ATTENTION SPOILERS
PUISSANCE 2
Rien de plus normal : après avoir pris le public et la critique par surprise, Stranger Things a payé son statut inattendu de série instantanément culte. Celui qui a rattrapé le train en marche, interpellé par l'excitation générale, aura pu voir dans la création des frères Duffer une petite chose simplette et gentillette, trop chargée de références pour être honnête, et loin de mériter ces louanges. Le charme de la première saison reposait en grande partie sur cet effet de surprise, particulièrement précieux à l'heure où la machine promotionnelle a tendance à désacraliser l'expérience pour vendre du spectacle, de la star et du machin pré-mâché.
La saison 2 aura donc dû gérer cette attente presque déraisonnable. Comment ? Avec une approche simple mais efficace : plus grand, plus gros, plus spectaculaire. Dès le premier épisode, la série Netflix déverse à l'image plus d'effets spéciaux que la quasi intégralité de la première saison, avec la promesse d'un cauchemar aux dimensions plus effrayantes. Et jusqu'aux ultimes secondes, Stranger Things 2 offre une tripotée de séquences visuellement très belles et parfois saisissantes, avec une direction artistique particulièrement soignée qui permet au spectateur de plonger plus profondément dans l'univers - les murs organiques à la Alien, les visions de l'Upside Down à la Silent Hill, les couleurs vives et les synthé plus harmonieux.
XENOGORGONS
Cette immense et mystérieuse créature aux tentacules, cachée dans un nuage rougeoyant au cœur de la promo, n'est qu'une des facettes de la mythologie qui s'étend dans cette deuxième saison. Et sans surprise, les frères Duffer ont puisé leur inspiration dans un classique des années 80 : Aliens - Le retour. A la manière de James Cameron, qui s'est approprié l'univers installé par Ridley Scott en l'emportant dans une direction totalement différente pour une suite fantastique, ils jettent de l'huile sur le feu.
Plus de monstres, plus de chaos, une "reine" à abattre et même Paul Reiser : Stranger Things 2 lorgne clairement vers la suite d'Alien dans ses ambitions. Le sentiment d'urgence et la manière dont sont articulés les différents personnages tend vers ce sommet du cinéma d'action et science-fiction à la mécanique impeccable - sans en frôler l'inventivité, l'efficacité et la profondeur, mais ce n'est certainement pas le but de l'entreprise de recyclage qu'est la série.
C'est particulièrement évident dans une séquence où un groupe de soldats armés de lance-flammes descend dans l'Upside Down, avant d'être massacrés sous les yeux de personnages impuissants qui observent la version soft de la boucherie grâce à un détecteur de mouvement sur un vieil écran. Le Demogorgon de la première saison donne lieu ici à une tripotée de "demodogs" moins effrayants et plus ordinaires, mais l'effet est redoutable tandis que Hawkins devient le théâtre spectaculaire d'un joyeux chaos.

Le public était surexcité après la saison 1 ? Il aura encore plus de raison de sourire et frissonner avec la deuxième. En remettant en scène la séquence d'introduction de la série, avec cette fois-ci plus de scientifiques et de bestioles dans l'ascenseur, et plus d'hémoglobine à l'arrivée, la série enfonce le clou, pour le bonheur des fans. Et plutôt que d'y voir une facilité et une paresse, il y a une générosité très séduisante qui transparaît à l'écran. Que la mise en scène soit plus solide, avec nettement plus de maîtrise dans le rythme et la narration, contribue à rendre la chose plus réjouissante.
Et lorsque la série s'arme d'une certaine auto-dérision, c'est encore mieux : quand Max avoue qu'elle aurait aimé que ce soit plus original après que Lucas lui ait résumé la première saison, quand Bauman (Brett Gelman) dresse en une minute le portrait des clichés que sont Nancy et Jonathan, quand la discussion un peu trop sérieuse des bad boys aux cheveux laqués devient drôle dès qu'apparaît le minois des héros derrière une vitre, ou encore quand la petite sœur de Lucas parle.
MOU-VEAUX
Cet appétit énorme a toutefois ses limites, particulièrement visibles sur les nouveaux personnages. Ainsi, Max (Sadie Sink) et surtout son demi-frère Billy (Dacre Montgomery) ont des rôles relativement mineurs. La petite nouvelle, surnommée Mad Max, a beau être une fille rebelle au caractère bien trempé, elle trouve une place peu éclatante au sein de la bande. Elle a plutôt des allures de ficelle de scénariste pour amener un peu de contradictions parmi les garçons, en provoquant quelques tensions entre Dustin et Lucas, tous deux charmés par elle.

Bob (Sean Astin), petit ami un peu balourd de Joyce, se révèle lui aussi parfaitement accessoire dans l'intrigue, hormis son utilité là encore un peu artificielle pour donner un peu de matière au personnage de Winona Ryder, qui tourne sinon en boucle. Là encore, il y a un triangle amoureux du pauvre à l'écran, avec Jim, mais la série a l'intelligence de n'y accorder que très peu d'importance. Reste que pour Sean Astin, c'est une apparition un peu limitée, qui rappelle son passage dans la saison 5 de 24 heures chrono, où il avait une trajectoire un peu similaire.
Même impression avec l'arc de Dustin et Dart, le bébé Demogorgon qu'il décide de cacher avant d'être dépassé par les évènements. Si l'idée très amusante de ce E.T. L'Extra-terrestre bouffeur de chat était d'abord intrigante, elle aura vite été avalée par l'intrigue principale, pour finalement donner lieu à une scène simplette lors du climax. Avec la sensation que les scénaristes ont eu les yeux plus gros que le ventre, et auront tenté de boucler cette histoire au détour d'un couloir, sans offrir au public quelque chose de satisfaisant.
X-WOMEN
Nul doute que le succès et le nombre de saisons d'ores et déjà prévues par Netflix ont donné des ailes aux frères Duffer et leurs scénaristes. Plus besoin de défendre chaque morceau, de contenir toute l'histoire et ses ramifications en une saison par peur de ne pas avoir de suite : Stranger Things 2 a présenté un certain nombre d'éléments et personnages destinés à prendre plus de place et d'ampleur par la suite.
Parmi eux : Eight alias Kali (Linnea Berthelsen), une autre enfant dotée de pouvoirs qu'Eleven a rencontré plus jeune dans le laboratoire. Elle ouvre la saison et est au cœur d'un épisode particulier, centré sur Millie Bobby Brown loin de Hawkins - et stratégiquement placé pour nourrir le suspense avant la dernière ligne droite.
Un choix qui pourra en rebuter certains, notamment sur la question du rythme global de la saison, mais qui annonce que les frères Duffer comptent bel et bien élargir leurs horizons puisque Kali a des pouvoirs très différents d'Eleven - de quoi s'attendre à beaucoup d'autres "mutants" étonnants par la suite. Avec cette parenthèse entre X-Men et Dark Angel, Stranger Things pose les premières pierres de quelque chose de plus grand encore, avec un cadre condamné à aller au-delà de Hawkins et ses habitants.
STRANGER SQUAD
Stranger Things confirme néanmoins avec cette deuxième saison et notamment son final que le principal intérêt reste bien le groupe de héros. La série sépare vite les héros, lancés dans leurs quêtes plus ou moins personnelles (Dustin et Dart, Eleven et son passé, Lucas avec Max, les plans Nancy et Jonathan pour venger Barbara, Joyce et Hopper qui tentent d'aider Will), mais prend garde à ne pas abîmer au passage l'effet magique de la bande. La complicité étonnante entre Dustin et Steve témoigne d'un désir certain de distribuer la tendresse de manière équitable, sans se refermer sur les valeurs sûres.
A ce titre, retenir si longtemps les retrouvailles entre Eleven et les héros aura été un vrai parti pris, et une manière adroite de gérer les attentes et l'aura de ce personnage précieux. Son retour offre finalement une belle scène, portée par une réelle émotion grâce à Finn Wolfhard et Millie Bobby Brown, impeccables. Et servis par des scénarios plus riches qui donnent de nouvelles dimensions à leurs personnages, Gaten Matarazzo, Caleb McLaughlin et Noah Schnapp confirment tout leur talent.
Lorsque le climax voit les héros séparés face à trois menaces, d'une séance d'exorcisme à une confrontation spectaculaire à la créature de l'Upside Down, Stranger Things confirme que la petite magie à l'œuvre est intacte. L'épilogue, parfait mélange de niaiserie irrésistible et de suspense alléchant, le rappelle à nouveau.
EN BREF
A bien des égards, cette saison 2 est la suite et presque fin de la saison 1. Le laboratoire et le portail sont fermés. Le groupe, reformé. Barbara est vengée. Eleven a (re)gagné son identité et un prénom. Mike, Will, Joyce et Jim ont semble t-il trouvé une forme de paix avec la folie de ce petit monde.
Malgré une pression qui aurait pu devenir destructrice, Stranger Things 2 garde le cap, sans se trahir ni se perdre, et malgré des ambitions pas toujours maîtrisées. Sans surprise, elle ne surmonte pas des défauts qui sont dans son ADN, mais déploie une énergie considérable pour satisfaire le public, sans abîmer ses personnages et son univers.
A défaut de s'approcher de la profondeur des œuvres de Steven Spielberg, Stephen King et John Carpenter abondamment citées, la série des frères Duffer continue donc à tracer sa route avec la même euphorie communicative. Et nul doute que la dernière image de cette deuxième saison donnera une seule envie : ré-embarquer à nouveau avec les mômes pour une nouvelle aventure.