25 octobre 2016

Seul sur Mars - Ridley Scott



Avant de nous embarquer pour Prometheus 2, Ridley Scott se retrouve Seul sur Mars. Sorte d’Apollo 13 mâtiné d’anticipation pop et d’effets spéciaux à tous les étages, le film sort sur les écrans après avoir fait très forte impression au Festival de Toronto. Qu’en est-il de ce Robinson Crusoé sur la planète rouge ?

Après plusieurs œuvres torturées pour ne pas dire franchement désespérées, on pouvait supposer que Sir Scott ferait de cette aventure spatiale une odyssée un peu éprouvante. Contre toute attente, Seul sur Mars s’avère de très loin le film le plus détendu de son auteur, un feel good movie assumé et optimiste. Grâce à un montage qui joue avec intelligence des contrastes (la fourmilière de la NASA, la solitude du héros, les oppositions dialogues/monologues), le film multiplie les coupures au sein de son rythme et fait preuve de beaucoup d’humour.


La réussite de l’ensemble, au-delà du sens du spectacle indiscutable de Scott et de la très bonne tenue du casting, tient à la performance de Matt Damon. Ce dernier retrouve ici une simplicité, mélange évident de charisme et de malice, qui faisait cruellement défaut à ses dernières prestations, parfois trop empesées. Il est l’âme du métrage, celui par lequel sa roublardise et sa générosité parviennent jusqu’au spectateur. Même lors des séquences les plus classiques ou stéréotypées du film, son énergie parvient à renouveler sans mal notre intérêt.

L’autre accomplissement de l’aventure tient à son mélange d’inventivité et de réalisme, ou comment équilibrer à la perfection le grand écart entre science pure, invention, et jeu avec le spectateur. Seul sur Mars jongle ainsi avec différentes tonalité qui se combinent à merveille. Ni film catastrophe, encore moins pur récit d’aventure, pas plus qu’œuvre d’anticipation pompeuse, le blockbuster s’avère une sorte de comédie épique à l’atmosphère étonnamment positive, entièrement dédiée au bien-être du public en quête de sensations fortes.

Childish Gambino ma gueuuuuule !

LA CROISIÈRE S'AMUSE

Le metteur en scène nous offre donc son film le plus divertissant et accessible de longue date, mais aussi le plus anodin. L’angoisse existentielle de Cartel est envolée, aucune trace des questionnements spirituels qui tordaient son Exodus, ou même des tensions symboliques qui animaient Prometheus. Si Seul sur Mars est incontestablement plus polissé que ces derniers, il est aussi moins consistant.

C’est ce qui fait sa limite objective, ce qui lui interdit de nous troubler et de nous rester en mémoire avec la même insistance. Bien sûr, on pourra s’amuser de l’espèce de bras de fer virtuel entre le métrage et Interstellar (pas franchement en faveur de Christopher Nolan), noter l’aisance avec laquelle l’artiste orchestre pour nous un grand spectacle impeccablement maîtrisé, mais aussi regretter l’absence totale de mise en danger.


EN BREF

Divertissant et malin, le film de Ridley Scott ne marquera pas les mémoires mais ne manque pas de panache.

20 octobre 2016

Devine qui vient dîner ? - Stanley Kramer


Traitant avec audace de sujets sensibles et se révélant engagée sous les devants légers de la comédie, Devine qui vient dîner ? est une oeuvre typique du Nouvel Hollywood. Elle fait de Sidney Poitier le premier acteur noir à pouvoir être qualifié de "star" et lui offre un très beau premier rôle, entouré de Katharine Hepburn et de Spencer Tracy. Exploitant pleinement les talents de ce trio principal luxueux, Stanley Kramer livre une oeuvre à la variation de ton surprenante et à la pertinence constante.



Titre sympathique et familier - du fait que ce soit une phrase comme issue d'un dialogue de la vie de tous les jours, générique coloré : on semble face à une comédie de base, doucement agréable et même empreinte d'un certain formalisme. Mais on se détrompe bien vite ! Tandis que l'on aperçoit un couple heureux sortant d'un aéroport, si l'on n'a pas le contexte en tête, on ne peut pas saisir pleinement la signification du fait que la femme soit blanche et l'homme noir. Nous sommes à la fin des années 1960, dans des Etats-Unis hantés par la ségrégation raciale, tandis que Martin Luther King vit dans la lutte constante ses dernières années, sans le savoir. Ainsi, ces amoureux, "originaux" au sein d'une telle société, ne peuvent même pas encore entrevoir le bout de leurs malheurs ! La problématique est donc posée d'emblée : comment gérer une union entre deux jeunes gens de couleurs différentes au milieu de ces Etats-Unis majoritairement racistes ? Comment réagit un couple se disant libéral (au sens américain du terme) face à une situation aussi extrême que le mariage de leur fille unique à un homme de couleur ? Il suffit de voir le visage de Katharine Hepburn, que la caméra ne se décide pas à quitter presque tout au long de la scène de la première rencontre, pour saisir violemment toute la gravité du problème qui se pose pour ces protagonistes, qui voient leurs convictions soudainement ébranlées. Avec surtout l'apparition irrésistible de Spencer Tracy qui incarne le père de la jeune Joey, les dialogues du début sont relativement théâtraux, avant de se faire de plus en plus sérieux, tout en restant saupoudrés d'un certain comique de personnage avec notamment celui du père Ryan. Ainsi, le film se situe constamment à mi-chemin entre la comédie et le drame. Cette double identité de l'oeuvre est appuyée par le constant espoir qui semble habiter la jeune Joey (lumineuse Katharine Houghton) tandis que son fiancé John, un peu plus grave mais surtout plus sensé, donne tout son calme à la fois émotif et réfléchi à l'histoire.


Le cadre de cette histoire si farfelue n'est autre que San Francisco et n'est certainement pas anodin. En effet, cette ville de Californie a toujours été connue pour être plus ouverte culturellement et tolérante que la moyenne états-unienne, avec notamment le plus grand Chinatown du pays. Ainsi, c'est certainement dans cette ville plus que tout autre qu'un débat si inaccoutumé que celui auquel se trouve face le spectateur - est possible. Il serait tout de même bien rare de trouver, ailleurs qu'à San Francisco, un "réseau d'individus" aussi ouverts d'esprits que le sont les Drayton et leur ami prêtre. Aussi étrange que cela puisse paraître, c'est donc la domestique noire des Drayton qui se révèlera être la plus grinçante quant à la signification purement "raciale" de la situation, dénigrant le jeune et talentueux John en ne le percevant que comme un homme trop noir pour être aussi parfait que l'indique son CV. Un tel décalage apparaît quelque peu comique et rend le film encore plus singulier qu'il ne le semblait au premier abord... Bien vite, le débat qui s'organise entre les protagonistes - auxquels les parents de John sont venus se joindre! - délaisse toute notion de choc des cultures pour s'orienter vers l'avenir des deux tourtereaux. Un avenir bien sombre qui les attend certainement, du fait du contexte politico-social de l'époque. Stanley Kramer façonne des personnages doutant certes de leurs opinions dans un premier temps mais ne se préoccupant par la suite que du bonheur des leurs, aussi dur soit-il à atteindre. En cela, le cinéaste se fait déjà foncièrement optimiste vis-à-vis des rapports entre blancs et noirs aux Etats-Unis. De plus, l'histoire prend peu à peu ses distances avec la politique et l'ethnique pour se rapprocher du drame purement humain, où prévalent l'affection d'une mère pour son enfant ou l'amour respectueux et compréhensif d'un homme pour son épouse... Organisant sans esbroufe mais avec une indéniable fluidité un huis clos où la pression va crescendo, le réalisateur n'hésite à rendre quelques tirades assez solennelles pour susciter en nous la même anxiété, stimuler la même réflexion que ses personnages. On en redemanderait !


EN BREF

Formulant de manière percutante et pertinente un débat relativement tabou en 1959, Devine qui vient dîner ? brille par ses dialogues constamment pertinents et par sa capacité folle à nous porter d'une scène de pure comédie à une séquence bien plus grave, tournée vers les moeurs racistes des Etats-Unis de l'époque et sur les espoirs qu'on peut y entretenir - ou pas. Les comédiens, emmenés par de magnifiques Sidney Poitier, Katharine Hepburn et Spencer Tracy, décuplent la force de cette oeuvre phare du Nouvel Hollywood, simplement incontournable !

14 octobre 2016

Chrono-Critique : Splash - Ron Howard


Faire croire...à l'incroyable !
Toute la magie incomparable, irrésistible, du Cinéma !
Alors, oui, vive "Le goût des merveilles" !



Et s'offrir régulièrement une cure de rêve, de merveilleux, c'est, à la réflexion, un choix bien réfléchi ! Digne d'une vraie ambition cinéphilique puisque cela consiste à éviter le piège du sectarisme forcené en visionnant, par exemple, l'austérité asiatique de L’île nue et deux soirs plus tard le feu d'artifices (autre nom de trucages) très tête dans les étoiles d'E.T..
Le film-cure à ne pas manquer, en 1984, c'était ce Splash, éclaboussant de poésie et d'imaginaire. Réalisé par un inconnu désormais célèbre, il raconte une histoire à la mesure de la part d'enfance que tout un chacun se doit de préserver en lui. Une histoire d'amour, ça va de soi, mais merveilleusement - au sens étymologique, donc - compliquée par les personnalités des deux intéressés.


Lui est un jeune américain des 80's. Signe particulier et déroutant pour ses proches : depuis l'époque ou, enfant, il a failli se noyer, il est sujet à un pessimisme sentimental tout à fait maladif. Pessimisme qui, bien sûr, va s'évanouir d'emblée dès le premier regard liquéfiant d'extase échangé avec Elle. A tel point qu'il ne prend même pas conscience de tous les étranges mystères qui marquent leur rencontre et, très vite, leur idylle.

En fait, il est si ébahi de vivre enfin le Grand Amour avec une "créature de rêve" (et comment !), "visage de madone" et "corps de sirène", qu'il ne va jamais soupçonner qu'elle en est justement une ! Celle-là même qui hante sa mémoire via la vision d'une petite fille surgissant sous l'eau pour le sauver d'un simple contact d'une noyade certaine.

Seul un savant a percé le secret de la jolie sirène, mais personne ne veut le croire quand il affirme qu'"Attention ! Une femme peut en cacher une autre"...


En dire davantage est priver de plaisir visuel les curistes en mal de rêve cinématographique. Ce qu'il faut dire, par contre, est que celui-ci fonctionne remarquablement bien. La raison principale étant liée aux effets spéciaux que Ron Howard fait intervenir de façon à ce qu'ils servent à fond la dimension maritime, poétique, du récit. Les séquences sous-marines sont "harponnantes" !

Riche d'action et d'humour, Splash doit beaucoup de son fluide séducteur à Daryl Hannah, jouant la sirène. Un rôle si peu évident au départ qu'elle aurait pu y laisser des... écailles ! Au contraire, elle est on ne peut plus convaincante ; et grâce à la fraîcheur quasi-enfantine de son jeu, la magie opère jusqu'à la fin du film.

Qui, toujours sous l'angle du merveilleux, ne finit pas en queue de poisson !

05 octobre 2016

L'échelle de Jacob - Adrian Lyne


Les années 90, décennie généralement regardée de haut par les amoureux de cinéma, recèle pourtant de pépites. Généralement, il s’agit du seul film véritablement remarquable de leur auteur, comme c’est le cas avec L’échelle de Jacob. Ou quand le réalisateur de Flashdance, 9 semaines 1/2 et Liaison fatale est tout à coup touché par la grâce et livre un des plus beaux cauchemars sur pellicule du cinéma contemporain.
L’échelle de Jacob, avant qu’Adrian Lyne ne soit impliqué dans le projet, est une création de Bruce Joel Rubin, scénariste du drame fantastique Ghost mais surtout de Brainstorm, le second des trois longs métrages réalisés par Douglas Trumbull. Ses récits bénéficient d’une certaine cohérence. Histoires d’amour étranges, exploration mentale, rêves et réalité qui s’entremêlent, omniprésence du deuil… autant d’éléments qui, dans L’échelle de Jacob, sont traités via le prisme du cauchemar et de la démence. C’est l’occasion pour Adrian Lyne, réalisateur de quelques films cultes bien qu’assez médiocres, de briller. Avec un scénario en or massif et un casting aux petits oignons, il s’adapte parfaitement avec une mise en scène torturée qui vient sublimer chaque élément du récit. En résulte un film au parfum particulier, très marqué par le fantastique 90’s (Angel Heart n’est sorti que 3 ans plus tôt) et qui représente parfaitement l’illustration infernale des cauchemars de son auteur, au même titre que Terminator.

Le film souffre pourtant d’une réelle injustice. Assez peu vu, et donc rarement mentionné parmi les pépites des années 90, il fait pourtant partie des œuvres les plus importantes du cinéma américain ayant abordé le trauma de la guerre du Vietnam. Tout d’abord car il traite le retour en Amérique sous un angle inédit, celui des démons qui se manifestent réellement, à tel point que le trouble qu’il crée est total. L’échelle de Jacob est-il un drame dans lequel les cauchemars du pauvre héros de guerre s’illustrent via des visions ? Ou est-ce un pur film fantastique ? Le film évolue entre deux eaux, et c’est probablement un des éléments essentiels de son pouvoir de fascination. A l’image du personnage de Jacob dans la séquence d’ouverture, par ailleurs délicieusement étrange et kafkaienne, l’intrigue et la nature du film se retrouvent entre deux voies, se réservant le choix définitif pour le tout dernier moment. Adrian Lyne fait preuve d’une belle aisance pour brouiller les pistes, avec une technique de mise en scène affirmée et un jeu sur le montage qui vient semer le doute sur la santé mentale de Jacob. Jacob, un nom qui n’est pas le fruit du hasard. Il est un prophète, et par le fameux songe de l’échelle, il entre en contact avec le secret de Dieu. A ses côtés, Jezebel, non pas sa femme mais la créature de ses fantasmes à laquelle il aurait eu accès. Jezebel, dans la Bible, détourne le roi Achab de Dieu.

La symbolique religieuse est omniprésente dans L’échelle de Jacob. Des démons semblent tout droit sortis des enfers, mais les anges sont également présents, à travers le personnage de Louis, le chiropracteur. Le film est d’ailleurs assez clair à ce sujet, peut-être même trop. L’image de Danny Aiello en contre-plongée, avec au dessus de lui une lumière ressemblant étrangement à une auréole, est largement suffisante. Que Jacob lui mentionne ouvertement qu’il est son ange gardien est un aveu de faiblesse d’un film qui se veut parfois trop explicatif, qui ne fait sans doute pas assez confiance à son public. Néanmoins, l’ensemble reste suffisamment opaque afin de ne pas imposer une seule interprétation à l’odyssée cauchemardesque de Jacob. Est-il vivant ? Est-il mort ? A-t-il été au Vietnam ou non ? Rêve-t-il ? Est-il fou ? De nombreuses questions restent en suspens. Adrian Lyne joue la carte du thriller paranoïaque dopé aux visions infernales, lui permettant à la fois d’aborder un sujet clairement politique (la manipulation de l’armée, le silence des élites, les expériences secrètes…) et quelque chose d’alors assez moderne, qui aura sans doute inspiré les créateurs de Silent Hill : un réel tout à coup contaminé par des créatures hideuses et difformes.

Chaque vision de cauchemar est un véritable choc graphique, au moins aussi insolent que celles du Hellraiser de Clive Barker. Les deux films partagent ce goût pour le malaise et le macabre, avec dans L’échelle de Jacob ces plans terrifiants de l’hôpital, où des créatures mutilées évoluent au milieu de membres humains sanguinolents jonchant le sol. Comme souvent avec ce genre de séquences, il s’agit de symboles surréalistes faisant appel à la chair pour illustrer un état mental. C’est puissant, choquant, et extrêmement évocateur. Le film ne manque d’ailleurs pas de séquences chocs, qu’il s’agisse de cette fête tournant à l’orgie démoniaque, ou la scène du bain glacé. A l’inverse, d’autres scènes font tâche, et notamment celle de l’enlèvement de Jacob, à cause d’une séquence de « poursuite » en voiture un brin ridicule. Quelques menus défauts qui n’affectent au final que très peu l’ensemble du film. Les cauchemars/traumas de Jacob permettent à Adrian Lyne d’explorer d’innombrables sujets, des conséquences psychologiques de la perte d’un enfant (avec les apparitions d’un tout jeune Macaulay Culkin) à la corruption du système judiciaire (l’occasion de profiter du talent de l’excellent Jason Alexander).

Chaque spectateur peut se faire sa propre interprétation des évènements de L’échelle de Jacob, avec un final qui reste relativement ouvert. La multiplication des symboliques religieuses en fait probablement un des plus éprouvants voyages au purgatoire, où Jacob passera différentes épreuves pour enfin rejoindre son fils. Tim Robbins y livre une de ces prestations habitées dont il a le secret et excelle dans la peau de cet homme au bord de la rupture, qui va devoir accepter son état pour s’élever. Et si le film fonctionne si bien, c’est qu’Adrian Lyneparvient à faire partager au spectateur cet état mental instable où la réalité se voit pervertie par des visions sorties d’un cauchemar. Imparfait mais souvent brillant, L’échelle de Jacob mérite une réévaluation certaine.