblée, Le Rituel rappelle énormément dans son principe le cultissime The Descent de Neil Marshall, sorti il y a (déjà) 13 ans. Et, loin de constituer un handicap, cette filiation spirituelle devient pour David Bruckner un véritable acte libérateur.

Quatre amis face à des trucs bien chelou

SKOL OFENSTRU

Comme dans The Descent, nous nous retrouvons face à une histoire de deuil impossible, de dépression et de culpabilité. En l'occurrence celle de Luke qui a assisté à la mort de Rob, un ami d'enfance, dans le braquage d'une supérette. Transi par la peur, il n'est pas intervenu, alors qu'en plus leurs potes les attendaient dehors. 6 mois plus tard, les quatre amis décident d'effectuer la randonnée que leur avait proposé Rob le soir de sa mort : un trekking en Suède où ils lui rendent un dernier hommage. Mais, en déviant du chemin qui les conduit au refuge, ils sont surpris par l'orage et tombent sur une cabane abandonnée où ils décident de passer la nuit. Probablement la plus mauvaise décision de leur vie. 

Nous n'irons pas plus loin dans le résumé de l'histoire (qui dévoile le premier quart du film) parce que Le Rituel compte énormément sur sa surprise pour impressionner son spectateur. Et il y arrive parfaitement. Evidemment, le spectateur aguerri de ce genre d'histoire reconnaîtra immédiatement les balises posées par un scénario qui n'en déviera jamais vraiment. Pourtant, malgré une attention de tous les instants, le fan se fera quand même balader, parce que l'histoire du Rituel n'est de loin pas le coeur du film.

Rafe Spall, excellent

PAS UN NOUVEAU PROJET BLAIR WITCH

Ce qui frappe d'emblée, c'est l'excellence de son design sonore, sa gestion du silence, ses bruitages environnants familiers et inquiétants. Le Rituel pose en quelques plans une ambiance ultra efficace qu'il ne quittera jamais jusqu'à son impressionnante conclusion. La forêt est un labyrinthe étrange qui en appelle à notre imagination débordante lorsque nous perdons nos repères et que nous essayons de résister à la peur. Dans le même ordre d'idée, les personnages du film sont admirablement bien construits. Basiques certes, mais tellement bien définis que l'on croit sans problème à cette bande de potes unis dans la douleur et une situation qui les dépasse. Chacun a son rôle, sa fonction, sa logique et une bonne partie de leurs relations se base sur ce soutien mutuel tout autant que sur les doutes vis-à-vis de ce qu'ils vivent. Si les quatre comédiens sont très bons, c'est bel et bien Rafe Spall qui emporte le morceau, excellent, totalement investi dans son rôle, dévoilant une palette d'émotions tout aussi complexes que contradictoires et intenses.

Dépasser le trauma, facile à dire...

L'autre grande qualité du film, c'est la gestion de son horreur et de son argument fantastique. Jusqu'au dernier acte, plus brut de décoffrage et donc plus classique, Le Rituel construit son mystère avec une certaine maestria, par suggestions, apparitions éclairs en arrière-plan, dans le flou de la profondeur de champ. Il gère tout aussi bien ses quelques jump-scares, jamais intempestifs, toujours justifiés et ô combien efficaces. Pour dire les choses comme elles sont, même si le film ne se regarde pas sur un écran de cinéma (ce qui est fort dommage), il fonctionne et parvient à nous coller cette frousse de l'inconnu et de l'obscurité que nous n'avions plus vraiment ressenti depuis... The Descent justement. Ajoutons à cela la très belle facture visuelle du film, la forêt est magnifique, les jeux d'ombres et de lumière parfaitement maîtrisés  tour à tour glaçants et rassurants jusqu'à la découverte d'une cruelle réalité que le film nous fait accepter de façon totalement naturelle parce que ses personnages nous ont permis, dans leurs réactions et leurs questionnements, d'y croire autant qu'eux. Non, vraiment, Le Rituel est un petit bijou à ne pas manquer.

EN BREF

Beau, terrifiant, sombre, dépressif, émouvant, Le Rituel est très loin de la copie crainte et prouve qu'en utilisant les codes du genre à bon escient, on peut proposer une aventure intense et troublante sans pour autant se trahir. Disponible sur Netflix.

05 février 2018

The Cloverfield Paradox - Julius Onah


L'univers Cloverfield continue de surprendre. Après avoir livré une suite inattendue intitulée 10 Cloverfield Lane, la saga continue avec The Cloverfield Paradox, longtemps connu sous le nom de God Particle. Attendu au cinéma et repoussé plusieurs fois, le film de Julius Onah a été mis en ligne par Netflix par surprise, honorant la tradition imprévisible de la série. 

THE NETFLIX PARADOX

Une sortie annoncée en février 2017. Puis en octobre 2017. Puis en février 2018. Puis en avril. Et enfin, la rumeur Netflix, suivie d'une sortie-surprise annoncée en grande pompe avec la première bande-annonce lors du Super Bowl aux Etats-Unis. Étrange chemin que celui de The Cloverfield Paradox donc, longtemps connu sous le titre God Particle, et porté par un beau casting (Gugu Mbatha-Raw, David Oyelowo, Daniel Brühl, Zhang Ziyi, Elizabeth Debicki).

Avec son budget de 45 millions, loin des 25 de Cloverfield et des 15 de 10 Cloverfield Lane, The Cloverfield Paradox devait logiquement atterrir dans les salles de cinéma. D'autant que cette troisième histoire est la plus spectaculaire, puisqu'elle est la première à se dérouler dans l'espace, à bord d'une station où une équipe de chercheurs travaille sur une expérience dangereuse et unique en son genre, pour sauver la Terre d'une grave crise de ressources qui menace de provoquer des guerres. Pourquoi ce Cloverfield se retrouve t-il donc sur Netflix ? Probablement parce qu'il n'est pas à la hauteur.

CLOVERFIELD LAME

Comme 10 Cloverfield Lane, The Cloverfield Paradox n'était pas un film de la saga à l'origine. Et plus encore que la première suite, il laisse la nette impression que l'univers des aliens géants produits par J.J. Abrams a été introduit aux forceps dans cette histoire de réalité parallèle, qui voit l'équipage d'une station spatiale affronter d'étranges phénomènes suite à une expérience qui vire à la catastrophe.

Pendant ce temps-là, sur Terre

La structure elle-même indique clairement et tristement le lourd effort pour faire coexister deux films en un, avec d'un côté ces héros perdus dans les étoiles, et de l'autre le mari de l'héroïne, qui se réveille en pleine apocalypse sur Terre. Les éléments plus ou moins évidents qui relient ce The Cloverfield Paradox à la série (d'un décor mémorable à une certaine grosse chose, en passant par l'apparition à la télévision d'un Mark Stambler, quand John Goodman incarnait un Howard Stambler dans 10 Cloverfield Lane) n'apportent rien de plus que de maigres rations à celui qui pistera les ponts entre les films, avec une impression d'artificialité peu satisfaisante. L'origine des bestioles, sous-entendue dans l'intrigue, reste laissée de côté.

Que le film passe d'une une vague silhouette dans la fumée à une apparition spectaculaire, finalement lancée à la face du spectateur programmé pour attendre sa dose, témoigne bien de l'impossible équation derrière ce projet bancal. A l'heure où les univers étendus sont devenus la nouvelle obsession des studios, l'univers Cloverfield, pourtant si charmant hier, a muté en un machin indéfinissable, à la mythologie fourre-tout et de moins en moins divertissant.

SUPER F-HUIT

The Cloverfield Paradox est par conséquent l'entrée la plus faible de la série, loin de l'effet de mystère-surprise du premier film en found footage, et de l'efficacité irrésistible de la modeste suite de Dan Trachtenberg avec Mary Elizabeth Winstead. Après un bon départ qui oriente le film vers une aventure spatiale premier degré à la Sunshine (un groupe de diverses nationalités envoyés dans l'espace pour sauver l'humanité), la chose déraille vers une formule de série B, à base de dimension parallèle, phénomènes mystérieux et mises à mort graphiques. Sauf que le résultat est loin d'offrir les sensations fortes, les images marquantes ou les personnages un minimum solides indispensables à la formule.

Daniel Brühl et Zhang Ziyi

Ce qui aurait pu donner un petit cauchemar en huis clos parfaitement sympathique dans la lignée du récent Life - Origine inconnue, se révèle néanmoins d'une platitude étonnante, notamment vu le budget confortable (le magnifique Sunshine de Danny Boyle a coûté moins cher). Hormis une ou deux mises à mort éventuellement amusantes, The Cloverfield Paradox se résume à une suite de scènes banales et désincarnées dans des couloirs bien éclairés, où une bande d'hommes et femmes a priori intelligents aura besoin d'un long moment avant d'imaginer que le chaos ambiant a été causé par leur machine expérimentale - alors même qu'ils écoutaient juste avant un illuminé dire à la télévision qu'ils allaient déchirer l'espace-temps et libérer les enfers.

Lorsque l'action s'emballe et offre de l'explosion ou de la sensation, rien de bien extraordinaire, excitant ou vu mille fois ailleurs et en mieux au rayon science-fiction. La sortie dans l'espace à grand renfort d'effets spéciaux manque de souffle, les sacrifices et morts s'enchaînent sans passion, les moments traités comme des révélations semblent parfaitement artificiels, et la galerie de personnages est d'une fadeur affolante.

L'accent mis sur l'héroïne incarnée par Gugu Mbatha-Raw, vue dans Free State of Jones ou encore un des meilleurs épisodes de Black Mirror, condamne l'histoire à tourner au pamphet pro-famille d'une niaiserie exaspérante, quand les seconds rôles se révèlent parfaitement inconsistants - mention spéciale à Zhang Ziyi, qui ne parle pas anglais pour de mystérieuses raisons. C'est particulièrement tragique avec en main des acteurs aussi solides que David Oyelowo, Daniel Brühl et Elizabeth Debicki.

Gugu Mbatha-Raw méritait mieux.

L'ODYSSÉE PAS ÉPAISSE

Si The Cloverfield Paradox a pour lui une direction artistique ultra-classique mais certainement agréable, avec notamment la photo très clinquante de Dan Mindel qui avait officié sur les Star Trek et Star Wars : Le Réveil de la Force de J.J. Abrams, il laisse l'étrange impression d'un film sans queue ni tête. S'y croisent des scènes de dialogues d'une banalité effarante pour quiconque a vu quelques films du genre, des percées quasi-comiques parfaitement absurdes, des moments pensées comme purement horrifiques, des tentatives d'aller dans le spectacle hollywoodien et des désirs de questionnements très sérieux sur la vie. 

L'esthétique spatiale de sous-Star Trek.

Le cocktail ne donne rien de bien satisfaisant, et laisse surtout imaginer une version alternative, qui aurait simplement assumé une dimension plus modeste et évidente, centrée sur un équipage subitement perdu dans l'espace. Là, avec une gentille envie de flirter avec le Event Horizon de Paul Anderson perceptible ça et là, ce Cloverfield 3 aurait certainement pu devenir le penchant SF de 10 Cloverfield Lane, et donc une réjouissante série B qui n'a nul besoin de multiplier les plans à effets pour faire de l'œil au spectateur, jusqu'à un final qui semble avoir été scotché pour justifier le titre. Le seul paradoxe de ce troisième film, c'est son gros budget, son gros casting, ses grosses ambitions, et son tout petit résultat.

EN BREF

The Cloverfield Paradox est l'épisode le moins réussi, le moins sympathique, et le plus apte à prouver que ce projet d'univers Cloverfield est une bien mauvaise idée.