Après des mois de polémiques variées et de promotion intense, Ghost in the Shell débarque sur les écrans du monde entier, avec l’ambition affichée de donner naissance à une nouvelle lucrative franchise. Hollywood peut-il digérer une œuvre aussi dense et révérée ?
Rarement projet aura semblé aussi risqué, voire kamikaze. Originellement un riche manga signé Masamune Shirow, puis diptyque animé du maître Mamoru Oshii avant de muter en passionnante série, Ghost in the Shell est d’une invraisemblable richesse ; un matériau d’une formidable diversité, qui aura fédéré sur le long terme des cohortes de fans allant de l’amateur de science-fiction au spécialiste du cyberpunk, en passant par l’afficionado de réflexion métaphysique jusqu’à l’otaku occidental.
Ces derniers n’avaient d’ailleurs pas manqué de pointer les péchés supposés de l’adaptation qui nous intéresse, à commencer par son whitewhashing, incarné par le casting de Scarlett Johansson (plainte assez curieuse, quand on connaît l’esthétique métissée et kaléidoscopique qui préside à l’univers en question).
SHELL A VIE
La première très bonne surprise du film de Rupert Sanders (Blanche-Neige et le chasseur) est donc de parvenir à retranscrire intelligemment et fidèlement une œuvre-monde terriblement complexe. Dès les premières images du métrage, on est ainsi sidéré par le degré de précision déployé par le récit et la direction artistique pour incarner les codes ou identités remarquables qui ont fait l’ADN de Ghost in the Shell. Le moindre accessoire, le plus petit morceau de coursives et jusqu’à certains figurants ont ainsi été reproduits, transcrits, avec un soin maniaque.
Même la polémique artificielle concernant l’occidentalisation du chef d’œuvre séminal est adressée avec une rare intelligence. Vous redoutiez que Scarlett Johansson ne puisse s’effacer pour incarner le Major Kusanagi ? Rassurez-vous, Rupert Sanders accorde avec justesse une grande place à cette problématique, faisant de l’apparence caucasienne du personnage principal un questionnement identitaire fondamental, présenté ici avec une belle acuité.
Autre raison de se réjouir : Ghost in the Shell ne se limite pas à un objet de cinéma fétichiste, conçu pour caresser le fan dans le sens du poil. S’il ne réinvente jamais la poudre, le scénario du blockbuster s’échine simultanément à mener son récit selon un rythme trépidant, collant à la concision qui faisait la force du premier long-métrage, tout en établissant clairement ses enjeux.
Enjeux qui sont parfois trop simplifiés, mais suivent une progression plus cohérente et soignée que la plupart des grosses productions actuelles. Le film ne cherche jamais à sidérer son public, il s’efforce avec réussite de lui permettre de saisir les clefs conceptuelles de l’œuvre originale. En découle une narration très fluide, claire, beaucoup plus maîtrisée que dans le tout-venant du cinéma de divertissement grand public.
GHOST Y ES-TU ?
Pour autant, Ghost in the Shell se casse les dents sur certains écueils inhérents au programme qu’il déroule. Car à trop vouloir dupliquer le canon esthétique établi par Oshii, Sanders se fait trop fidèle. On a beau être ravi de retrouver les Geishas mécanique d’Innocence, la combinaison « stealth » du premier métrage ou encore les chiens de Batou, ces duplicatas font du film un produit étrangement daté.
Car le 7ème art n’a pas attendu pour s’inspirer de Ghost in the Shell. Dès Matrix, Hollywood avait entamé le travail de digestion que semble ignorer Sanders. En ne tenant pas compte de la manière dont ces codes ont évolué ces 20 dernières années, le métrage souffre en partie du syndrome John Carter, qui entame grandement sa potentielle modernité. Un sentiment particulièrement vivace lors du dernier acte, très artificiel dans sa volonté de clore les différents arcs narratifs, tout en pavant la voie d'une hypothétique trilogie.
De même, on comprend rapidement que pour satisfaire le spectateur averti et simplifier le récit, le scénario choisit de gommer une grande part de ses questionnements métaphysiques, en mixant les intrigues du premier anime et de la seconde saison de la série. Un choix qui séduira sans doute les spectateurs en quête d’entertainment mainstream, mais frustrera terriblement ceux qui espéraient retrouver la portée philosophique inhérente à Ghost in the Shell. On est ainsi plus proche d’une relecture cyberpunk de Robocop que d’une réinterprétation des brillants travaux de Shirow et Oshii.
Au final, impossible de ne pas considérer avec indulgence ce Ghost in the Shell pour les nuls, qui ne méprise jamais son public et cherche à démocratiser ses aînés avec une réelle sincérité. Impossible également de ne pas regretter la disparition de ce qui faisait le sens, et donc la grâce, de cet entêtant fantôme.
EN BREF
Ghost in the Shell ne nous prend jamais pour des demeurés et s'efforce de respecter son modèle, quitte hélas à se transformer en écho affaibli et simpliste de l'oeuvre originale.