11 juin 2017

Alien Covenant : box-office tiède, promo confuse, public divisé... la saga est-elle morte ?


Alien : Covenant ne va vraisemblablement pas être un succès à la hauteur des attentes.

Dans l'espace du box-office, il faudra crier bien plus fort pour que la saga Alien continue de vivre. Du moins, sous la forme envisagée par Ridley Scott qui n'a cessé de vendre l'idée d'une franchise de prequels destinée à se reconnecter à la saga originelle, à laquelle il a donné naissance en 1979 avec Alien, le huitième passager.

Mais encore faudrait-il que le public envoie un signal suffisamment fort au studio Fox. Ce qui n'est pas encore le cas : avec un budget officiel de 97 millions, auxquels il faudra ajouter les frais marketing très conséquents, Alien : Covenant n'a pas franchi la barre des 180 millions de dollars de recettes. Aux Etats-Unis, le film a encaissé moins de 70 millions. 

C'est très loin des scores de Prometheus, qui avait coûté 130 millions mais avait terminé sa carrière à un peu plus de 400 millions, dont 126 aux USA. La comparaison est d'autant plus dure que Covenant est sorti sur plus d'écrans américains : 3 772, contre 3 442 pour le précédent film.

Noomi Rapace et Michael Fassbender dans Prometheus

En France, même bilan à moindre échelle : Prometheus avait attiré 1,8 millions de spectateurs après un démarrage autour des 800 000 entrées. Covenant a commencé aux alentours de 675 000, et n'a pas dépassé 1,2 millions après un mois d'exploitation.

La Fox doit donc espérer que la Chine, où le film sort mi-juin, et éventuellement le Japon, qui devra patienter jusqu'en septembre, pour avoir un bilan plus positif. La saga étant moyennement populaire en Asie, et la Chine ayant par ailleurs décidé de couper sauvagement le film pour en minimiser la violence (il a été classé R aux Etats-Unis : interdit aux moins de 17 ans non accompagnés, comme Prometheus), rien n'est moins sûr.

Katherine Waterston sera t-elle éjectée de la saga comme Noomi Rapace ?

LE DÉMARRAGE RATÉ

Le carrière en salles de Covenant a mal commencé. A sa sortie américaine, le film de Ridley Scott avec Michael Fassbender et Katherine Waterston a décroché de justesse la première place du podium avec 36,1 millions de dollars, devant Les Gardiens de la galaxie Vol. 2 qui, avec 35 millions, menaçait de garder sa position deux semaines après sa sortie. En deuxième semaine, la nouvelle aventure des xénomorphes a accusé une spectaculaire chute de fréquentation de 70%, pour dégringoler à la quatrième place.

Là encore, Prometheus enfonce le clou : le film avec Noomi Rapace et Charlize Theron avait démarré avec 51 millions de dollars, et avait nettement moins chuté en deuxième semaine aux Etats-Unis (-59%). 

La chute de fréquentation est un signal fort : c'est la preuve que le bouche-à-oreille n'est pas positif, que l'intérêt du public s'évapore très vite, et que le champ est libre pour la concurrence. La bataille étant rude dans les salles, où les blockbusters se suivent de manière affolante, le premier week-end et la deuxième semaine permettent vite de prédire la carrière d'un film.

Allégorie du week-end de la sortie américaine de Covenant

LA PROMO ALIÉNÉE

Un box-office d'autant moins glorieux que la presse américaine a rapporté les coûts marketing particulièrement élevés d'un film pour lequel la Fox aurait dépensé près de 23 millions rien pour que les publicités à la télévision. Comparé aux 12 millions dépensés par la Warner sur le petit écran pour Wonder Woman, le chiffre est significatif.

Si le film divise beaucoup le public et la presse, tout le monde s'accordera pour dire que le studio a mené une promo particulièrement confuse et étrange qui n'a probablement pas aidé Alien : Covenant en salles. En plus des nombreux signaux contradictoires sur l'histoire, le retour de Noomi Rapace et sa nature exacte de suite de Prometheus, le film aura livré une tonne d'images et vidéos insensées.

Le fameux prologue quasi absent du film

Vidéo qui présente l'équipage en plusieurs minutes, prologue avec Shaw (Noomi Rapace) qui fait le lien avec Prometheus, sorte de teaser centrée sur l'héroïne qui s'apprête à affronter un alien sur le vaisseau : la promo a donné à voir beaucoup de scènes absentes du film, qui auront nourri la déception des spectateurs, ou au minimum contribué à rendre la chose plus que cryptique.

Au fil des semaines, le public aura ainsi eu accès à du gadget comme la publication d'une vidéo de réalité virtuelle à 360° (qui aura définitivement défloré l'une des premières séquences importantes de l'intrigue) ou la possibilité de créer un Walter personnalisé avec un quizz ridicule, un spot TV qui révèle sans honte une autre des victimes de la bête, ou d'autres qui vendent de l'horreur found footage avec des images là encore absentes du montage. Sans parler des images livrées à la presse, qui auront peu à peu brisé un à un les mystères du film.

La stratégie marketing de la Fox aura donc été un étrange cirque, presque douloureux à suivre, qui aura incontestablement contribué à perdre le public et brouiller les pistes. Et ce n'est pas la tentative de reserrer le curseur sur la créature elle-même, avec les affiches finales, que le mal aura été réparé.

Un des étranges spots TV qui vend presque un autre film

LE DÉSAMOUR DES ALIENS

Alien : Covenant marche pourtant dans les pas de Prometheus à bien des égards. Les deux films réalisés par Ridley Scott divisent profondément la critique et le public, partagés entre la passion de voir le cinéaste explorer et ouvrir la mythologie, et l'exaspération face à des films très bancals, qui co-existent difficilement au sein du même univers - sans même parler de leur place au sein de la mythologie d'Ellen Ripley. 

Sur Rotten Tomatoes, qui reste un bon indicateur de la satisfaction critique et publique, les deux films sont sur un terrain proche : Prometheus récolte 73% de la presse et 68% du public, tandis que Covenant est à 71% et 61%. En France, même constat : la suite est légèrement moins bien reçue, par les spectateurs et la presse. De là à dire que Covenant n'a réglé aucun des problèmes de Prometheus mais les a au contraire confirmés, il n'y a qu'un pas.

Alien, la résurrection, sorti en 1997

Si la nature même des prequels est à questionner, il est bon de rappeler que le score des films, notamment aux USA, est la suite logique de la saga avec Ripley, qui aura de moins en moins intéressé le public - notamment américain. En 1979, Alien, le hutième passager a rapporté plus de 100 millions dont 80 aux Etats-Unis, pour un budget de 11 millions. Aliens, le retour de James Cameron a coûté le double, et n'a pourtant rapporté "que" 131 millions, dont 86 aux Etats-Unis.

La tendance USA/monde s'inverse dès Alien 3 de David Fincher : le film qui a officiellement coûté une cinquantaine de millions (chiffre à questionner vu la production chaotique) rapporte près de 159 millions de dollars, principalement à l'international (104, contre 55 aux USA). Alien, la résurrection de Jean-Pierre Jeunet le confirme : un budget de 75 millions, 161 millions de recettes, dont seulement 47 aux Etats-Unis. Des films de moins en moins rentables, et de moins en moins validés par les Américains.

Prometheus avait certainement redressé la barre, avec 126 millions aux USA sur un box-office total autour de 400 millions, mais Covenant semble indiquer que l'enthousiasme était fragile. En ça, les prequels rappellent les deux films Alien vs Predator : le premier épisode signé Paul Anderson, avec un budget de 60 millions, a rapporté 172 millions dont 80 aux USA. En revanche, la suite a fait moitié moins bien sur le sol américain. Et Covenant semble suivre le même chemin, condamné à récolter quasiment deux fois moins que Prometheus, à la fois dans le monde et sur le territoire américain.

Prometheus : à la recherche des fans satisfaits

L'ALIEN PAUMÉ

Alien : Covenant signe t-il donc l'arrêt de mort des xénormorphes sur grand écran, alors même que les studios se débattent pour ressortir leurs grandes marques pour théoriquement minimiser les risques et s'offrir la faveur confortable du public ?

Le box-office en demi-teinte de Covenant est sans nul doute un frein aux projets de Ridley Scott. Depuis Prometheus et plus encore pendant la parade promo de la suite, le réalisateur n'a eu de cesse de vendre une franchise au nez des fans. En mars, il évoquait au détour d'une phrase la possibilité d'offrir jusqu'à six films : "Si vous avez envie d’une franchise, je peux encore en faire six. Je ne vais pas m’interrompre encore une fois. Pas question !". 

Peu de temps après, il mentionnait un film intitulé Awekening qui se déroulerait entre Prometheus et Covenant, tout en affirmant qu'il y aurait encore trois suites en cas de succès. Il évoquait même la possibilité de ramener Ripley en rajeunissant Sigourney Weaver grâce à la technologie.

Depuis, le réalisateur a dormi un peu, et s'est calmé pour parler d'une suite ou deux, maximum. En mai, il affirmait néanmoins terminer un scénario et prévoir de tourner un film l'été prochain. 

Difficile de déchiffrer les plans du cinéaste, dont le rôle dans l'arrêt du projet Alien 5 de Neill Blomkamp avec Sigourney Weaver a depuis été plus ou moins officialisé. Ce qui est certain néanmoins, c'est qu'il a toujours parlé de la nécessité d'un succès au box-office, que Covenant n'a pas véritablement rencontré. 

Ridley Scott sur le tournage de Covenant : la sortie, c'est par là

L'ALIEN EN DANGER

La série des prequels reste dans tous les cas très difficile à saisir. Entre les concept arts qui révèlent des éléments abandonnés qui répondaient pourtant aux principales questions posées par beaucoup de spectateurs, et les déclarations de Damon Lindelof (scénariste de Prometheus) qui signale que Covenant serait bel et bien une parenthèse dans les grands plans de la franchise, il semble clair que cette prélogie Alien brille par son manque de maîtrise à différents niveaux - à l'écran, dans l'œil du public, dans l'esprit du réalisateur et des scénaristes.

Ce n'est d'ailleurs pas pour rien qu'un roman, qui comblera les trous entre les deux films, a été annoncé. A l'heure où Marvel est accusé de moins s'intéresser à chaque film qu'au teasing pur, avec l'éternelle promesse d'une suite au prochain épisode, la saga des xénormorphes semble aller dans une impasse.

L'origine de cette fragilité pourra être retracée jusqu'à la genèse même de Prometheus, dont le scénario et l'identité ont profondément mutés en cours de route. Le premier scénario, signé Jon Spaihts, était un vrai et honnête prequel d'Alien avec notamment la planète LV-426 et des facehuggers. Cette version regorgait en outre de scènes brutales et sanglantes. Les Ingénieurs avaient le plan très clair de détruire l'humanité avec une armée de facehuggers, et le film raccrochait les wagons au fameux Space Jokey à la fin.

David : le vrai héros/monstre qui intéresse Ridley Scott

Mais Ridley Scott a jugé cette approche trop claire. Ou : Ridley Scott a compris que le film offrirait tout ce qui était promis au public, fermerait trop de portes pour d'éventuelles suites, et l'empêcherait certainement d'explorer le véritable sujet qui le passionne (la question de la création, centrée sur David). Damon Lindelof a donc été engagé pour remanier le script et réarranger divers éléments, par ci par là. La plupart des personnages, des péripéties, des scènes, ont été conservés mais pliés, au service d'ambitions différentes. Un rafistolage qui a de toute évidence posé problème.

La violence du premier scénario a ainsi disparu, pour réapparaître dans Covenant. Le cinéaste s'en défendu en disant qu'il avait écouté le public pour lui offrir sa dose de xénormorphes. Une excuse moyennement satisfaisante, venant d'un artiste si puissant qui a prouvé qu'il était plus capable de ne pas suivre les tendances et prendre le spectateur à rebrousse-poil.

Ridley Scott sur le tournage du premier Alien

Un double discours contradictoire qui frôle l'enfumage, et qui aura (consciemment) nourri la guerre des clans : entre ceux qui aiment et détestent passionnément les films, ceux qui reconstruisent les ambitions bien au-delà de l'histoire à l'écran et ceux qui ne comprennent pas pourquoi Scott a utilisé la marque Alien pour raconter cette odyssée de la grande création, ceux qui sont fascinés par la profondeur de l'entreprise et ceux qui n'y voient qu'une parade faussement intellectuelle et vraiment chaotique.

La Fox n'a pour le moment rien officialisé sur la suite des opérations, mais le futur de la franchise sera clairement questionné. Après avoir grillé le projet de Neill Blomkamp au nez des fans surexcités pour laisser les clés à Ridley Scott, le studio va devoir prendre de grosses décisions. En prenant soin de ne pas abîmer la marque, perdre la face en laissant l'histoire dans une impasse ridicule, ou vexer le prestigieux réalisateur qui est encore capable d'assurer le service (Seul sur Mars a été un énorme succès en 2015, avec plus de 630 millions au box-office et sept nominations aux Oscars).

D'ici là, un autre monument de la science-fiction signé Ridley Scott reviendra sur le devant de la scène : Blade Runner 2049, de Denis Villeneuve, attendu en octobre. Avec l'apparition discrète d'Ingénieurs dans la bande-annonce, et les nombreuses évocations d'un univers éventuellement commun entre les aliens et les Replicants, l'héritage du cinéaste semble de plus en plus d'actualité. Et le cœur de ses fans, plus fragile que jamais.

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