Cube est à ranger aux côtés de Mad Max de George Miller, Evil Dead de Sam Raimi, Donnie Darko de Richard Kelly ou Primer de Shane Carruth : parmi les premiers films surpuissants, qui imposent d'emblée un cinéaste à suivre.
Lorsque cette histoire cauchemardesque de gigantesque cube labyrinthique remplie de pièges sort dans les salles, en 1999 en France, le réalisateur Vincenzo Natali a une petite trentaine d'années, et une belle carrière en perspective. Depuis, la réalité l'a rattrapé. Cypher puis Nothing en 2003, un segment de Paris, je t'aime avec Elijah Wood et une vampire, Splice en 2010, un Haunter sorti en VOD en 2014, plusieurs projets perdus (une adaptation de High-Rise et Neuromancer repris depuis par d'autres), et une foule d'épisodes de séries plus ou moins prestigieuses depuis - Hemlock Grove, Hannibal, Wayward Pines, Luke Cage, Westworld, The Strain, American Gods.
INCUBATION
Cube est donc né dans l'imagination de Vincenzo Natali, mais sous une forme bien différente. A l'origine, et avec l'intention de façonner un projet financièrement modeste, il y avait des experts comptables enfermés dans un cube habité par une créature, avec divers objets abandonnés et même une mousse comestible, dans une ambiance à la Terry Gilliam. Pour André Bijelic, un ami avec lequel il a passé son adolescence à écrire et tourner de petits films, le scénario manque de simplicité : ensemble, ils réécrivent et les personnages deviennent des prisonniers. C'est Graeme Manson, le troisième co-scénariste, qui en fera des gens normaux, qui se rencontrent dès le début plutôt qu'au fur et à mesure de l'exploration.
Si Natali a d'abord réalisé Elevated, un court-métrage claustrophobe dans un ascenseur, ce n'est pas parce qu'il y a puisé l'inspiration ou l'envie pour Cube : c'est parce qu'aucun producteur de Toronto n'ose financer son premier film, trop étrange. C'est grâce au Canadian Fil Centre qu'il se retrouve ainsi à réaliser son court-métrage, et grâce à eux également que Cube est lancé. Avec en tête des classiques comme Lifeboat de Hitchcock et Sa majesté des mouches de William Golding.
ENCUBÉS
Le rêve frôle néanmoins le cauchemar puisque le projet est validé à toute allure, empêchant le réalisateur de retravailler le scénario comme prévu. C'est le premier pas d'une production qui sera très compliquée : « J'avais une idée très précise de ce que je voulais faire, ça devait se faire de manière très carrée. Mais ça a été chaotique. Heureusement j'avais un contrôle créatif donc même si le film est imparfait, notamment techniquement, l'âme est intacte. »
Dès le premier jour de tournage, qui dura vingt jours, gros problème : les portes du cube, décor unique, ne s'ouvrent pas ou tombent par terre. C'est un cauchemar : Vincenzo Natali est alors obligé de revoir son découpage pourtant très précis pour tourner autour des portes, et le plan de travail est entièrement revu. Le décor, en plus d'être très fragile puisque principalement en carton et polyester, est très difficile à manœuvrer pour déplacer les parois. Le tournage se fera finalement en grande partie sur trois murs, obligeant le réalisateur à user de diverses stratégies pour l'illusion.
Avec un budget plus que limité, l'équipe de Cube encaisse. Puisqu'il n'y a qu'une seule porte capable de supporter le poids d'un acteur, tous ces plans se feront sur le même morceau de décor. Il faudra attendre les 3/4 du tournage pour qu'une solution abordable soit enfin trouvée pour refermer automatiquement les portes - d'où les personnages qui les referment souvent dans le film. Deux équipes se partagent le plateau entre le jour et la nuit, et travaillent même en parallèle lorsque ce sera nécessaire. Pour Vincenzo Natali, passionné de BD et armé d'un story-board précis, c'est l'épreuve du feu : « En vrai j'ai dû jeter mon découpage et tout refaire sur le plateau. »
CUBISSIMO
Cube n'a pas été un grand succès à sa sortie. Il a coûté 350 000 dollars, et en a encaissé environ 566. Il n'a même pas été encensé par toute la presse : 62% sur Rotten Tomatoes et 61 sur Metacritic, 3,2 de moyenne sur Allociné. Néanmoins, le film n'est pas passé inaperçu auprès du public de films de genre et notamment en festivals. Il a ainsi été couronné meilleur premier film canadien au TIFF et Corbeau d'argent au BIFFF, et récompensé à Gérardmer (Grand prix, Prix de la critique, Prix du public). La France l'accueille avec un enthousiasme spectaculaire : plus de 910 000 spectateurs. A titre de comparaison, c'est le double de Saw. Cube donnera naissance à une trilogie, avec le mauvais Cube 2 : Hypercube en 2003, le moins mauvais Cube Zero en 2006, et un projet de remake en chantier.
Le revoir vingt ans après, c'est reprendre conscience de la réussite de Vincenzo Natali, et la force de ce premier film à bien des niveaux. D'un point de vue efficacité déjà : à peine 90 minutes et un cauchemar diablement mené, où les différents éléments s'assemblent de manière précise et haletante. La mécanique est d'une simplicité irrésistible, tirant profit des différents stéréotypes (nommés selon des prisons en rapport avec leurs caractères) pour explorer l'âme humaine. Le principe n'a rien de nouveau, mais sert d'excellent moteur à ce cauchemar.
Cube regorge de scènes mémorables : de la première victime découpée en cubes à la vision vertigineuse de la paroi en passant par le visage rongé par l'acide, le réalisateur grave une foule d'images sur la rétine. C'est d'autant plus fort que le budget était très limité : les effets ont beau être parfois grossiers, l'impact demeure solide vingt ans après.
La raison est aussi à chercher dans les ambitions du film : cette idée d'une chose qui échappe à chacun, à un "tout" qui est bien plus que la somme de ses parties, à la manière d'une société composée d'individus capables ensemble du meilleur comme du pire, est passionnante. La peur et l'angoisse sourde face à une énigme totale, absurde, kafkaïenne, est d'une efficacité redoutable. Que le film brasse des thématiques aussi larges que le complot ou l'invasion alien, en adoptant un point de vue resserré sans jamais offrir de réponse, donne à Cube une couleur fascinante et inoubliable. Cube 2 : Hypercube aura rappelé, en immonde contre-exemple, toute sa valeur en en copiant bêtement tous les motifs - plus d'effets spéciaux, plus de clichés, plus d'explications, et plus de dimensions pour un résultat d'une laideur et d'une platitude folles.
Le film de Vincenzo Natali est en outre plutôt drôle, comme lorsque Rennes sort un "Suck it" à Holloway, ou quand celle-ci manque de s'étouffer avec un bouton sous le regard paniqué des autres. Vincenzo Natali s'amuse avec le spectateur, avec les clichés (le policier et leader sera en réalité le fou à lier), se paye un hommage appuyé à Alien avec son générique, et s'est surtout offert avec Cube une superbe carte de visite. De quoi se demander ce qui a cloché depuis pour l'empêcher de s'émanciper. Car si Splice et Cypher ont leur défauts, tout comme les plus confidentiels Nothing et Haunter, ils ont bel et bien prouvé le talent de ce cinéaste, qui pourrait sans nul doute faire de petites merveilles dans les bonnes conditions.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire