22 juillet 2017

Dunkerque - Christopher Nolan


Il compte parmi les derniers metteurs en scène à réaliser des blockbusters. En dehors des modes et défenseur d'un cinéma pensé comme un art visuel avant d'être une source de marques et de franchises interchangeables, Christopher Nolan s'attaque désormais au film de guerre, qu'il repeint de ses obsessions et de ses figures de styles favorites.

THE DARK INTERCEPTION RISES

Vendu par Warner comme un film de guerre total, Dunkerque a en revanche été présenté par son réalisateur comme un survival. Si sur le papier ces deux approches ne s’excluent pas et peuvent même se répondre, il semble que le nouveau film de Christopher Nolan soit encore autre chose, une proposition hybride et passionnante. Il s’agit tout simplement d’une gigantesque abstraction, un bac à sable virtuel où l’artiste a disposé tous ses motifs et obsessions.

Depuis Memento, il questionne notre rapport au temps, sa perception et notre capacité à influer sur son cours (Interstellar). Ici, nous suivons trois soldats précipités à trois moments distincts d’une même bataille. Un fantassin coincé sur une plage française durant une semaine, un volontaire britannique en mer le temps d’une journée pour rapatrier les troupes et un aviateur de l’Air Royal Force pendant une heure de combats décisifs.


Soit un trio précipité dans un décor qui combine à la fois les artéfacts techniques et guerriers de la trilogie Dark Knight, la plage en forme de piège et la menace liquide convoqués dans Inception et Interstellar. Le champ de bataille de Dunkerque n’a en réalité plus rien à voir avec l’épisode guerrier du même nom ou une quelconque déroute militaire. Nolan nous invite dans un univers surréel, tantôt menaçant, tantôt poétique, où il va pouvoir déployer tout son art, avec une énergie décuplée.

IL FAUT MOUILLER LE SOLDAT RYAN

Et c’est là la grande force de son film. Sitôt passée son introduction, ou après une cavalcade urbaine désespérée, un jeune soldat débarque sur les immenses plages du Nord, transformées par les évènements et la mise en scène en vaste théâtre (d’opérations), le métrage mute et devient un pur trip sensoriel.


Christopher Nolan ne vise alors rien d’autre qu’un enchaînement de situations, toutes plus organiques, vertigineuses, les unes que les autres. Il y parvient le plus souvent, grâce à une maîtrise absolue de son art. Jamais jusqu’à présent le cinéaste n’aura atteint une telle harmonie en termes de montage, de découpage et de photographie, le tout au service d’une narration pensée comme un char d’assaut sommé de faire feu à volonté sur le spectateur.

L’effet est bien souvent dévastateur et les images impressionnent la rétine comme autant de shrapnels, portés par la partition assourdissante de Hans Zimmer. Le musicien prolonge son travail de déstructuration et opte pour une composition tout en grincements, sirènes, tic-tacs et violoncelles fous. Ses envolées décuplent la tension et induisent une panique rarement ressentie à l’écran avec autant de balistique acuité.


Quand s’entrechoquent un ballet de Spitfires lancés à la poursuite d’un bombardier Heinkel, de la masse désarticulée de milliers de corps se jetant soudain au sol pour survivre à un tapis de bombes, ou des infinies nuances des embruns et nuages mêlés dans le ciel du nord, Dunkerque élabore un dispositif pictural dont le pouvoir de sidération est indiscutable.

BABY WARRIOR

Si Nolan n’a jamais été aussi maître de ses effets, il n’a également jamais été aussi rachitique, contradictoire et insuffisant en matière de narration. L’éclatement temporel renforce l’immersion mais rend souvent confuse la progression dramatique du récit. Si les dialogues se font heureusement plus rares que dans les derniers films du réalisateur, le récit s’embourbe dès que les protagonistes ouvrent la bouche. À force de dialogues sur-signifiants et de métaphores pataudes, on ne sait trop si les héros de Dunkerque composent un plaidoyer contre la lobotomie ou se présentent à un concours de mirliton de la RATP.


Les comédiens ne sont pas en cause, chacun faisant ce qu’il peut avec l’embryon de personnage qui lui est assigné. Les plus expérimentés, Cillian Murphy et Mark Rylance, sont logiquement ceux qui s’en sortent le mieux, même s’il convient de noter que Fionn Whitehead assure dans le rôle compliqué d’une chaussette mouillée mal essorée. Il faut toute l’intensité de son charisme pour nous faire oublier l’obscénité avec laquelle Nolan gère les séquences à suspense entourant le personnage (« Ohohoh ai-je tué le figurant N°42 ou notre humide héros ? »).

La fonction de chacun devient alors évidente. Chaussette qui Goutte se veut le cœur émotionnel du récit, Super Rylance la caution morale et sermonneuse, tandis que Tom Hardy se paie une pause syndicale assis devant un fond vert, histoire d’assurer les jonctions temporelles. Cette disposition pensée grossièrement mais montée avec brio devient petit à petit trop transparente pour que la tension et le suspense y survivent. Ne restent plus alors au spectateur qu’à encaisser simultanément la maestria plastique de l’œuvre et sa bêtise non moins synthétique.


PS : avec la sortie du film, apparaît une polémique concernant la place donnée aux troupes françaises. À ce titre, rappelons que Nolan se focalise sur trois personnages britanniques quasi-exclusivement, et qu’il s’agit là de son droit le plus absolu.

En revanche, si Dunkerque n’a pas pour mission de brosser le spectateur hexagonal dans le sens du chauvinisme, les rares scènes où les soldats français (dont plusieurs dizaines de milliers moururent pour permettre l’évacuation des troupes anglaises) apparaissent, ils sont montrés incompétents, lâches, voire déserteurs et pas franchement finauds. Jamais à des fins idéologiques, toujours pour servir la dramaturgie d’une séquence donnée. Le résultat est maladroit, voire franchement indélicat eu égard au sujet traité, mais ne relève pas pour autant d’un véritable point de vue sur l’armée française et son rôle dans l’opération Dynamo. 

EN BREF

Tour à tour virtuose et benêt. Le soldat Nolan est un grand horloger qui ne sait pas lire l'heure.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire