29 août 2017

Die Hard - John McTiernan


Dans la chronologie du cinéma d'action des années 80, Piège de cristal possède le statut très particulier de tournant, d'œuvre charnière synonyme de révolution du genre investi, dont l'influence fut telle qu'une bonne partie de la production de films d'action de la décennie suivante emboîta le pas de ses idées conceptuelles (le déroulement à huis-clos du récit notamment). Le genre de film dont les ficelles narratives deviennent des codes, son héros, une figure emblématique de la culture pop, et sa mise en scène, un évangile qui n'eut de cesse d'engendrer ses apôtres. Bref, il y a eu un avant et un après Piège de cristal, et pour comprendre les raisons de l'importance fondamentale qu'il occupe dans le paysage cinématographique, il convient de revenir au principal dépositaire de la réussite du film, à savoir son réalisateur, l'immense John McTiernan.

Sans minimiser la solidité du scénario de Steven E. de Souza, ou l'apport conséquent de Bruce Willis dans le rôle de John McClane, la force du film tient à la manière dont McTiernan est parvenu à s'approprier les figures d'un genre pour en réinventer l'essence à l'aune de ses propres thématiques. On a souvent observé -à raison- l'intérêt porté par McT à la question des origines, notamment à travers l'idée de régression comme condition de la transcendance (le final de Predator, et un Schwarzy contraint de retourner à un état primal pour vaincre son ennemi).


Un thème qui ne saurait s'articuler chez le réalisateur autrement que sous l'angle d'un rapport dialectique entre ses personnages et l'environnement dans lequel ils évoluent, les premiers étant par la force des choses appelés à gagner leur droit à exister au sein d'un territoire fondamentalement hostile à sa présence.

Or, l'aura de Piège de cristal provient notamment de la propension de McT à élever les codes du genre au travers de cette exigence thématique, au point de lier peut-être pour la première fois les figures du genre avec cette dimension touchant à l'identité même du genre humain.Cela peut sonner grandiloquent, mais c'est pourtant ce qui rend le héros si attachant. La toute première scène du film condense la note d'intention de John McTiernan : le bruit d'un réacteur alors que les crédits défilent sur l'écran, un avion qui se pose sur le tarmac dans le soleil couchant, et un gros plan sur les mains d'un personnage agrippant son siège, avant qu'un léger travelling arrière ne s'amorce pour dévoiler le visage de son voisin, puis in extremis celui du protagoniste crispé.


A contre-courant de l'iconisation immédiate et tapageuse de l'époque, cette ouverture place McClane sur un pied d'égalité avec son voisin, sollicitant d'emblée chez le spectateur une empathie pour cet « average joe » perturbé à l'idée de quitter le plancher des vaches. De plus, le découpage permet au film de s'immiscer d'emblée dans un onirisme instantané : l'enchaînement des plans (bruits-contexte-sujet) introduit le spectateur dans l'inconscient flottant d'un personnage qui vient de se réveiller dans son rêve. Le regard équivoque que lui lancera l'hôtesse se passe de commentaire : nous venons d'entrer dans une autre dimension.

Cela pourrait être une coquetterie d'auteur désireux de marquer son territoire dans le système des studios, c'est surtout le moyen pour McT de concilier les deux aspects antinomiques de sa narration : raconter la lutte d'un homme normal pour survivre dans un contexte résolument anormal. Et nous préparer à accepter inconsciemment les péripéties qui vont suivre.


Revendiquer la surfictionnalisation inhérente au genre dans lequel il s'inscrit représente paradoxalement la clé de l'identification viscéralement empathique que le spectateur va investir en John McClane et le chemin de croix qu'il va traverser. La lutte qui s'engage entre lui et son environnement s'amorce ainsi à mesure que ce dernier revêt une acception protéiforme, d'abord au travers de la valeur symbolique que lui donne la mise en scène (voir comment la tour semble écraser McClane lorsqu'il l'aperçoit depuis la limousine), mais aussi au sein d'une dimension plus abstraite, élaborée par la scénographie du réalisateur.

A ce titre, il convient de se remémorer la prise de contrôle des terroristes de la tour de Nakatomi, tout en vecteurs formés par la gestion cinématique de McT dessinant une figure d'encerclement. Chez McTiernan, le décor est également en mouvement hors/cadre, d'où l'impression d'une narration en apesanteur, matérialisant un songe (ce à quoi McT l'a souvent comparé) émanant de l'inconscient du héros.


C'est ce dispositif qui va permettre au film d'accompagner le parcours du héros, évoluant dans un monde à l'onirisme souligné, donc peuplé d'antagonistes à la contenance archétypale en granit (voir leur maîtrise de l'espace) à la hauteur desquels il va devoir se hisser (à noter cependant la façon dont ceux-ci sont progressivement démystifiés à mesure que McClane passe du statut d'intrus à celui d'adversaire : l'homme de main qui se laisse tenter par une barre chocolatée, l'introduction de l'hymne à la joie pour accentuer la joie enfantine d'Alan Rickman lorsque la porte du coffre s'ouvre...).

D'où cette régression progressive du personnage, totalement démuni dans un milieu hostile(il commence la partie en marcel, sans chaussures et avec un simple automatique face à des bad guys surarmés), et appelé à renouer avec une forme de primitivisme (Holly, qui peine à reconnaître son mari lors du climax). D'une certaine manière, McTiernan se pose en cousin de David Cronenberg, dans la mesure où les stigmates de la chair accompagnent ici la mutation de l'esprit. En filmant la quête d'un homme pour retrouver sa femme, McT décompose les étapes du parcours douloureux faisant accéder son personnage au rang d'action hero.


EN BREF

Plus que le film d'action ayant révolutionné un genre, Piège de cristal s'impose comme l'œuvre qui en a post daté la genèse. Rétroactivement, le first action movie.

21 août 2017

Le Salaire de la Peur - Henri-Georges Clouzot


Quelque part dans un village d'Amérique du Sud, des hommes ayant fui leur passé croupissent en attendant une illusoire échappatoire. Quand un puits de pétrole exploité par une société américaine prend feu à quelques centaines de kilomètres de là, l'occasion se présente enfin : quatre d'entre eux devront, contre une importante rémunération, acheminer deux camions chargés de nitroglycérine jusqu'au puits, afin d'y étouffer le feu. Mais la dangerosité de la cargaison comme de la route rend la mission particulièrement périlleuse.

ANALYSE ET CRITIQUE

Après trois premiers longs métrages exemplaires (pour ne pas dire parfaits) mais dans lesquels le verbe prédominait largement, Henri-Georges Clouzot chercha à se renouveler, et entama une période de mutation.Manon, inspiré de l’Abbé Prévost, témoignait, notamment dans sa dernière partie, de cette volonté d’évoluer, assez audacieuse à défaut d’être tout à fait accomplie : Clouzot cherchait alors de nouvelles formes d’expression, et sa participation au film à sketchs Retour à la vie ou son incursion (anodine) dans la comédie (Miquette et sa mère) en témoignèrent également à leur manière. Le Salaire de la peur marque en quelque sorte une forme d’aboutissement de la démarche : en réalisant un film de pure forme, qu’aucun de ses travaux antérieurs ne pouvait permettre d’anticiper, Clouzot achevait une première mue. Le roi des mots était devenu également un maître de l’image.


Pour autant, l’accouchement se fit dans la douleur et la mise en œuvre fut pour le moins laborieuse et mouvementée. Initialement, le film devant faire suite à Miquette et sa mère est Brasil, un projet ambitieux et un peu fou de journal de voyage filmé au cœur du pays de sa nouvelle épouse Vera, à laquelle il s’est uni au début de l’année 1950. Sur place, le projet se heurte à des difficultés logistiques, techniques ou administratives - sans compter la démesure géographique d’un pays grand comme un continent. Après dix semaines d’efforts, Clouzot prend la décision d’annuler le film et de rapatrier son équipe : « Je ne rapporte aucun film, tout juste un scénario et des souvenirs, mais des souvenirs si surprenants qu’ils compensent le chagrin de l’échec », écrit-il en préambule du Cheval des dieux, le livre qu’il tirera de l’expérience.

De l’aventure de Brasil autant que de l’amour - ou de la fascination - qu’il éprouve alors pour la si complexe Vera, Clouzot tirera un attachement particulier au continent sud-américain, exotique et mystérieux. Dès lors, quand Pierre Lazareff lui parle du roman de Georges Arnaud, publié courant 1950, son intérêt est inévitablement attisé. La personnalité elle-même de l’auteur avait de quoi chatouiller la curiosité perverse de Clouzot : accusé d’un triple crime familial d’une grande sauvagerie (son père, sa tante et une domestique, massacrés à la serpe) et finalement acquitté après dix-neuf mois de procédure, Arnaud avait filé au Venezuela, où il était devenu chercheur d’or, contrebandier, chauffeur de camions... De cette dernière expérience, il s’était nourri pour écrire un roman d’une grande violence, qui captive immédiatement Clouzot au moins autant pour ce qu’il raconte que pour les perspectives formelles qu’il y envisage. Aidé de son frère Jean (crédité au générique sous le pseudonyme de Jérôme Geromini), Clouzot accouche d’un script de près de 400 pages, infiniment moins dialogué que ses travaux antérieurs.


Surtout, Clouzot veut tourner en décors réels, à une époque (dix ans avant la Nouvelle Vague, par exemple) où l’essentiel d’un film, y compris les extérieurs, se tourne en studio. Il se fixe d’abord sur l’Espagne, avant qu’un accrochage avec le couple Montand-Signoret (qui refuse de cautionner la dictature franquiste) ne le mène à se rapatrier en Camargue, près du village de Saint-Gilles. Là, l’équipe chargée du décor travaille d’arrache-pied pour construire Las Piedras dans les moindres détails (jusqu’aux noms des défunts seront gravés sur les pierres tombales, pourtant invisibles à l’écran). Mais à la fin de l’été 1951, des pluies torrentielles s’abattent sur le sud de la France, et pendant plus d’un mois, Clouzot ne peut que regarder son décor s’éroder et ses équipes trépigner dans leurs chambres d’hôtel. En novembre, seules 35 minutes de film (l’introduction au village) ont été tournées, et la production est ruinée. Le tournage s’interrompt jusqu’à ce que, six mois plus tard, Georges Loureau prenne le relais de Raymond Borderie et relance la production. En juin 1952, les prises de vues des séquences faisant intervenir les camions débutent enfin : chacune, tournée dans des conditions réelles, représente un défi logistique autant qu’une prise de risque considérables (deux soldats du 7ème Régiment du Génie d’Avignon, sollicité pour des travaux d’acheminement ou de construction, se noieront accidentellement). Le tournage, éprouvant et tumultueux, se poursuit jusqu’en novembre 1952 : près de seize mois après ses débuts, le film est enfin en boîte. Présenté au Festival de Cannes 1953, il reçoit le Grand Prix (qui ne s’appelait pas encore la Palme d’Or), ainsi que l’Ours d’Or du Festival de Berlin ou le Prix Méliès (remis par le syndicat français de la critique). Quelques décennies après son tournage, le film est désormais largement considéré comme un classique. Il le mérite : œuvre d’aventure épique, porté par une vedette de music-hall (Yves Montand) au faîte de sa gloire, il s’agit d’un remarquable film populaire, tout en étant simultanément l’un des travaux formels les plus singuliers et les plus ambitieux de son génial réalisateur. Tâchons ici d’en étudier quelques-unes des spécificités.

La première est structurelle, et ce tant au niveau de l’intrigue que de la narration : sur le premier point, le film repose sur une construction étonnante, avec une installation extrêmement longue (plus d’une heure dans le village avant le départ des camions), qui participe à la mise en place d’une atmosphère moite, étouffante, purgatoriale : à Las Piedras, la tension provient au moins autant des rapports conflictuels entre les personnages (Mario et Linda, Mario et Jo, Jo et Luigi...) que de la sensation qu’il s’agit d’insectes (penser au tout premier plan du film) se débattant dans la boue en croyant - les fous ! - qu’il leur sera possible de s’en extraire. La vocation de cette première partie est donc de montrer à quel point, écrasés de soleil et d’inactivité, ces hommes seront prêts à tout pour trouver une issue, jusqu’à accepter la mission la plus absurde et la plus kamikaze qui soit.


Ensuite, une fois les camions partis, on demeure surpris par l’audace, la modernité et l’efficacité de la construction en paliers : la bambouseraie obscure ; la route de tôle ondulée ; le ponton des abymes ; le rocher obstrueur ; le cratère de pétrole... tant de « niveaux » à surmonter, comme dans les jeux vidéos primitifs des années 80, où la moindre erreur de parcours déclenchait un funeste « game over ». Dans Le Salaire de la peur, la mort rôde, omniprésente, et c’est finalement quand on s’y attend le moins qu’elle surgit le plus violemment : les quatre chauffeurs sont des morts-en-sursis, et si l’un d’entre eux parvient finalement à atteindre le but, c’est pour mieux être rattrapé, quelques instants plus tard, par une impardonnable faute d’inattention.

La force structurelle du film provient également, donc, des procédés de découpage ou de montage utilisés par Clouzot pour charger son récit de tension : peu de mouvements de caméra, un montage sec et vif, et une manière constante d’envisager les plans et leur arrangement comme les accords fondamentaux de sa mélodie du suspense. Toute la séquence préparatoire à l’explosion du rocher, à cet égard, est un modèle du genre : entre l’émergence de l’idée dans l’esprit de Bimba (que Clouzot nous suggère via une inscription sur le camion) et l’explosion en elle-même, il s’opère plus de douze minutes quasi-muettes, qui reposent essentiellement sur l’articulation entre les actions de chacun et la traduction visuelle de leur appréhension ou de leur inquiétude. Des objets aussi anodins qu’une bouteille thermos, un marteau ou une boîte d’allumettes se chargent alors d’une tension inimaginables et, pour tout dire, à la limite du supportable. Ce dernier point nous permet, au passage, d’insister sur la science du détail d’Henri-Georges Clouzot, qui parvient dans ce film à dire beaucoup par le biais d’inserts sur des objets soudain chargés d’une signification bien plus forte que celle conférée par leur fonction initiale : pensons au mouchoir de Luigi ou à la cigarette retrouvée près du cratère...


Enfin, le récit a ceci de fascinant qu’il se concentre sur une entreprise, sinon vouée à l’échec, en tout cas fondamentalement irraisonnable et absurde. Tant d’efforts pour qui, pour quoi ? Certainement pas pour l’entreprise pétrolière qui exploite la région (O’Brien, l’Américain, dont on devine qu’il poursuit avec la façade de la respectabilité économique ses pratiques de gangster d’autrefois, sans aucun respect pour la vie des autres... alors, pour pouvoir fuir ? S’échapper ? Mais la mort n’est-elle pas, pour eux, l’échappatoire ultime ? Bien plus qu’un récit d’aventure picaresque, Le Salaire de la peur possède un sens de l’épique et du tragique liés à la condition humaine qui a de quoi laisser pantois. Ces hommes perdus n’ont plus rien (pas même de passé !) sinon leur capacité d’agir... alors ils agissent. A cet égard, le processus d’identification à l’œuvre dans Le Salaire de la peur n’est pas tant pour les personnages que pour ce à quoi ils sont soumis : une idée de la fatalité, et de la futilité de l’existence humaine.

En ce sens, Le Salaire de la peur est moins un film de personnages (et ce même si on apprécie, là encore, tout ce que Clouzot parvient à suggérer, par exemple, du personnage de Bimba, sans jamais vraiment rien en dire) qu’un film de concepts, voire plus précisément, un film de contraste de concepts : le courage et la peur ; la dignité et la honte ; la force et la faiblesse ; l’amitié et la discorde ; l’espoir et la désespérance... cette idée centrale du contraste régissant également, en grande partie, l’anatomie formelle du film, entre par exemple ces jours brûlés de soleil et ces nuits sombres traversées par la lumière des phares ou les flammes des derricks en feu...


Quelques décennies plus tard, il se trouvera probablement des spectateurs contemporains pour déplorer le manque de crédibilité ou du point de départ ou des agissements des personnages. De notre point de vue - et au-delà du fait que le film traduit une réalité d’exploitation économique dans des territoires sous-développés particulièrement pertinente dans les années 50 - cette forme d’irréalisme consolide la portée du film, en renforçant sa nature de conte existentialiste : l’important n’est pas tant d’y croire que de ressentir (derrière la mécanique, la dimension organique du film, en particulier dans sa dernière partie, est particulièrement palpable) ce que le film traduit de notre condition à tous. En tout état de cause, ce film ample et complexe demeure l’un des plus précieux diamants noirs de l’histoire du cinéma français.

10 août 2017

Aya de Yopougon - Clément Oubrerie et Marguerite Abouet



Film français présenté à Annecy en 2013, et ayant assez peu brillé dans nos salles françaises cette année (il faut dire que la compétition était très rude en cet été 2013), Aya de Yopougon avait pourtant toutes les qualités requises pour trouver un public dans les salles obscures. Adaptation d’une bande dessinée bien connue du public français du même nom, ce tout nouveau long-métrage d’animation en 2D est d’une rare fraîcheur. Même si la transposition sur grand écran des trois premiers volumes de la matière littéraire d’origine fait preuve d’un réel manque de risques, l’ensemble est réjouissant.


Fort d’un humour décapant, Aya de Yopougon est un film au capital sympathie fort appréciable. Grâce à des personnages très différents les uns des autres et un scénario donnant la part belle à chacun des protagonistes présents, l’ensemble convainc rapidement. Doté d’un scénario aux multiples facettes, qui sont peut-être trop nombreuses à en croire le nombre colossal de personnages ayant une trame narrative personnelle, le premier long-métrage animé de Marguerite Abouet possède un traitement narratif on ne peut plus original. Il est certes regrettable qu’Aya, personnage principal amené par le titre du film, soit trop en retrait par rapport aux aventures amoureuses de ses amies mais cette présence-absence participe également à l’établissement psychologique de ce personnage qui rêve d’une carrière médecinale alors que ses amies pensent avant tout au mariage. Enjoué, le long-métrage de Marguerite Abouet (déjà auteure de la bande dessinée) existe avant tout grâce à ses personnages vivants qui parviennent à exister au-delà des quatre-ving dix minutes que durent le film – nous écrivons ces lignes deux semaines après le visionnage du film, et la bonhomie des personnages nous envahit encore. On pourrait regretter, dans cette optique, le doublage hasardeux de certains personnages qui contraste avec l’hilarante interprétation d’autres protagonistes – la nonchalance d’Hervé est un vrai plus comique dont s’entiche avec plaisir le film – mais ce serait là une manière de stigmatiser un des défauts mineurs du film.


Malheureusement, tout n’est pas chatoyant à Yop City puisque si l’animation est charmante (un rendu 2D crayonné très accentué) elle n’apporte que peu de choses par rapport à la bande dessinée originale si ce n’est le soupçon de vie nécessaire à tout film, d’autant plus que ce style d’animation avait déjà été expérimenté au cœur du long-métrage de Joann Sfarr, Le Chat du Rabbin. De même, la musique est un peu répétitive et s’entiche de sons un peu stéréotypés là ou les autres composants du film savent se détacher des images et ou idées préconçues au sujet de l’Afrique. Afrique qui, ici, est présentée comme une terre de bonheur et de festivités, loin des pamphlets inquiétants que le cinéma mondial nous ressert au sujet de ce beau pays depuis une dizaine d’années. En somme, Aya de Yopougon a tout du sympathique film d’animation qui ne nous ment jamais sur ses intentions. Évidemment, nous sommes loin d’un chef d’oeuvre maîtrisé de bout en bout, la faute à un scénario trop fragmenté entre les différents personnages et à une esthétique un peu répétitive, mais l’ensemble est si entraînant qu’il serait dommage de s’en priver !


EN BREF

Aya de Yopougon est un petit film à la française qui manque de précision mais qui mérite que l’on s’y attarde, ne serait-ce que parce qu’il propose de vivre une heure et demie de tranche(s) de vie(s) saupoudrée(s) de gaieté. 

05 août 2017

La liste de Schindler - Steven Spielberg



Avec La liste de Schindler, Steven Spielberg accomplit à sa manière le devoir de mémoire qu'induit le souvenir de la Shoah. Ni documentaire, ni témoignage, le film prend le parti de la fiction pour évoquer les horreurs du nazisme, ouvrant ainsi la porte aux reproches de tous bords. En choisissant de centrer l'histoire sur un industriel allemand plutôt que sur les victimes, en adoptant une photographie noir et blanc léchée, Spielberg tend le bâton pour se faire battre : peut-on, quand on aborde un thème aussi délicat, s'éloigner même d'un iota de la vérité historique ? Est-il permis d'« esthétiser » l'horreur ? A-t-on le droit d'humaniser les tenants du pouvoir politique, économique et militaire du IIIe Reich ? Autant de questions soulevées à la sortie du film, et renouvelées à chaque nouvel essai du genre (La vie est belle de Roberto Benigni, ou plus récemment La chute d'Oliver Hirschbiegel).


Pourtant, face au travail fourni par le réalisateur américain, il est vite évident qu'aucun de ces arguments ne tient la route. D'abord parce que le personnage d'Oskar Schindler, bourgeois allemand élevé au rang de « juste » après la guerre, permet un traitement du sujet d'un point de vue inédit. L'homme n'est ni un farouche partisan de la cause hitlérienne, ni un résistant de la première heure : plutôt indifférent, pas concerné. C'est face à l'horreur de la Solution Finale que son regard va changer et qu'il va être amené à prendre parti. En encourageant le spectateur à s'identifier à ce personnage trouble, Spielberg force le public à passer par le même cheminement intellectuel : l'obliger à ouvrir les yeux, à accepter les réalités du génocide juif et à se positionner par rapport à ce drame. Et comme Oskar Schindler, à se sentir impuissant devant l'ampleur du phénomène : faire quelque chose d'accord, mais pour qui ? Car sauver uniquement les personnes que l'on connaît reviendrait à dire que certains méritent plus que d'autres de s'en sortir... Un cheminement bien plus efficace que si le réalisateur nous avait fourni une panoplie clés en mains de la compassion, en nous poussant simplement à nous identifier directement à l'une des millions de victimes du nazisme. Et c'est sans doute là que se situe la plus grande réussite de Spielberg : dépasser la compassion facile envers une victime identifiée pour nous faire crouler sous le poids de la souffrance de TOUTES les victimes, jusqu'à en étouffer.


Le choix du noir et blanc, s'il permet quant à lui de donner un peu de recul par rapport à la violence des images, n'en diminue pas moins celle des émotions que le film provoque. L'enfant faisant le geste de trancher une gorge devant les déportés juifs, les exécutions sommaires et gratuites, la folie d'un Ralph Fiennes devant son attirance pour une domestique juive sont autant de scènes qui marqueront au fer rouge la conscience du spectateur, de même que cette petite touche de couleur - le manteau vieux rose d'une fillette dans cet univers gris - s'inscrira comme une tache indélébile dans son esprit. C'est d'ailleurs dans le discours purement cinématographique, encore plus que dans le scénario, que le film offre ses moments les plus douloureusement marquants. Ainsi, le procédé de l'attente dans la salle des douches (sans doute la seule scène vraiment discutable du film) ou la confusion provoquée par le noir et blanc entre la neige et les cendres apparaissent ici comme les mots plus personnels d'un réalisateur profondément humaniste.

EN BREF

Loin d'utiliser l'horreur pour faire du cinéma, Spielberg fait du cinéma (et du grand) pour dénoncer l'horreur. Ce faisant, il donne à voir une oeuvre bouleversante qui accomplit avec noblesse et dignité son devoir de mémoire. Et dans ce cas, celui qui touche un esprit sauve l'humanité toute entière...