28 décembre 2016

Star Wars : Rogue One - Gareth Edwards


Premier spin-off produit par Disney, marqué par une production tourmentée (reshoots, départs, rumeurs, etc…), Rogue One a la difficile mission de convaincre le public que la saga Star Wars peut survivre à l’industrialisation sérialisée déjà expérimentée par Disney avec Marvel.

Star Wars : Rogue One nous propose donc d’explorer les évènements évoqués dans l’introduction de l’Episode IV, à savoir la récupération par l’Alliance Rebelle des plans de l’Etoile de la Mort. De ce postulat découle deux éléments qui façonnent cet épisode. Premièrement, nous évoluons dans un monde dénué de Jedi (tous massacrés par Vador et l’Empire à l’exception de Ben Kenobi) et où la Force n’est donc plus le fortifiant dramatique et spectaculaire qu’elle fut dans toute la saga. Deuxièmement, c’est l’occasion d’en apprendre plus sur la Résistance, jusqu’ici plutôt survolée au cinéma.


BON PIED BON BLASTER

Gareth Edwards est bien conscient que pour donner vie à Rogue One, il doit absolument traiter et incarner ces deux idées, quitte à révolutionner la grammaire de Star Wars. Oubliez la mise en scène ample de Lucas et la copie appliquée d’Abrams. Le monde qui se déploie ici est en guerre et la frontière entre le bien et le mal y est particulièrement floue, comme en témoigne la caractérisation de tous les personnages, définis par leur rapport (ambigu) à la violence. La première conséquence de ce changement de paradigme est une caméra, portée le plus souvent à l’épaule, qui colle aux personnages, épouse leurs soubresauts et la moindre inflexion de leurs corps.

Rogue One plonge fréquemment dans la mêlée, avec un souci de lisibilité, une quantité de jeux d’échelle et surtout un art de la transition qui confine parfois à la pure fulgurance, lorsque découpage, pyrotechnie et montage se combinent à la perfection. On pouvait craindre qu’une orientation « sombre » dénature l’ADN et les enjeux traditionnels de la série. Au contraire, Edwards fait justement du bien et du mal la question centrale de son œuvre.


Le spectateur se retrouve ainsi écartelé. D'un côté, une rébellion dévoyée, tant le désespoir la pousse à une violence brute et contre-productive. De l'autre, un Empire, certes cruel et violent, mais capable d’apparaître comme une alternative au chaos, voire un promontoire social. L’enjeu pour la troupe emmenée par Felicity Jones ne sera donc pas tant de remporter une victoire décisive, mais de donner forme à la Résistance, à la faveur d’un acte aussi désespéré que symbolique. Puisqu’il n’est pas question ici de la dynastie Skywalker, ou d’enjeux planétaires déguisés en conflits générationnels, Rogue One se paie le luxe d’incarner enfin le titre emblématique de la saga : c’est bien d’une guerre menée dans les étoiles qu’il est question.

JE SUIS TON PREQUEL 

Puisque la partie se joue sans sabres laser, pouvoirs surnaturels ou deus ex machina télékinésiques, non seulement la dramaturgie se voit renforcée, mais pour la première fois, chaque combat, chaque affrontement est doté d’un enjeu véritable. La caméra le sait et nous plonge donc viscéralement aux côtés de nos héros, avec une absence bienvenue de distance et de second degré.


C’est que la charge épique de Rogue One ne laisse guère de place pour la rigolade – exception faite d'une poignée de répliques du droïde K-2SO – tant le programme est chargé. C’est simple, le métrage est de loin le plus spectaculaire Star Wars jamais vu au cinéma. Dog fights, fusillades, embuscades, affrontements stellaires… Le film contient quasiment autant de morceaux de bravoure que l’intégralité de la première trilogie.

Ce déluge guerrier n’intervient véritablement que dans la seconde partie du métrage. Dans la première, où les transformations apportées par les reshoot, parfois très fonctionnelles et mécaniques, sont les plus voyantes, le film prend son temps et s’échine à construire un récit à plusieurs voix de la manière la plus appliquée qui soit.


POUSSIÈRE D'ETOILE

Mais Rogue One n’est pas simplement une aventure parallèle dopée à La Chute du Faucon Noir et flanquée de références à Apocalypse Now. Sur le papier, ce récit qui se focalise sur la petite histoire et s’interdit le recours à la Force s’impose comme le Star Wars le plus tragique, et ce de très loin. Si les dialogues prennent parfois un peu trop de place, ils recèlent quelques pépites magnétiques (« There’s a problem with the horizon, there’s no horizon »), telle que la saga n’en n’avait pas offertes depuis Un Nouvel Espoir.

Jusque dans sa dimension poétique, le film nous réconcilie avec la saga, le surnom donné à un personnage (Stardust), d’apparence lourdement naïf, s’avérant d’une portée mélancolique sublime dans les derniers instants de ce périple.


GRAND BLESSÉ

Ce premier spinoff commandé par Disney n’est pas pour autant exempt de menus défauts. On ignore encore quelle quantité du film a été retournée et dans quelles conditions, mais on sent ici et là une volonté de rendre la mécanique plus apparente, plus simple, au détriment d’un matériau humain plus brut, mais sans doute trop abrasif pour le studio. Si le personnage de Forest Whitaker, sorte de mélange entre Vador et le colonel Kurtz, impressionne la rétine, on voit bien comment le studio a (depuis le premier teaser dévoilé il y huit mois) aplani le personnage. Il en va ainsi de plusieurs scènes, qu’on sent étonnamment désincarnées ou inutilement bavardes. Par exemple, il faudra enchaîner pas moins de trois monologues dignes d’Independence Day avant que le film n’embarque sur son troisième acte furibard.

Ces coups de mous, bien moins fréquents que dans Le Réveil de la Force et autrement moins absurdes, demeurent une des rares scories du Star Wars le plus intense que nous ayons vu depuis une époque lointaine, très lointaine.


EN BREF

Rogue One s'impose comme l'opus le plus spectaculaire de la saga, mais également le seul à égaler L'Empire contre-attaque en termes de dramaturgie.

22 décembre 2016

Sicario - Denis Villeneuve



Il est entré sur la scène internationale avec Incendies. A emporté les esprits avec Prisoners. Les a retourné avec Enemy. Voué à chiffonner les fans avec Blade Runner 2, qui suivra son film de science-fiction Story of Your Life avec Amy Adams, le très actif Denis Villeneuve pourra convaincre une bonne fois pour toutes l'assemblée avec Sicario, un thriller sous très haute tension sur les cartels, présenté en compétition à Cannes, avec Emily Blunt, Benicio Del Toro et Josh Brolin.

NO COUNTRY FOR TRAFFIC

Une évidence : les films de Denis Villeneuve respirent le cinéma. Sicario, son septième film et son troisième en anglais, n'aura besoin que de quelques minutes pour attraper à la gorge le spectateur, happé dans un voyage au bout l'enfer et entraîné dans une spirale sanglante, qui explose sous un soleil de plomb pour mieux mettre en valeur sa brutalité saisissante.

L'argument ordinaire de l'intrigue (le parcours initiatique d'une flic intègre, entraînée malgré elle dans une histoire qui exposera le visage monstrueux de la réalité, jusqu'à une conclusion inévitable) signale d'emblée que Sicario est un film d'abstraction. La complexité apparente de l'intrigue, qui s'étend bien au-delà de l'héroïne et des spectateurs, compte moins que la nécessité immédiate de saisir les enjeux et trouver une issue quelconque à chaque situation, d'où un sentiment d'urgence saisissant.

Josh Brolin

Le scénario ne s'attarde pas sur le passé ou les motivations des personnages, ne s'embarrasse d'aucune psychologie de cinéma, et n'offre aucune réelle fenêtre intime aux héros, simples outils d'une intrigue et d'un système tentaculaires. La mécanique de l'histoire compte moins que sa puissance en sourdine, illustrée à merveille par la musique elle aussi abstraite de Johan Johannsson, qui tambourine sur les nerfs comme une symphonie sauvage. Pour le film, les personnages et donc le spectateur, le sens repose ainsi sur une série de séquences choc (une fusillade à la frontière, d'une simplicité et d'une efficacité fabuleuses). On navigue à vue, les boyaux serrés par la sensation électrisante que le pire est à venir et l'issue, forcément fatale.

Denis Villeneuve et Benicio Del Toro

DRUG RUNNER

Derrière une carcasse propre de film hollywoodien, Sicario est un véritable travail d'orfèvrerie, fruit d'une collaboration idéale entre Denis Villeneuve et le scénariste Taylor Sheridan, acteur vu notamment dans la série Sons of Anarchy qui signe ici son premier scénario (le prochain, Comancheria, un thriller avec Chris Pine par le réalisateur de Perfect Sense et Les Poings contre les murs, est en tournage).

Opaque sans être illisible, dense mais réduit au strict nécessaire, le scénario est d'une pureté saisissante, à l'image de la mise en scène. Chaque plan s'impose par sa stature et sa sobre force ; chaque ligne de dialogue s'incarne à l'écran dans un océan de silences et sous-entendus ; chaque acteur livre une partition brillante d'une précision magnifique - Benicio Del Toro, d'une évidence totale, mais surtout Emily Blunt, qui porte le film sur ses épaules avec une intensité fascinante.

Emily Blunt et Daniel Kaluuya

Si l'expérience fait inévitablement écho à No Country For Old Men (lui aussi éclairé par Roger Deakins) et Traffic de Steven Soderbergh, qui valu d'ailleurs un Oscar du meilleur second rôle à Del Toro, la matière de Sicario rappelle la saison 2 controversée de True Detective dans son aptitude à dessiner un cauchemar insoluble à mi-chemin entre les territoires urbains et les étendues désertiques.

Car peu à peu, le film de Villeneuve glisse vers le film d'horreur, quasi surnaturel dans une dernière partie tétanisante où la nuit se referme sur les personnages et transforme la matière même de l'image pour en faire des créatures irréelles. La sensation de cauchemar éveillé vient aussi de cette caméra impassible, qui refuse de s'emballer même dans les scènes d'action. Les perles de sueurs coulent sur le front des personnages à l'écran, le coeur du spectateur s'emballe de l'autre côté, mais celui du film reste stoïque. Sicario est un géant imperturbable, dont la force de frappe est douce et féroce à la fois.

Benicio Del Toro et son flingue

EN BREF

La destination de Sicario compte moins que le voyage. Et quel voyage : d'une précision et d'une brutalité saisissantes, Denis Vileneuve aggripe son héroïne et son spectateur pour les entraîner dans un cauchemar éveillé, d'une efficacité renversante.

10 décembre 2016

Chrono-Critik : Tucker & Dale Fightent le Mal - Eli Craig


Si on peut donner un conseil au spectateur qui s'apprête à voir Tucker & Dale fightent le mal(reconnaissons que Wild Bunch nous propose là un titre vraiment amusant !), c'est d'y aller l'esprit vierge de tout à priori, et de ne pas avoir vu la bande-annonce, qui révèle sans doute un peu trop sur l'essence des gags que vous découvrirez dans le film. En effet, il vaut probablement mieux ne pas trop en savoir sur les démêlés des fameux Tucker et Dale avant d'entrer dans la salle : sachez simplement qu'on est en présence d'une parodie de survival à la sauce méchamment slapstick, et que le film d'Eli Craig nous réserve quelques gags bien cartoonesques qui s'avèrent, pour certains, quasi-immédiatement anthologiques. 


Rythmé, plein de malice et extrêmement drôle, Tucker & Dale fightent le mal c'est un Delivrance à la sauce Chuck Jones, rappelant le meilleur des œuvres de jeunesse de Sam Raimi et des frères Coen. Bref, si vous aimez les gags rugueux et n'avez rien contre le fait d'aborder le genre à la manière d'un épisode de Bip-Bip et le coyote, foncez les yeux fermés (mais attention aux arbres, quand même).

04 décembre 2016

X-Files : Tooms, l'inoubliable tueur élastique


Dans la très longue liste des créatures rencontrées par Mulder et Scully en 10 saisons, chacun a sa préférence, son petit coup de coeur ou traumatisme d'enfance sur M6. Mais une chose est certaine : personne n'aura pu oublier Eugene Tooms, le tueur aux bras longs, star de deux épisodes de la première saison diffusée en 1993.

LES YEUX JAUNES DU TOOMS

X-Files a ainsi frappé fort dès son troisième épisode, intitulé Compressions (Squeeze). L'affaire commence avec une paire d'yeux jaunes dans une bouche d'égoût de Baltimore, fixés sur un homme d'affaires qui sera attrapé dans son bureau par une mystérieuse créature passée par la bouche d'aération.

Ces yeux appartiennent à Eugene Tooms, sorte de Mister Fantastic machiavélique qui hiberne pendant plusieurs décennies avant de se repaître de foies humains pour survivre. La bête a l'étrange capacité d'allonger ses membres pour atteindre discrètement ses victimes en passant par des ouvertures réduites. Autant dire que l'image est aussi perturbante qu'efficace, touchant aux peurs les plus intimes de chacun. Le regard doucement fou de Doug Hutchison, formidable dans le rôle de Tooms, et la musique délicieusement stridante, font le reste.


SANS ALIEN

Après deux premiers épisodes centrés sur des aliens et les conspirations, la Fox demande à voir une autre facette de l'univers, en accord avec Chris Carter qui a toujours envisagé la série de cette manière. La chose est adressée dans un dialogue où, répondant à Scully, Mulder s'exclame : "Non ! Je n'ai trouvé aucune preuve de la présence d'alien".

L'idée de Tooms a germé dans l'esprit dérangé de James Wong et Glen Morgan (producteurs exécutifs et scénaristes de six épisodes de la première saison) dans les bureaux de production, un soir. A la recherche d'une idée, le duo s'est arrêté sur une bouche d'aération dans la pièce : "Et si on travaillait tard ici et qu'un mec venait par là ?".

Egalement inspiré par Jack l'éventreur et le Night Stalker, un tueur en série des annes 80 qui entrait chez ses victimes par la fenêtre de la salle de bain, Wong et Morgan ont trouvé le premier Monster of the Week de la série. Chris Carter amènera l'idée du foie humain, marqué par une visite en France où il a découvert le foie gras. Ils décident aussi de mettre l'accent sur la hiérarchie des héros, et la pression exercée sur Mulder et Scully, afin d'étoffer les personnages.


DÉCOMPRESSION

Si Compressions est devenu l'un des épisodes les plus appréciés de X-Files, considéré par beaucoup de fans comme l'un des meilleurs, il a connu une production difficile voire chaotique. Le réalisateur Harry Longstreet (qui ne retravaillera plus sur la série) a ainsi été quasiment remplacé pour boucler le tournage, les scénaristes et producteurs étant insatisfaits des images tournées. Interrogé depuis, James Wong a raconté que le réalisateur ne respectait ni l'équipe créative, ni le scénario, ni même le genre. Morgan a lui aussi affirmé que Longstreet avait été un sérieux problème, au point de ne pas tourner toutes les scènes prévues.

Wong a fini par terminer le travail pour tourner des plans et scènes supplémentaires, afin de peaufiner l'épisode lors de longs reshoots. Malgré le très accueil à la diffusion, le duo de scénaristes restera marqué par l'expérience amère. Déçus de voir que l'épisode aurait pu et dû être mieux, ils expliquent qu'il a été sauvé en post-production, et que la réussite revient principalement à Doug Hutchison, interprète de Tooms.


IL EST DE RETOUR

La frustration de James Wong et Glen Morgan les poussera à écrire Le Retour de Tooms (Tooms), épisode 21 de la première saison. Là encore, l'idée est venue d'une chose anodine : le duo pose les yeux sur un escalator en réparations, et imagine un monstre vivant là. Cherchant une manière d'offrir de bons frissons au public dans la dernière ligne droite de la saison, Chris Charter et les scénaristes ont alors pensé à donner une suite à Tooms, qui avait été un succès côté audiences et fans.

Cette fois, c'est David Nutter qui est choisi. Il a réalisé plusieurs solides épisodes de la saison 1, comme le mémorable Projet Arctique (lui aussi scénarisé par Wong et Morgan), et deviendra par la suite un nom incontournable de la TV - avec même une parenthèse cinéma délicieuse, Comportements troublants en 1998 avec Katie Holmes et James Marsden.

L'intention est claire : offrir à Tooms un épisode à la hauteur, et rattraper quelques erreurs de Compressions. Le Retour de Tooms permet également à la série de rouvrir le dossier conspiration et présenter pour la première fois Skinner, l'un des personnages majeurs de la mythologie.


La réalité n'est cependant jamais loin puisque l'écriture sera directement influencée par l'épisode Quand vient la nuit (un autre grand moment de la série, avec ces affreuses lucioles), dont le tournage en extérieur a été très compliqué. James Wong et Glen Morgan écrivent donc Le Retour de Tooms avec la consigne officielle de se cantonner aux décors intérieurs. Sans oublier qu'arrivée au 21ème épisode sur les 24 de la saison, l'équipe est épuisée, alors même que le succès grandissant de la série les a placés sous les projecteurs. 

Le Retour de Tooms ne bénéficie plus de l'effet de surprise, mais reste redoutablement efficace. Il offre une conclusion digne à cet antagoniste inoubliable, et se paye notamment un final excellent sous le fameux escalator. Le personnage de Mulder, tiraillé entre sa soif de justice (la scène hallucinante du procès) et sa crainte de la hiérarchie ("Je sais qu'ils veulent fermer les X-Files"), gagne en outre en nuances.

Ainsi Eugene Tooms est entré dans la légende X-Files, notamment parce qu'il est l'un des rares monstres à avoir eu l'honneur d'une suite - en plus d'être mentionné à quelques reprises.

21 novembre 2016

John Wick - David Leitch et Chad Stahelski


Icône de la saga Matrix, Keanu Reeves semble aujourd'hui boudé par les studios. D'où sa présence à l'affiche de John Wick, énième film d'action invitant un acteur en mal de succès populaire à casser des bras et truffer de balles des mafieux russes. 

HARDBALL

Pour apprécier ce film sorti quasiment en catimini, il faudra faire l'impasse sur deux écueils notables. Son scénario tout d'abord, qui collectionne avec une belle inventivité invraisemblables clichés et incohérences gigantesques, ainsi que son manque d'originalité général. Si le vol d'une voiture et le meurtre d'un chiot justifient à vos yeux de massacrer l'équivalent de la population Luxembourgeoise et que vous trouvez parfaitement naturel de planquer vos munitions de secours sous une dalle de béton d'un mètre d'épaisseur, alors vous êtes mûr pour John Wick.

Le début des emmerdes.

RIVÉS SUR KEANU

Ce qui n'est pas une mauvaise nouvelle, tant le film recèle également de bonnes surprises. Ses réalisateurs David Leitch et Chad Stahelski connaissent leur affaire, pour avoir œuvré notamment comme coordinateurs des cascades dans plusieurs dizaines de longs-métrages.

Les deux compères ne cèdent ainsi jamais aux tics actuels de mise en scène et emballent des séquences d'action remarquablement propres et enlevées. Grâce à un montage fluide et un réel travail sur le corps de Reeves, qui n'a peut-être jamais été aussi félin, le film dégage un mélange de hargne et de nostalgie trop rare pour ne pas être apprécié.


Enfin, on n'avait pas vu Keanu Reeves aussi en forme depuis longtemps. Lui qui se plaignait récemment du désamour d'Hollywood à son égard peut être sûr de conserver l'affection du public. Il affiche ici un spleen et une froide résolution qui font de John Wick un Droopy fantomatique, dont les détonations de rage enflamment l'écran. Accompagné par une tripotée de cabotins de première catégorie (Willem Dafoe, Michael Nyqvist, John Leguizamo ou encore Ian McShane) il est pour beaucoup dans le plaisir pris devant le film.


EN BREF

Par endroits stupide et simpliste, John Wick sait aussi se montrer élégant et généreux, emportant ainsi l'adhésion du spectateur venu chercher un honnête film d'action.

14 novembre 2016

Dark City - Alex Proyas



Avant I, Robot avec Will Smith, Prédictions avec Nicolas Cage et Gods of Egypt avec ses machins numériques des enfers, il y avait The Crow et Dark City, deux mémorables diamants noirs et vertigineux, qui ont marqué les années 90 et placé le réalisateur Alex Proyas parmi les grands espoirs de demain. 

CROC NOIR

En 1994, The Crow marque les esprits. L'univers noir a placé le réalisateur parmi les noms à suivre. La mort accidentelle de Brandon Lee sur le tournage a forgé un mythe morbide autour du film. C'était la deuxième réalisation d'Alex Proyas après Spirits of the Air, Gremlins of the Clouds, une odyssée post-apocalyptique barrée et fauchée, très remarquée en 1989. Et le succès critique et public n'est pas passé inaperçu.

Alex Proyas est dans la situation idéale pour concrétiser un projet ambitieux un peu fou. Il décide donc de ressortir une idée développée avant The Crow, en 1990 : l'histoire d'un détective dans les années 40, qui se perd dans les méandres d'une enquête insoluble. Parce que les indices et preuves ne font pas sens, et qu'il s'approche d'un mystère qui va bien au-delà de son esprit cartésien, il dérive vers la folie. En somme, Dark City a commencé comme l'histoire de Frank Bumstead, l'inspecteur incarné par William Hurt dans le film. C'est par la suite que Proyas décidera de recentrer le récit sur Murdoch, un protagoniste plus fort d'un point de vue émotionnel.

Il signe le scénario avec Lem Dobbs et David S. Goyer, dont il a lu et aimé le script Blade avant qu'il ne devienne un film avec Wesley Snipes.


DARK FOLIE

Quelque part entre Metropolis de Fritz Lang et un épisode de La Quatrième Dimension, comme un mix tordu entre le film noir et la science-fiction dure, Dark City est un cauchemar abyssal d'une force encore spectaculaire, près de vingt ans après. Le découpage, d'une précision saisissante, impose d'emblée une vision sensationnelle. Le sens du cadrage, la photographie de Dariusz Wolski que Proyas retrouve après The Crow (il est depuis devenu un collaborateur privilégié de Ridley Scott) et la musique de entêtante de Trevor Jones libèrent en quelques minutes une véritable décharge de cinéma.

Le réveil du héros dans une salle de bain, sous une lumière vacillante, entre un cadavre et un poisson rouge, est un modèle du genre : un parfait démarrage de polar, à la fois classique et diablement excitant dans un décor et un contexte si étranges.


Alex Proyas mixe les références avec une passion et une générosité irrésistibles, composant un fabuleux et mémorable univers aux dimensions étourdissantes. Impossible de ne pas trembler lorsque la vérité est révélée, et que le voile se lève sur cette ville obscure. C'est d'autant plus beau et poétique qu'il illustre la position de démiurge du créateur, capable d'élever ou déplacer des montagnes (ou des immeubles) pour créer un monde au milieu du néant grâce à la force de son esprit.

Les immeubles qui se déplient comme d'effrayants monstres gonflables, les silhouettes longilignes des étranges hommes blancs, leurs cervelles qui cachent des entités venues d'ailleurs, ou même un banc près de l'eau sous un lampadaire : Alex Proyas charge chaque scène d'une somme d'images géniales et mémorables.

Il y a aussi un casting excellent : Rufus Sewell et son regard de créature sauvage, Jennifer Connelly en beauté fragile, William Hurt impeccable dans une partition carrée, et Richard O'Brien (que Proyas a casté après s'être inspiré de son personnage dans The Rocky Horror Picture Show). Mais surtout un Kiefer Sutherland méconnaissable et fantastique en arrière-plan, avec sa face balafrée, son allure de petit monstre boiteux et son souffle court. Une très belle idée de casting du cinéaste, qui envisageait d'abord un acteur plus vieux, type Ben Kingsley.


DOUBLE CUT

Dark City a eu un destin noir. Suite aux habituelles projections test et aux retours mitigés, les producteurs New Line Cinema (une filiale de Warner) et Mystery Clock Cinema ont obligé Alex Proyas à remonter le film. Avec une quinzaine de minutes en moins et une voix off bien explicative pour livrer des clés importantes d'emblée, le résultat était censé être plus grand public.

Erreur : il engrange environ 27,2 millions de dollars dans le monde, dont 14,3 aux Etats-Unis, alors qu'il en a coûté officiellement 27. Le succès phénoménal de Titanic, encore en tête même s'il est sorti plus d'un mois avant, n'aide pas.


En 2008, le réalisateur livre une director's cut de 111 minutes, contre 100 pour la version sortie en salles. Il enlève sans surprise la voix off d'introduction, où Kiefer Sutherland expose quasiment la situation, et rajoute de nombreux dialogues en rallongeant des scènes. L'étalonnage et des effets spéciaux ont également été modifiés.

Interrogé en 2016, Alex Proyas explique qu'au fil des années, il y a eu des discussions sur des possibles suites ou adaptations en série, sans que rien ne se concrétise. Alors que le remake de The Crow patine depuis des années, espérons donc que Dark City reste protégé dans son armure noire et cosmique de film culte.

09 novembre 2016

Zombeavers - Jordan Rubin


C’est quand on pense déjà avoir tout vu surtout dans la nullité et l’horreur qu’arrivent des nouveautés insoupçonnables. Et parmi celles-ci, ce qu’on retiendra en 2014 ce sont les castors zombies de Jordan Rubin dans Zombeavers. L’histoire est simple : un tonneau de produits toxiques est balancé dans une rivière et plouf les castors nagent dedans et en ressortent... différents. Comme toujours dans les films américains, une bande de grands ados assoiffés de fornication et de natation en forêt viennent dans le coin au même moment.

Sauf que cette fois, c’est bien pire. Parce que les ados trouvent tous plus de bêtises réunies à dire dans un plan que nos hommes politiques en un meeting. Parce qu’un ours traine dans le coin. Parce que quand les castors mordent, leurs victimes se retrouvent avec une queue plate et des drôles de dents. Et parce que la séquence post-générique montre un début d’apocalypse que même dans nos cauchemars les plus délirants nous n’aurions jamais pu imaginer. Et c’est ainsi que, derrière les cris stridents des héroïnes naît l’une des grandes fables écologiques de notre génération que même Nicolas Hulot devrait reprendre dans ses prochains discours en nous montrant que nous, pauvres hères inconscients avec nos produits verdâtro-nucléaires, nous courrons à notre perte. Voilà donc l’œuvre philosophico-cinématographique que tout le monde attendait sur la condition de l’homme contemporain et son impossible lutte face aux forces qu’il engendre et qui le mènent à son autodestruction.

Agrougou, je vais te manger !

Comme quoi, pas besoin d’un vrai scénario, de vrais acteurs, de vrais castors et d’un vrai budget. Avec trois fois rien, quelques idées et des peluches dégueulasses, on peut arriver aux mêmes fins que n’importe quel film d’auteurs français et en même temps, faire rire et volontairement. Oui, parce que bon, même si on ne perçoit pas toutes les subtilités éthiques et métaphysiques d’un tel chef-d’œuvre (tout le monde n’est pas parfait, on le respecte comme les conducteurs du camion dans le film respectent les animaux et les jeunes filles en détresse), Zombeavers a des qualités. Et le plus étonnant en fait c’est que le cinéaste trouve le moyen d’atteindre l’impossible : parodier ce qui ne devait plus l’être tant le genre du Teens vs. Zombies était déjà auto-parodique déjà à ses débuts.

En poussant les gags et le n’importe quoi encore plus loin, on finit par tomber dans le Grand-Guignol le plus absurde et voir un cartoon en prise de vues réelles. Et puisque scénariste, acteurs et réalisateur assument tout au point de faire de leur petit coin de paradis l’antre de toutes les blagues éculées, de toutes les morts et résurrections les plus crétines et de toutes les transformations les plus grotesques, tout ce qu’on entendra devant ce film c’est soit un éclat de rire géant soit le néant de consternation des rares spectateurs qui avaient décidé de garder un morceau de leur cerveau avant d’entrer dans la salle ! Dommage pour ces derniers. Nous on a oublié le notre à la naissance, ça aide.


EN BREF

Les castors-zombies seront la plus belle invention du cinéma en attendant le deuxième volet qu’on espère bien être un zomb… (nous ne dirons rien).

25 octobre 2016

Seul sur Mars - Ridley Scott



Avant de nous embarquer pour Prometheus 2, Ridley Scott se retrouve Seul sur Mars. Sorte d’Apollo 13 mâtiné d’anticipation pop et d’effets spéciaux à tous les étages, le film sort sur les écrans après avoir fait très forte impression au Festival de Toronto. Qu’en est-il de ce Robinson Crusoé sur la planète rouge ?

Après plusieurs œuvres torturées pour ne pas dire franchement désespérées, on pouvait supposer que Sir Scott ferait de cette aventure spatiale une odyssée un peu éprouvante. Contre toute attente, Seul sur Mars s’avère de très loin le film le plus détendu de son auteur, un feel good movie assumé et optimiste. Grâce à un montage qui joue avec intelligence des contrastes (la fourmilière de la NASA, la solitude du héros, les oppositions dialogues/monologues), le film multiplie les coupures au sein de son rythme et fait preuve de beaucoup d’humour.


La réussite de l’ensemble, au-delà du sens du spectacle indiscutable de Scott et de la très bonne tenue du casting, tient à la performance de Matt Damon. Ce dernier retrouve ici une simplicité, mélange évident de charisme et de malice, qui faisait cruellement défaut à ses dernières prestations, parfois trop empesées. Il est l’âme du métrage, celui par lequel sa roublardise et sa générosité parviennent jusqu’au spectateur. Même lors des séquences les plus classiques ou stéréotypées du film, son énergie parvient à renouveler sans mal notre intérêt.

L’autre accomplissement de l’aventure tient à son mélange d’inventivité et de réalisme, ou comment équilibrer à la perfection le grand écart entre science pure, invention, et jeu avec le spectateur. Seul sur Mars jongle ainsi avec différentes tonalité qui se combinent à merveille. Ni film catastrophe, encore moins pur récit d’aventure, pas plus qu’œuvre d’anticipation pompeuse, le blockbuster s’avère une sorte de comédie épique à l’atmosphère étonnamment positive, entièrement dédiée au bien-être du public en quête de sensations fortes.

Childish Gambino ma gueuuuuule !

LA CROISIÈRE S'AMUSE

Le metteur en scène nous offre donc son film le plus divertissant et accessible de longue date, mais aussi le plus anodin. L’angoisse existentielle de Cartel est envolée, aucune trace des questionnements spirituels qui tordaient son Exodus, ou même des tensions symboliques qui animaient Prometheus. Si Seul sur Mars est incontestablement plus polissé que ces derniers, il est aussi moins consistant.

C’est ce qui fait sa limite objective, ce qui lui interdit de nous troubler et de nous rester en mémoire avec la même insistance. Bien sûr, on pourra s’amuser de l’espèce de bras de fer virtuel entre le métrage et Interstellar (pas franchement en faveur de Christopher Nolan), noter l’aisance avec laquelle l’artiste orchestre pour nous un grand spectacle impeccablement maîtrisé, mais aussi regretter l’absence totale de mise en danger.


EN BREF

Divertissant et malin, le film de Ridley Scott ne marquera pas les mémoires mais ne manque pas de panache.

20 octobre 2016

Devine qui vient dîner ? - Stanley Kramer


Traitant avec audace de sujets sensibles et se révélant engagée sous les devants légers de la comédie, Devine qui vient dîner ? est une oeuvre typique du Nouvel Hollywood. Elle fait de Sidney Poitier le premier acteur noir à pouvoir être qualifié de "star" et lui offre un très beau premier rôle, entouré de Katharine Hepburn et de Spencer Tracy. Exploitant pleinement les talents de ce trio principal luxueux, Stanley Kramer livre une oeuvre à la variation de ton surprenante et à la pertinence constante.



Titre sympathique et familier - du fait que ce soit une phrase comme issue d'un dialogue de la vie de tous les jours, générique coloré : on semble face à une comédie de base, doucement agréable et même empreinte d'un certain formalisme. Mais on se détrompe bien vite ! Tandis que l'on aperçoit un couple heureux sortant d'un aéroport, si l'on n'a pas le contexte en tête, on ne peut pas saisir pleinement la signification du fait que la femme soit blanche et l'homme noir. Nous sommes à la fin des années 1960, dans des Etats-Unis hantés par la ségrégation raciale, tandis que Martin Luther King vit dans la lutte constante ses dernières années, sans le savoir. Ainsi, ces amoureux, "originaux" au sein d'une telle société, ne peuvent même pas encore entrevoir le bout de leurs malheurs ! La problématique est donc posée d'emblée : comment gérer une union entre deux jeunes gens de couleurs différentes au milieu de ces Etats-Unis majoritairement racistes ? Comment réagit un couple se disant libéral (au sens américain du terme) face à une situation aussi extrême que le mariage de leur fille unique à un homme de couleur ? Il suffit de voir le visage de Katharine Hepburn, que la caméra ne se décide pas à quitter presque tout au long de la scène de la première rencontre, pour saisir violemment toute la gravité du problème qui se pose pour ces protagonistes, qui voient leurs convictions soudainement ébranlées. Avec surtout l'apparition irrésistible de Spencer Tracy qui incarne le père de la jeune Joey, les dialogues du début sont relativement théâtraux, avant de se faire de plus en plus sérieux, tout en restant saupoudrés d'un certain comique de personnage avec notamment celui du père Ryan. Ainsi, le film se situe constamment à mi-chemin entre la comédie et le drame. Cette double identité de l'oeuvre est appuyée par le constant espoir qui semble habiter la jeune Joey (lumineuse Katharine Houghton) tandis que son fiancé John, un peu plus grave mais surtout plus sensé, donne tout son calme à la fois émotif et réfléchi à l'histoire.


Le cadre de cette histoire si farfelue n'est autre que San Francisco et n'est certainement pas anodin. En effet, cette ville de Californie a toujours été connue pour être plus ouverte culturellement et tolérante que la moyenne états-unienne, avec notamment le plus grand Chinatown du pays. Ainsi, c'est certainement dans cette ville plus que tout autre qu'un débat si inaccoutumé que celui auquel se trouve face le spectateur - est possible. Il serait tout de même bien rare de trouver, ailleurs qu'à San Francisco, un "réseau d'individus" aussi ouverts d'esprits que le sont les Drayton et leur ami prêtre. Aussi étrange que cela puisse paraître, c'est donc la domestique noire des Drayton qui se révèlera être la plus grinçante quant à la signification purement "raciale" de la situation, dénigrant le jeune et talentueux John en ne le percevant que comme un homme trop noir pour être aussi parfait que l'indique son CV. Un tel décalage apparaît quelque peu comique et rend le film encore plus singulier qu'il ne le semblait au premier abord... Bien vite, le débat qui s'organise entre les protagonistes - auxquels les parents de John sont venus se joindre! - délaisse toute notion de choc des cultures pour s'orienter vers l'avenir des deux tourtereaux. Un avenir bien sombre qui les attend certainement, du fait du contexte politico-social de l'époque. Stanley Kramer façonne des personnages doutant certes de leurs opinions dans un premier temps mais ne se préoccupant par la suite que du bonheur des leurs, aussi dur soit-il à atteindre. En cela, le cinéaste se fait déjà foncièrement optimiste vis-à-vis des rapports entre blancs et noirs aux Etats-Unis. De plus, l'histoire prend peu à peu ses distances avec la politique et l'ethnique pour se rapprocher du drame purement humain, où prévalent l'affection d'une mère pour son enfant ou l'amour respectueux et compréhensif d'un homme pour son épouse... Organisant sans esbroufe mais avec une indéniable fluidité un huis clos où la pression va crescendo, le réalisateur n'hésite à rendre quelques tirades assez solennelles pour susciter en nous la même anxiété, stimuler la même réflexion que ses personnages. On en redemanderait !


EN BREF

Formulant de manière percutante et pertinente un débat relativement tabou en 1959, Devine qui vient dîner ? brille par ses dialogues constamment pertinents et par sa capacité folle à nous porter d'une scène de pure comédie à une séquence bien plus grave, tournée vers les moeurs racistes des Etats-Unis de l'époque et sur les espoirs qu'on peut y entretenir - ou pas. Les comédiens, emmenés par de magnifiques Sidney Poitier, Katharine Hepburn et Spencer Tracy, décuplent la force de cette oeuvre phare du Nouvel Hollywood, simplement incontournable !

14 octobre 2016

Chrono-Critique : Splash - Ron Howard


Faire croire...à l'incroyable !
Toute la magie incomparable, irrésistible, du Cinéma !
Alors, oui, vive "Le goût des merveilles" !



Et s'offrir régulièrement une cure de rêve, de merveilleux, c'est, à la réflexion, un choix bien réfléchi ! Digne d'une vraie ambition cinéphilique puisque cela consiste à éviter le piège du sectarisme forcené en visionnant, par exemple, l'austérité asiatique de L’île nue et deux soirs plus tard le feu d'artifices (autre nom de trucages) très tête dans les étoiles d'E.T..
Le film-cure à ne pas manquer, en 1984, c'était ce Splash, éclaboussant de poésie et d'imaginaire. Réalisé par un inconnu désormais célèbre, il raconte une histoire à la mesure de la part d'enfance que tout un chacun se doit de préserver en lui. Une histoire d'amour, ça va de soi, mais merveilleusement - au sens étymologique, donc - compliquée par les personnalités des deux intéressés.


Lui est un jeune américain des 80's. Signe particulier et déroutant pour ses proches : depuis l'époque ou, enfant, il a failli se noyer, il est sujet à un pessimisme sentimental tout à fait maladif. Pessimisme qui, bien sûr, va s'évanouir d'emblée dès le premier regard liquéfiant d'extase échangé avec Elle. A tel point qu'il ne prend même pas conscience de tous les étranges mystères qui marquent leur rencontre et, très vite, leur idylle.

En fait, il est si ébahi de vivre enfin le Grand Amour avec une "créature de rêve" (et comment !), "visage de madone" et "corps de sirène", qu'il ne va jamais soupçonner qu'elle en est justement une ! Celle-là même qui hante sa mémoire via la vision d'une petite fille surgissant sous l'eau pour le sauver d'un simple contact d'une noyade certaine.

Seul un savant a percé le secret de la jolie sirène, mais personne ne veut le croire quand il affirme qu'"Attention ! Une femme peut en cacher une autre"...


En dire davantage est priver de plaisir visuel les curistes en mal de rêve cinématographique. Ce qu'il faut dire, par contre, est que celui-ci fonctionne remarquablement bien. La raison principale étant liée aux effets spéciaux que Ron Howard fait intervenir de façon à ce qu'ils servent à fond la dimension maritime, poétique, du récit. Les séquences sous-marines sont "harponnantes" !

Riche d'action et d'humour, Splash doit beaucoup de son fluide séducteur à Daryl Hannah, jouant la sirène. Un rôle si peu évident au départ qu'elle aurait pu y laisser des... écailles ! Au contraire, elle est on ne peut plus convaincante ; et grâce à la fraîcheur quasi-enfantine de son jeu, la magie opère jusqu'à la fin du film.

Qui, toujours sous l'angle du merveilleux, ne finit pas en queue de poisson !

05 octobre 2016

L'échelle de Jacob - Adrian Lyne


Les années 90, décennie généralement regardée de haut par les amoureux de cinéma, recèle pourtant de pépites. Généralement, il s’agit du seul film véritablement remarquable de leur auteur, comme c’est le cas avec L’échelle de Jacob. Ou quand le réalisateur de Flashdance, 9 semaines 1/2 et Liaison fatale est tout à coup touché par la grâce et livre un des plus beaux cauchemars sur pellicule du cinéma contemporain.
L’échelle de Jacob, avant qu’Adrian Lyne ne soit impliqué dans le projet, est une création de Bruce Joel Rubin, scénariste du drame fantastique Ghost mais surtout de Brainstorm, le second des trois longs métrages réalisés par Douglas Trumbull. Ses récits bénéficient d’une certaine cohérence. Histoires d’amour étranges, exploration mentale, rêves et réalité qui s’entremêlent, omniprésence du deuil… autant d’éléments qui, dans L’échelle de Jacob, sont traités via le prisme du cauchemar et de la démence. C’est l’occasion pour Adrian Lyne, réalisateur de quelques films cultes bien qu’assez médiocres, de briller. Avec un scénario en or massif et un casting aux petits oignons, il s’adapte parfaitement avec une mise en scène torturée qui vient sublimer chaque élément du récit. En résulte un film au parfum particulier, très marqué par le fantastique 90’s (Angel Heart n’est sorti que 3 ans plus tôt) et qui représente parfaitement l’illustration infernale des cauchemars de son auteur, au même titre que Terminator.

Le film souffre pourtant d’une réelle injustice. Assez peu vu, et donc rarement mentionné parmi les pépites des années 90, il fait pourtant partie des œuvres les plus importantes du cinéma américain ayant abordé le trauma de la guerre du Vietnam. Tout d’abord car il traite le retour en Amérique sous un angle inédit, celui des démons qui se manifestent réellement, à tel point que le trouble qu’il crée est total. L’échelle de Jacob est-il un drame dans lequel les cauchemars du pauvre héros de guerre s’illustrent via des visions ? Ou est-ce un pur film fantastique ? Le film évolue entre deux eaux, et c’est probablement un des éléments essentiels de son pouvoir de fascination. A l’image du personnage de Jacob dans la séquence d’ouverture, par ailleurs délicieusement étrange et kafkaienne, l’intrigue et la nature du film se retrouvent entre deux voies, se réservant le choix définitif pour le tout dernier moment. Adrian Lyne fait preuve d’une belle aisance pour brouiller les pistes, avec une technique de mise en scène affirmée et un jeu sur le montage qui vient semer le doute sur la santé mentale de Jacob. Jacob, un nom qui n’est pas le fruit du hasard. Il est un prophète, et par le fameux songe de l’échelle, il entre en contact avec le secret de Dieu. A ses côtés, Jezebel, non pas sa femme mais la créature de ses fantasmes à laquelle il aurait eu accès. Jezebel, dans la Bible, détourne le roi Achab de Dieu.

La symbolique religieuse est omniprésente dans L’échelle de Jacob. Des démons semblent tout droit sortis des enfers, mais les anges sont également présents, à travers le personnage de Louis, le chiropracteur. Le film est d’ailleurs assez clair à ce sujet, peut-être même trop. L’image de Danny Aiello en contre-plongée, avec au dessus de lui une lumière ressemblant étrangement à une auréole, est largement suffisante. Que Jacob lui mentionne ouvertement qu’il est son ange gardien est un aveu de faiblesse d’un film qui se veut parfois trop explicatif, qui ne fait sans doute pas assez confiance à son public. Néanmoins, l’ensemble reste suffisamment opaque afin de ne pas imposer une seule interprétation à l’odyssée cauchemardesque de Jacob. Est-il vivant ? Est-il mort ? A-t-il été au Vietnam ou non ? Rêve-t-il ? Est-il fou ? De nombreuses questions restent en suspens. Adrian Lyne joue la carte du thriller paranoïaque dopé aux visions infernales, lui permettant à la fois d’aborder un sujet clairement politique (la manipulation de l’armée, le silence des élites, les expériences secrètes…) et quelque chose d’alors assez moderne, qui aura sans doute inspiré les créateurs de Silent Hill : un réel tout à coup contaminé par des créatures hideuses et difformes.

Chaque vision de cauchemar est un véritable choc graphique, au moins aussi insolent que celles du Hellraiser de Clive Barker. Les deux films partagent ce goût pour le malaise et le macabre, avec dans L’échelle de Jacob ces plans terrifiants de l’hôpital, où des créatures mutilées évoluent au milieu de membres humains sanguinolents jonchant le sol. Comme souvent avec ce genre de séquences, il s’agit de symboles surréalistes faisant appel à la chair pour illustrer un état mental. C’est puissant, choquant, et extrêmement évocateur. Le film ne manque d’ailleurs pas de séquences chocs, qu’il s’agisse de cette fête tournant à l’orgie démoniaque, ou la scène du bain glacé. A l’inverse, d’autres scènes font tâche, et notamment celle de l’enlèvement de Jacob, à cause d’une séquence de « poursuite » en voiture un brin ridicule. Quelques menus défauts qui n’affectent au final que très peu l’ensemble du film. Les cauchemars/traumas de Jacob permettent à Adrian Lyne d’explorer d’innombrables sujets, des conséquences psychologiques de la perte d’un enfant (avec les apparitions d’un tout jeune Macaulay Culkin) à la corruption du système judiciaire (l’occasion de profiter du talent de l’excellent Jason Alexander).

Chaque spectateur peut se faire sa propre interprétation des évènements de L’échelle de Jacob, avec un final qui reste relativement ouvert. La multiplication des symboliques religieuses en fait probablement un des plus éprouvants voyages au purgatoire, où Jacob passera différentes épreuves pour enfin rejoindre son fils. Tim Robbins y livre une de ces prestations habitées dont il a le secret et excelle dans la peau de cet homme au bord de la rupture, qui va devoir accepter son état pour s’élever. Et si le film fonctionne si bien, c’est qu’Adrian Lyneparvient à faire partager au spectateur cet état mental instable où la réalité se voit pervertie par des visions sorties d’un cauchemar. Imparfait mais souvent brillant, L’échelle de Jacob mérite une réévaluation certaine.