20 octobre 2016

Devine qui vient dîner ? - Stanley Kramer


Traitant avec audace de sujets sensibles et se révélant engagée sous les devants légers de la comédie, Devine qui vient dîner ? est une oeuvre typique du Nouvel Hollywood. Elle fait de Sidney Poitier le premier acteur noir à pouvoir être qualifié de "star" et lui offre un très beau premier rôle, entouré de Katharine Hepburn et de Spencer Tracy. Exploitant pleinement les talents de ce trio principal luxueux, Stanley Kramer livre une oeuvre à la variation de ton surprenante et à la pertinence constante.



Titre sympathique et familier - du fait que ce soit une phrase comme issue d'un dialogue de la vie de tous les jours, générique coloré : on semble face à une comédie de base, doucement agréable et même empreinte d'un certain formalisme. Mais on se détrompe bien vite ! Tandis que l'on aperçoit un couple heureux sortant d'un aéroport, si l'on n'a pas le contexte en tête, on ne peut pas saisir pleinement la signification du fait que la femme soit blanche et l'homme noir. Nous sommes à la fin des années 1960, dans des Etats-Unis hantés par la ségrégation raciale, tandis que Martin Luther King vit dans la lutte constante ses dernières années, sans le savoir. Ainsi, ces amoureux, "originaux" au sein d'une telle société, ne peuvent même pas encore entrevoir le bout de leurs malheurs ! La problématique est donc posée d'emblée : comment gérer une union entre deux jeunes gens de couleurs différentes au milieu de ces Etats-Unis majoritairement racistes ? Comment réagit un couple se disant libéral (au sens américain du terme) face à une situation aussi extrême que le mariage de leur fille unique à un homme de couleur ? Il suffit de voir le visage de Katharine Hepburn, que la caméra ne se décide pas à quitter presque tout au long de la scène de la première rencontre, pour saisir violemment toute la gravité du problème qui se pose pour ces protagonistes, qui voient leurs convictions soudainement ébranlées. Avec surtout l'apparition irrésistible de Spencer Tracy qui incarne le père de la jeune Joey, les dialogues du début sont relativement théâtraux, avant de se faire de plus en plus sérieux, tout en restant saupoudrés d'un certain comique de personnage avec notamment celui du père Ryan. Ainsi, le film se situe constamment à mi-chemin entre la comédie et le drame. Cette double identité de l'oeuvre est appuyée par le constant espoir qui semble habiter la jeune Joey (lumineuse Katharine Houghton) tandis que son fiancé John, un peu plus grave mais surtout plus sensé, donne tout son calme à la fois émotif et réfléchi à l'histoire.


Le cadre de cette histoire si farfelue n'est autre que San Francisco et n'est certainement pas anodin. En effet, cette ville de Californie a toujours été connue pour être plus ouverte culturellement et tolérante que la moyenne états-unienne, avec notamment le plus grand Chinatown du pays. Ainsi, c'est certainement dans cette ville plus que tout autre qu'un débat si inaccoutumé que celui auquel se trouve face le spectateur - est possible. Il serait tout de même bien rare de trouver, ailleurs qu'à San Francisco, un "réseau d'individus" aussi ouverts d'esprits que le sont les Drayton et leur ami prêtre. Aussi étrange que cela puisse paraître, c'est donc la domestique noire des Drayton qui se révèlera être la plus grinçante quant à la signification purement "raciale" de la situation, dénigrant le jeune et talentueux John en ne le percevant que comme un homme trop noir pour être aussi parfait que l'indique son CV. Un tel décalage apparaît quelque peu comique et rend le film encore plus singulier qu'il ne le semblait au premier abord... Bien vite, le débat qui s'organise entre les protagonistes - auxquels les parents de John sont venus se joindre! - délaisse toute notion de choc des cultures pour s'orienter vers l'avenir des deux tourtereaux. Un avenir bien sombre qui les attend certainement, du fait du contexte politico-social de l'époque. Stanley Kramer façonne des personnages doutant certes de leurs opinions dans un premier temps mais ne se préoccupant par la suite que du bonheur des leurs, aussi dur soit-il à atteindre. En cela, le cinéaste se fait déjà foncièrement optimiste vis-à-vis des rapports entre blancs et noirs aux Etats-Unis. De plus, l'histoire prend peu à peu ses distances avec la politique et l'ethnique pour se rapprocher du drame purement humain, où prévalent l'affection d'une mère pour son enfant ou l'amour respectueux et compréhensif d'un homme pour son épouse... Organisant sans esbroufe mais avec une indéniable fluidité un huis clos où la pression va crescendo, le réalisateur n'hésite à rendre quelques tirades assez solennelles pour susciter en nous la même anxiété, stimuler la même réflexion que ses personnages. On en redemanderait !


EN BREF

Formulant de manière percutante et pertinente un débat relativement tabou en 1959, Devine qui vient dîner ? brille par ses dialogues constamment pertinents et par sa capacité folle à nous porter d'une scène de pure comédie à une séquence bien plus grave, tournée vers les moeurs racistes des Etats-Unis de l'époque et sur les espoirs qu'on peut y entretenir - ou pas. Les comédiens, emmenés par de magnifiques Sidney Poitier, Katharine Hepburn et Spencer Tracy, décuplent la force de cette oeuvre phare du Nouvel Hollywood, simplement incontournable !

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