28 février 2017

Regardez le premier court-métrage de Barry Jenkins, réalisateur de Moonlight


Bien avant de réaliser Moonlight et de gagner l'Oscar 2017 du Meilleur film, Barry Jenkins passait derrière la caméra pour la première fois en 2003 avec My Josephine. Un court-métrage de huit minutes (son "préféré") écrit peu de temps après le 11-Septembre mais tourné plusieurs mois plus tard. 

Jenkins était déjà accompagné du même chef opérateur que pour Moonlight (James Laxton) pour cette histoire qui se déroule dans une laverie. Le réalisateur oscarisé écrit dans la description de la vidéo avoir été inspiré par "trois choses : le auvent d'une laverie de Tallahassee peu de temps après le 11-Septembre sur laquelle était inscrit "American Flags Cleaned Free", une image que j'avais en tête de deux personnes assises autour d'une table pliante, et ma colocataire qui était à l'époque obsédée par Napoléon. Nous étions de très jeunes hommes quand nous avons réalisé ce film". 

Regardez le court-métrage :

John Wick : Chapitre 2 - Chad Stahelski


Succès surprise de 2014, John Wick a sorti du coma les amateurs d’action et la carrière de Keanu Reeves. Délesté d’un de ses deux réalisateurs, gonflé à bloc et nanti d’un budget conséquent, mais aussi d’une attente décuplée, sa suite fera-t-elle encore mieux ?

DOUBLE DETENTE

Ne nous leurrons pas. Pour sympathique qu’il soit, le premier John Wick tenait plus de la papillote inattendue que du grand film d’action qui a été un peu vite porté aux nues. Grâce au passif de coordinateurs de cascades des metteurs en scène Chad Stahelski et David Leitch, ainsi qu’une série d’idées iconiques et gentiment débiles autour de la mythologie du tueur à gage, le métrage se hissait sans mal au-dessus de la mêlée des actioners à la caméra parkinsonienne.

Une friandise appréciable, mais John Wick : Chapitre 2 avait intérêt à sévèrement muscler son jeu pour s’imposer. Et cela tombe bien, c’est précisément ce que nous propose cette séquelle, qui surpasse son aîné dans tous les domaines. Dès son ouverture, le film s’évertue ainsi à faire passer le chapitre précédent pour un championnat de curling version handisport.

Keanu Reeves, un Néo-tueur sous Speed. 

GUNS ANATOMY

Si bastons et fusillades demeurent aussi félines qu’élégantes grâce à un mélange de chorégraphie et de découpage particulièrement malin, elles sont désormais d’une inventivité extrême. Leur dimension ludique joue ainsi à plein, chaque adversaire, décor ou rebondissement modifiant radicalement l’approche de la mise en scène.

On est ainsi brinqueballés d’un gunfight « muet » au beau milieu d’un centre commercial, à un ballet meurtrier où le crayon impressionne, en passant par une cascade qui s’étale le long d’un impressionnant escalier romain, nous rappelant que les dispositifs les plus simples sont parfois les plus spectaculaires. Encore une fois, les plans longs, impeccablement raccordés, toujours pensés pour mettre en avant les performances physiques et martiales des comédiens, sont la règle.

"J'ai vu de la lumière, alors je suis rentré."

Un principe qui sied particulièrement à Keanu Reeves, toujours aussi plaisant en Droopy cocaïné et revenchard, désormais grand amateur de macaronis. Comptant parmi les rares comédiens hollywoodiens compétents en matière de combats physiques et de maniement des armes, il nous offre une série de cascades et de jonglages pyrotechniques jubilatoires. Il faut voir le fringant quinquagénaire immobiliser un vilain rital à coup de crosse dans le larynx, tout en rechargeant un Benelli encore fumant, avant de lui donner les derniers sacrements à coup de plomb en fusion, pour comprendre combien Chad Stahelski et son comédien maîtrisent la violence cinégénique.

BATTLEFIELD OF THE GEARS OF THE RAID OF WAR

John Wick : Chapitre 2 est un spectacle intense et race, mais surtout un bouillon de culture cinéphile. Son climax aux airs de kaléidoscope est un clin d’œil évident à La Dame de Shangaï, quand une scène de suicide parfaitement inattendue nous promène entre Bava et Lynch, le temps d’un intermède funèbre, qui étonne par sa poésie morbide. Par petites touches, le film lorgne même vers le polar hard boiled issu des années 70 comme le rappelle une conclusion totalement désespérée et paranoïaque, signe que Stahelski, s’il souhaite divertir, ne prend pas son personnage à la légère.


Enfin, les influences de The Raid, dans le tempo comme la mécanique des affrontements, mais aussi du jeu vidéo (les third person shooters innervent littéralement le découpage du film), achèvent de faire du film un délicieux pot pourris d’excellentes influences.

Pour autant, le récit ne se prend jamais trop au sérieux. Toujours prompt à lorgner du côté du cartoon, notamment lors de son ouverture, ou de ses transitions, John Wick évite ainsi le piège du rococo pompier que lui tend son décor romain à base de trahison et de vengeance. Il en va de même pour l’invraisemblable Internationale des Assassins, évoquée dans le premier épisode. Conscient de son potentiel kitsch, le scénario joue cette carte à fond les ballons, bâtissant à la fois un univers distinctif et une fantaisie qui esquive le ridicule.

Ian McShane, la bonne fée des tueurs à gages New Yorkais. 

MENU OVERKILL MAXI BEST-OF

Mais à trop vouloir rassasier son spectateur, John Wick : Chapitre 2 manque de l'étouffer. Ainsi, le film est trop long d’un bon quart d’heure, la faute à une poignée de rebondissements, ou à quelques affrontements, certes virtuoses, mais qui s'étalent trop pour éviter les répétitions. Il est dommage qu’une partie des combats devienne (malgré une pluie d’excellentes idées) très facile à anticiper, en raison de leur longueur excessive.

De même, la franchise étant soudain devenue the place to be, on sent bien que l’inflation de personnages n’est pas toujours justifiée. À l’image du second rôle tenu par Laurence Fishburne, qui rappelle cruellement que le comédien est une pub vivante pour la retraite anticipée, tout en soulignant combien la séquence qui lui est dédiée est parfaitement inutile en termes de narration. Et dans un film d’action, inventif, intense, et plastiquement réussi, passer dix minutes aux côtés d’un éleveur de pigeon sous Tranxene frelaté, c’est long. Très long.


Rien de tout cela n’entame durablement le plaisir ressenti devant ce John Wick survolté, mais ces à côtés dommageables interdisent le film de se hisser au niveau de réussite totale qu’il ambitionnait. Reste un film d’action totalement jouissif, d’une générosité et d’une élégance peu communes.

EN BREF

Ce nouvel épisode, à quelques scories près, s'impose comme un fantasme de film d'action félin et cinéphile.

27 février 2017

Pourquoi Moonlight a remporté l'Oscar



Et si c'était le film ultime de l'ère Obama?

La compétition entre La La Land et Moonlight pour l’Oscar du meilleur film se sera donc jouée jusqu’à la dernière minute. Et même après la dernière minute, le cafouillage de la mauvaise enveloppe ayant fait se succéder les deux équipes sur scène à quelques secondes d’intervalle. Et si, au-delà du gros fail, on prenait plutôt ça pour un beau symbole de passage de témoin générationnel ? Damien Chazelle (32 ans, 3 films au compteur) et Barry Jenkins (37 ans, 2 longs-métrages à son actif), tous les deux vainqueurs d’une cérémonie où n’était nommé presque aucun vétéran (ni Scorsese ni Eastwood), incarnant une nouvelle génération de réalisateurs successfull et conquérants. Soit un nouveau Nouvel Hollywood, couronné sous les yeux de l’ancien « Nouvel Hollywood » (Faye Dunaway et Warren Beatty, alias Bonnie and Clyde), qui s’interroge désormais sur sa myopie au moment de lire le nom des lauréats.

#OscarsSoBlack ?

La jeunesse : voilà le vrai symbole qu’on a envie d’accoler à la victoire de Moonlight. Bien sûr, après une édition 2016 marquée par la polémique OscarsSoWhite (en résumé : que des films blancs nommés et récompensés, l’année de Creed et de N.W.A. - Straight Outta Compton), les éditorialistes de tout poil vont saluer dans le succès de ce film (l’histoire en trois temps et trois acteurs de l’éducation sentimentale d’un gamin du ghetto de Miami) la victoire d’un emblème black sur l’autre chouchou de la saison, La La Land, romance de babtou fragile où des trentenaires blancs jouent du jazz en fantasmant le bon vieux temps de Fred Astaire et Ginger Rogers (on caricature, hein, j'adore La La Land). Mais Moonlight dépasse le strict cadre de l’expérience noire, du questionnement sur la représentation des minorités (à ce compte-là, c’est autant un film gay qu’un film black) et s’envisage avant tout comme une pure expérience de cinéma sensorielle, planante, éthérée, qui lorgne du côté de Gus Van Sant, Wong Kar-Wai et Hou Hsiao-Hsien, et place l’esthétique cent coudées au-dessus de la politique.

Post-racial

Bien sûr, politiquement, symboliquement, il y avait quelque chose de douloureux à voir Moonlight gagner in extremis, à l’arrachée, obligé de pousser l’équipe de La La Land hors de scène pour s’y faire une place. Un résumé fulgurant de la place des artistes noirs dans le cinéma américain ? Oui et non. La polémique OscarsSoWhite ne doit pas faire oublier que le cinéma des années Obama avait su faire de l’expérience noire américaine l’un de ses grands sujets (Lincoln, Django Unchained, Le Majordome,La Couleur des sentiments…) et que l’Académie n’y avait pas été totalement insensible (remember la victoire de 12 Years a Slave en 2014). Et si on considère que le cinéma fait toujours écho aux problématiques de son époque avec un léger décalage temporel, alors Moonlight, film éminemment post-racial, pourrait bien en réalité être le vrai grand film de l’ère Obama. Celui qui imagine le monde d'après. La La Land, et son parfum d’âge d’or, est un film de crise, un refuge anti-Trump, exactement le genre de musical merveilleux que le public allait voir dans les années 30 pour oublier l’orage qui grondait à l’extérieur. Moonlight, lui, n’oublie rien du passé mais entend surtout tracer une voie pour le futur. Que ce film-symbole des années Obama ait été récompensé sous Donald Trump est d’ailleurs en soi une excellente raison de garder espoir.

Breaking Bad : la guerre contre la mouche par le réalisateur de Star Wars


Du début des années 2000 resteront plusieurs séries. Parmi elles : Breaking Bad, création de Vince Gilligan devenue en quelques années un véritable phénomène. Formé sur X-Files où il a commencé en scénariste pour finir en producteur, Gilligan a marqué les esprits avec l'histoire improbable de Walter White, professeur de chimie dans une petite ville du Nouveau-Mexique, qui se lance dans un trafic de méthamphétamine avec l'aide d'un ancien élève lorsqu'il découvre être atteint d'un cancer en phase terminale.

Beaucoup de morceaux inoubliables dans Breaking Bad, qui s'est notamment terminé en beauté. Mais parmi les 5 saisons et 62 épisodes, un moment inclassable et unique : La Mouche (Fly), épisode 10 de la saison 3, réalisé par Rian Johnson (Looper, Star Wars : Les Derniers Jedi).


GENIUS IN A BOTTLE

Comme d'autres pépites, La Mouche est né de contraintes. Arrivé à la fin de la troisième saison, Breaking Bad a ainsi des problèmes : après avoir construit le décor du laboratoire, le budget est plus que serré. La production utilise alors la carte classique du bottle episode : une histoire écrite dans un souci d'économie, avec peu de décors et acteurs.

Interrogé par AV Club en 2010, le showrunner Vince Gilligan revenait sur les conditions particulières de l'épisode : « Il y avait certaines réalités financières. C'est un bottle episode, et on fait un bottle episode quand on doit respecter un planning et un budget. Ceci étant dit, même si ça n'avait pas été le cas, même s'il n'y avait pas eu cette situation financière, je pense en tant que showrunner qu'il devrait y avoir un certain rythme et une certaine forme dans chaque saison. Et le bouquet final qu'on cherche à avoir à la fin de la saison, ne serait pas si fort si on n'avait pas ces moments plus calmes, avant la tempête. Les épisodes plus tranquilles font ressortir encore plus ceux qui sont plus tendus et dramatiques. »


HUIS CLOS

Ce n'est pas un hasard si c'est le seul épisode de la série où Sky (Anna Gunn) n'apparaît pas, malgré sa courte présence hors champ : La Mouche est entièrement dédié à la relation entre Walter et Jesse, qui va prendre une tournure inquiétante et orageuse à cause d'un malheureux élément extérieur qui trouble le héros. 

Hanté par sa responsabilité dans la mort de Jane, profondément inquiet face à une existence de plus en plus dangereuse, Walter ne dort plus. Quelque chose lui échappe, à un degré plus ou moins tangible, et le ronge. Cette perte de contrôle, subtile mais potentiellement tragique, se concrétise : la dernière fournée de méthamphétamine de leur nouveau laboratoire, installé sous le business a priori innocent de Gus, n'est pas complète. Une petite différence qui n'inquiète pas Jesse, mais qui obsède vite Walter, à cran. Et lorsqu'il découvre qu'une odieuse mouche est entrée, il se lance dans une chasse hystérique pour l'arrêter, afin de reprendre le contrôle du domaine.


LES AILES DE L'ENFER 

La Mouche est la première incursion de Rian Johnson dans la série de Vince Gilligan, où il reviendra pour la dernière saison signer notamment le mémorable Ozymandias. A l'époque, il a été remarqué avec le film indé Brick et la comédie Une arnaque presque parfaite avec Mark Ruffalo, Adrien Brody et Rachel Weisz. Il n'a pas encore réalisé le film de science-fiction Looper mais Vince Gilligan a lu le scénario, et a été impressionné. 

Le running gag de la mouche qui titille un Walter à cran apporte une évidente touche de légèreté à l'épisode. Le héros se tape la tête contre un tuyau, allume une machine en frappant l'insecte, explose une lumière, perd sa chaussure et va jusqu'à s'offrir une chute grotesque dans sa chasse infernale. C'est une ficelle scénariste brillante : raconter en profondeur un personnage via une mise en situation a priori innocente, qui est pourtant chargée d'un sens fort. En l'occurrence, la peur grandissante d'un homme rongé par ses remords, piégé par ses choix de vie et sa confiance presque aveugle en lui-même.

Walter piège moins la mouche que lui-même, pressurisant le laboratoire pour s'enfermer avec sa propre conscience jusqu'à implosion. L'insecte est comme un mauvais génie qui le torture, se place face à lui pour lui rappeler ses limites et lui infliger les peines qu'il mérite. Lorsqu'elle se pose sur son front, elle laisse l'occasion à Jesse de rendre un coup à son associé survolté et enragé. Il cherche à se punir, et la mouche est là pour l'aider.


FLY ME TO THE MOON

Si La Mouche fonctionne aussi bien, c'est qu'il est d'une qualité formidable à tous les niveaux. L'écriture est simple et précise ("Tout est contaminé"), Aaron Paul et surtout Bryan Cranston sont excellents, et la mise en scène de Rian Johnson est superbe. D'un plan sur la mouche posée sur le verre des lunettes de Walter à la coupure d'électricité au moment opportun, l'épisode est un pur plaisir.

Dans sa dernière partie, la rage laisse place aux confessions dans un silence de plomb. Walter cherche le moment idéal où il aurait pu et dû mourir, raconte comment il a rencontré le père de Jane le jour où elle est décédée. La mouche viendra interrompre cette conversation centrale, et sauver Walter d'un aveu qui le ronge, alors qu'il glisse vers un état second. 

La révélation sur son rôle dans la mort de Jane viendra plus tard, dans un autre grand moment de la série : l'épisode 14 de la saison 5, Ozymandias, justement réalisé par Rian Johnson.


La meilleure scène est sans nul doute celle de la fin, lorsque Jesse monte sur l'échelle pour atteindre la mouche, tandis que Walter s'excuse à demi-mots pour Jane. Il tient littéralement la vie du garçon entre ses mains lorsqu'il dit "Jesse, je suis désolé. Je suis désolé pour Jane. Je suis vraiment désolé...". La mort de linsecte est retardée alors que Walter accepte que le contrôle lui a clairement échappé, et que "tout est contaminé" - dans le laboratoire, dans sa famille, dans son existence. La mouche sera finalement abattue, accompagnée des ronflements du père de famille.

Dans cette scène, à la fois simple et profondément complexe, il est clair que Breaking Badest une série fantastique. Et lorsque l'épisode s'achève, comme une boucle infernale, sur le son d'une nouvelle mouche qui rappelle à Walter qu'il n'y échappera pas, l'œuvre culte de Vince Gilligan rappelle qu'elle a été l'un des grands moments de la télévision des dernières décennies.

14 février 2017

Alias : Quentin Tarantino star d'un hommage à Die Hard


Alias n'est pas juste la série qui a révélé J.J. Abrams, Jennifer Garner, et Bradley Cooper. C'est surtout une excellente série d'espionnage, mélange audacieux de soap opera et de thriller, arrivée la même année que 24 heures chrono comme un bâton de dynamite dans le paysage TV américain.

C'est aussi une série qui s'est payée de nombreux invités de luxe : Faye Dunaway, Roger Moore, Rutger Hauer, Isabella Rossellini, Ethan Hawke, Christian Slater, Angela Bassett, Elodie Bouchez, David Carradine, Justin Theroux, Gina Torres, Tobin Bell, Amy Irving, et même quelques réalisateurs comme Peter Berg, David Cronenberg et Quentin Tarantino. Le cinéaste culte de Pulp Fiction et Jackie Brown incarne ainsi un fou furieux dans un double épisode mémorable de la saison 1 diffusé en 2001 : Jeux dangereux.


MY NAME IS SYDNEY BRISTOW

Créée par J.J. Abrams, Alias raconte l'histoire de Sydney Bristow, interprétée par Jennifer Garner. Recrutée pendant ses études, elle intègre le SD-6, une filiale de la CIA, pour devenir une espionne de premier ordre sous les ordres d'Arvin Sloane. Lorsque son petit ami la demande en mariage, elle décide de briser le code de sa double vie pour lui dire la vérité. Mais son fiancé est tué, et Sydney découvre à son tour la vérité : le SD-6 n'est pas une branche secrète de la CIA, mais l'ennemi qu'elle pensait combattre. Elle décide alors de devenir un agent double, pour oeuvrer de l'intérieur.

Episodes 12 et 13 de la première saison, Jeux dangereux intervient donc tôt dans l'intrigue. Après avoir appris dans le pilote la vérité sur son père Jack, qui est lui aussi un espion et un agent double pour la CIA, Sydney a découvert que sa mère n'était non pas professeure mais agent secret pour le KGB. Son mariage et sa famille n'étaient qu'une couverture. Sous le choc, elle annonce à Vaughn, son contact à la CIA, qu'elle va abandonner cette vie.

Le moment parfait pour les scénaristes sadiques de la série pour entraîner l'héroïne dans une prise d'otages au sein du SD-6, qu'elle devra donc sauver. Alors qu'elle descend vers les bureaux secrets en expliquant à son père que "This life has to stop", l'ascenseur s'arrête, comme pour lui répondre. Le diabolique McKenas Cole (Quentin Tarantino) débarque ainsi dans les locaux avec une équipe de mercenaires, enferme les employés, et commence à torturer Sloane pour pouvoir récupérer une mystérieuse boîte dans le coffre fort du SD-6.


GLORIOUS BASTERD

Avec son costume de Reservoir Dog et son air vicieux, McKenas Cole arrive pour une double mission : récupérer une mystérieuse boîte liée au fameux Rambaldi, le Leonard de Vinci au coeur des premières saisons d'Alias, et se venger de Sloane. Car Cole était un espion du SD-6, qui a été capturé et donc renié par ses supérieurs, puis torturé.

Le rôle sied parfaitement à Quentin Tarantino, qui incarne avec une aisance et un plaisir évidents ce mercenaire vicieux et revanchard. Les scénaristes lui offrent de longues tirades, probablement autant pour satisfaire le réalisateur que ses fans. Le voir rappeler à Sydney que des années plus tôt, il a tenté de la séduire mais que la jeune femme l'a menacée de lui briser les rotules s'il réessayait, est à ce titre particulièrement réjouissant vu la réputation de Tarantino. La confrontation ira jusqu'à l'affrontement à main nue, où le cinéaste prend brutalement le dessus avant d'être finalement mis à terre par l'héroïne.

Tarantino réapparaîtra dans la délicieuse saison 3, aux côtés de Sark et Lauren Reed, merveilleux antagonistes de Sydney. Car Alias a toujours su mettre en avant des personnages forts, charismatiques, parfaitement servis par une écriture hautement efficace.


DIE HARDER

Le nom sur le van des mercenaires de Cole, "McTiernan Air Conditioning", n'est pas innocent : le double épisode Jeux dangeureux rend un petit hommage au Piège de cristal avec Bruce Willis. Comme John McClane, Sydney Bristow s'interroge profondément sur son existence et ses choix lorsqu'elle échappe de justesse à une prise d'otages. Elle tente alors de mettre à mal les plans d'une bande de vilains en jouant avec leurs nerfs, notamment grâce aux conduits d'aération. Comme Gruber, Cole tente de soutirer au patron le code du coffre fort par tous les moyens.

Au-delà de cet hommage imbriqué dans ce faux bottle episode, il y a l'idée que tous les personnages sont des otages. Sloane, Marshall et Dixon sont pris en otage par Cole, lui-même otage de sa colère furieuse contre ce chef auquel il a trop fait confiance. Vaughn est coincé entre sa mission professionnelle et ses sentiments naissants pour Sydney. Jack est prisonnier de son passé, de ses mensonges incessants, qui le condamnent à briser son présent et sa relation bien compliquée avec sa fille.


Et Sydney, surtout, est otage : de sa famille, de ses choix, de ses émotions, de sa mission morale, de sa quête de vengeance pour le meurtre de son fiancé. Lorsqu'elle se rend à Cole pour sauver son père, l'homme lui aussi rongé par la colère lui offre un conseil : Sloane va la décevoir et la trahir, comme il l'a fait avec lui. L'héroïne ne peut qu'aquiescer en silence. Dans une autre scène, elle s'étonne d'être en pleine mission pour sauver ce SD-6 qu'elle cherche désespérément à détruire. Alias prend un malin plaisir à brouiller les pistes, redistribuer les cartes, et déplacer les lignes - pour rendre le terrible Sloane sympathique voire héroïque, pour prouver à Sydney qu'elle n'a pas la liberté qu'elle pensait posséder.

La course contre la montre pour empêcher le système de sécurité du coffre de détruire le SD-6 est celui de Sydney Bristow, condamnée à être hantée et rattrapée (littéralement) par ses démons. Alias n'en est qu'à la moitié de sa première saison et déjà, elle offre ce type d'épisode jouissif, qui confronte les héros à leurs failles et leurs limites, tout en assurant impeccablement le service côté suspense.

Sans oublier ce fabuleux mystère autour de Rambadli, utilisé comme un gigantesque MacGuffin pendant les cinq saisons de la série. Avant de repousser un peu trop les frontières de l'absurde et du délire new age à partir de la saison 4, Alias a ainsi été une série palpitante d'une efficacité redoutable, qui a utilisé et réinventé les ficelles du genre avec une audace parfois déconcertante. Jeux dangereux reste donc l'un des fiers représentants de cet âge d'or, et de l'attrait extraordinaire de la série à l'époque.

02 février 2017

The OA - Brit Marling et Zal Batmanglij


Après une année riche en création originale (Stranger Things, The Crown...), on ne s'attendait pas à ce que Netflix nous ponde une dernière œuvre télévisuelle en cette fin d'année. La plateforme a donc surpris son monde le 16 décembre dernier avec The OA. Sans hésiter, on s'est jeté corps et âme (au sens propre comme au figuré) sur cette perle mystérieuse et initiatique créée par le duo Brit Marling – Zal Batmanglij.



VERY STRANGE THINGS


Lors de l'annonce de l'arrivée de The OA sur la plateforme, nul doute que Netflix avait en ligne de mire le succès de sa série estivale Stranger Things. A l'instar de l’œuvre nostalgique des studios Amblin, la nouvelle création originale s'est dévoilée à travers une promotion quasiment inexistante : une bande-annonce publiée trois jours avant la sortie de la série accompagnée d'un synopsis dévoilé seulement 24h avant la diffusion, après une très vague annonce en mars 2015.

A bien des égards, quand on y regarde de plus près, The OA marche dans les pas de Stranger Things bien au-delà de la campagne promotionnelle. Pour ne pas citer les multiples points communs des deux séries, qu'on vous laissera découvrir par vous-mêmes, on pense entre autres aux saignements de nez de Prairie Johnson qui rappellent instinctivement ceux d'Eleven, ou l'obsession de la figure paternelle dans le récit. La série de Brit Marling et Zal Batmanglij, qui se retrouvent après le beau Sound of my Voice et The East qu'ils avaient déjà co-écrits, approche le genre avec bien plus de mystère et de prudence.



THE oRIGINES aDVENTURES



The OA se distingue en revanche très nettement de sa jeune aînée de par l'originalité de chaque instant, loin de l'histoire conventionnelle affichée lors des premières minutes du pilote qui ressemble presque à un X-Files : la réapparition d'une enfant aveugle qui a disparu sept ans plus tôt et qui a recouvré la vue à son retour. La série de Brit Marling et Zal Batmanglij va ainsi rapidement dérouter le spectateur.


Après nous avoir exposé cette histoire assez simple pendant 55 minutes, le récit de Prairie Johnson s'oriente vers une direction totalement inconnue. La fin du premier épisode est ainsi une surprise totale, et une véritable piste de décollage. A partir de là, le sentiment de se retrouver devant quelque chose défiant tous les codes de narration habituels s'ouvre littéralement devant nos yeux.


Toutes les perspectives sont permises. Et à moins de faire la sourde oreille ou d'être complètement aveugle, on comprend que The OA se savourera dans son ensemble et qu'il sera strictement impossible de s'arrêter à mi-chemin. Car The OA est un puzzle qui se construit petit à petit, dissimulant malicieusement chaque véritable indice ou fausse piste tout au long de ses huit épisodes.

Un nombre d'épisodes classique mais avec lequel The OA surprend également. Quitte à jouer avec les codes narratifs, la série s'amuse avec le temps. A l'image de son récit aux multiples arcs narratifs, mêlant présent et passé, la série s'oppose à toute logique de format télévisuel en s'affranchissant d'une durée obligatoire pour chaque épisode, passant parfois du simple au double.



EXPERIENCE SENSORIELLE IMMEDIATE 


Ce qui frappe le plus dans The OA reste cependant sa puissance émotionnelle et les sensations corporelles qu'il nous transmet. Jamais une série ne se sera autant basée sur la gestuelle et le regard de chacun de ses personnages. D'abord et avant tout à travers le corps de son héroïne : Prairie Johnson alias Nina alias The OA. Chacun de ses mouvements sont ressentis par le spectateur comme si nous ne faisions qu'un avec la jeune fille.

Lorsqu'elle raconte sa rencontre avec Hap à ses cinq compagnons, alors qu'elle est encore aveugle, le cadre est fermé et le champ flouté. Comme elle, nous sommes emprisonnés et ne pouvons nous fier qu'aux bruits et éléments hors du cadre pour nous repérer. Ce n'est d'ailleurs pas anodin si la musique joue un rôle à part entière au sein de The OA. Et parce que malgré la complexité de son récit, la série reste toujours cohérente, c'est bien évidemment dans un final étourdissant et transcendant que le spectateur entre cette fois en communion avec le corps de chacune des cinq "recrues" de Prairie.


Le casting est à l'image de la nature étrange de The OA. Autour d'une Brit Marling (actrice, co-créatrice, co-scénariste, co-productrice) parfaite dans la peau sensible d'une femme mystérieuse, qui rappelle son personnage dans Sound of my Voice, il y a une équipe à la fois inattendue et fabuleuse : le fantastique Patrick Gibson, Brandon Meyer, Brandon Perea, Ian Alexander (acteur transgenre qui fait ses premiers pas) et la très touchante Phyllis Smith (The Office) forment un groupe attendrissant et uni par une énigme qui rappellera parfois celui de Stranger Things.

Quelques visages connus comme Alice Krige, Scott Wilson, Emory Cohen et Jason Isaacs complètent le casting, 

L'excellent Riz Ahmed est également de la partie.

Alors on ne sait pas si The OA est parfaite. La découverte finale de French, l'un des cinq amis de Prairie, remet en effet en cause tout ce qu'on a vécu ; le sentiment d'avoir été trompé et berné sans aucune forme de compassion nous envahit. Mais quelque soit la part de réel et malgré la complexité évidente de son histoire, la création du duo fantasque Marling-Batmanglij reste une magnifique épopée philosophique sur la vie et la mort - entre autres.

Au fond, cette saison 1 peut se suffire à elle-même après nous avoir donnés quelques réponses et surtout posés de multiples questions. Mais les perspectives d'une saison 2, pas encore annoncée mais prête dans l'imagination du duo, nous ouvriraient de nouvelles possibilités. Et pour tout vous dire, s'il fallait repartir immédiatement, on embarquerait les yeux fermés.

01 février 2017

Moonlight - Barry Jenkins



Avec La La Land, Manchester by the Sea, Premier contact et Les Figures de l'ombre, c'est l'un des poids lourds de la saison des Oscars : Moonlight de Barry Jenkins. Deuxième film du cinéaste de 37 ans, cette histoire semi-autobiographique découpée en trois moments de la vie d'un garçon noir élevé dans un quartier difficile de Miami est donc très attendue. Avec une crainte : celle d'avoir affaire à un énième produit à Oscar.


MIAMI VICE

Moonlight est sans aucun doute desservi par sa place actuelle sur le marché hollywoodien : huit nominations aux Oscars (notamment meilleur film, réalisateur, scénario, acteur dans un second rôle et actrice dans un second rôle), Golden Globe du meilleur film dramatique, et une revue de presse dithyrambique pour s'attendre à un grand mélodrame flamboyant et terrible.

Le programme va dans ce sens : trois tranches de vie centrées sur un garçon né dans un sale quartier de Miami, auprès d'une mère toxicomane, avec une homosexualité difficile à vivre dans le décor.


Or, le deuxième film de Barry Jenkins, quasiment sorti de nulle part et entré dans la cour des grands avec ce pur film indépendant (budget de 5 millions), est moins évident. Moins clair, moins simple, moins facile à consommer. Pas de grande envolées mélo, pas de tragédie larmoyante, mais le portrait en trois traits d'un personnage emprisonné.

THREE TIMES

Centre de gravité du film, ce personnage a plusieurs surnoms, visages et corps (il est interprété à trois âges différents par Alex Hibbert, Ashton Sanders et Trevante Rhodes). Moins intéressé par la trajectoire noire tirée de sa propre enfance, Barry Jenkins dessine par touches cet alter ego, construit autour de trois rencontres décisives, qui montrent mieux que n'importe quel autre élément (la couleur de peau, les vêtements, le travail, les muscles) la personne qu'il est véritablement.

D'une figure paternelle à un premier amour qui le forgera dans la violence avant de lui offrir une lueur d'espoir, Moonlight assemble ce portrait avec une sensibilité étonnante. Si certains éléments empruntent lourdement au pur mélo, notamment avec la mère interprétée par Naomie Harris (inspirée par la propre mère de Jenkins), le cinéaste maintient une ligne dure et une distance presque glaciale avec son héros.


Cette retenue est la grande force du film, et également ce qui pourra surprendre l'amateur de drame larmoyant qui pensait avoir affaire à un mélodrame classique. En ça, il rappelle parfois Manchester by the Sea, le très beau film de Kenneth Lonergan qui résiste lui aussi aux plus grosses ficelles et se raconte par touches presque abstraites.

MOONLIGHT KINGDOM

Moonlight est plus fort dans le détail que dans sa globalité. Un exemple : un regard caméra d'une beauté et d'une violence saisissante de Naomie Harris, tourné en 48 images par seconde, comme Le Hobbit de Peter Jackson. Le choc est subtile, mais réel. C'est dans ces moments fulgurants que Barry Jenkins donne à son film une puissance folle, plus que dans certaines scènes ou dialogues un peu forcés (l'explication du titre).

Le vrai coeur de Moonlight semble d'ailleurs se cacher dans la troisième partie. La plus déchirante et surprenante, qui se retranche dans une zone moins stéréotypée, avec une tendresse et une finesse épatantes. C'est là, dans l'écriture comme dans la direction d'acteur, que Barry Jenkins démontre un talent formidable. C'est là aussi que Moonlight révèle un acteur fantastique : Trevante Rhodes, muscles d'ogre et visage d'enfant, qui aurait amplement mérité autant de louanges que Naomie Harris et Mahershala Ali, nommés aux Oscars. Bouleversant, il incarne à merveille toute la complexité du film.


EN BREF


Derrière l'étiquette moyennement noble (et parfois méritée) du mélo à Oscars, il y a donc un film plus farouche et fragile, qui résiste un peu au spectateur et brille, dans ses meilleurs moments, d'une lumière foudroyante.