23 janvier 2017

The Fits - Anna Rose Holmer


The Fits, premier long-métrage de l’Américaine Anna Rose Holmer, est un coup de maître. Un récit d’une maîtrise et d’une maturité surprenantes, qui nous plonge avec justesse dans le désarroi de la prime adolescence. 


Du ring au bling

Toni, petite fille de onze ans aux muscles dessinés par une pratique intensive de la boxe, évolue dans un environnement uniquement masculin. Considérée comme une sorte de mascotte asexuée par les boxeurs du club, elle exprime avec son corps tout ce qu’elle ne verbalise pas. Fascinée par les filles du cours de danse de la salle d’à côté, Toni se désintéresse peu à peu de la boxe et tente d’intégrer ce groupe d’adolescentes hautes en couleur. C’est alors que se déclenchent, parmi les danseuses du cours, de curieuses crises d’épilepsie…


Mystérieuses convulsions

Difficile de faire rentrer ce film dans une catégorie préconçue. The Fits, que l’on pourrait traduire par « Les spasmes », n’est pas du tout un film sur la boxe (fists signifiant les poings). Car, si le film s’ouvre sur un ring, il se déroule au rythme de la chorégraphie que tente d’apprendre Toni. Pourtant, The Fits, ce n’est pas non plus un film sur la danse. Car on se soucie finalement bien peu de savoir si les filles vont ou non remporter la compétition pour laquelle elles se préparent. Ce qui intéresse le spectateur, c’est de voir si Toni va ou non réussir à s’intégrer à ce groupe. Si elle va, elle aussi, être victime de ces mystérieuses convulsions.


Horreur adolescente

The Fits, c’est clair, ne ressemble à rien de connu. On peut penser à Take Shelter, de Jeff Nichols, pour la dérive progressive du naturalisme vers le surnaturel ; ou plus encore, à Chronicle, réalisé par Josh Trank, film ultra-réaliste sur une bande d’ados dotés de supers pouvoirs. Ici, l’étrangeté à la lisière du fantastique qui baigne le film n’est que le reflet du mystérieux changement qui habite Toni. Un mélange de peur et de fascination pour ce qu’elle ne connaît pas. The Fits, s’il fallait lui attribuer une thématique précise, est finalement un film sur le passage de l’enfance à l’adolescence, et sur le mélange de terreur et d’envie que cette mutation entraîne.

Finalement, The Fits, c’est une histoire très simple d’émancipation, transcendée par la grâce d’une mise en scène sur le fil, et par la justesse de ses interprètes non-professionnels. En tête, la formidable Royalty Hightower, à la hauteur de son glorieux patronyme, avec sa voix grave et son regard qui défie la caméra. On pourrait certes reprocher à ce film d’1h12 d’être un peu court, de ne pas donner à son fascinant sujet l’occasion de se déployer pleinement. Mais c’est paradoxalement cette retenue qui confère sa puissance au film et lui donne des allures d’allégorie. The Fits est la preuve en images qu’avec un budget restreint, on peut faire un grand film. 


EN BREF

Avec The Fits, on assiste à l’éclosion d’une réalisatrice, mais aussi d’une jeune actrice. Un coming to age film à plus d’un titre.

15 janvier 2017

Chrono-Critique : Fantastic Mr Fox - Wes Anderson


Wes Anderson est un poseur, un spécialiste du cinéma apprêté et artificiel, monté et mis en scène comme un petit théâtre de marionnettes. C'est donc sans surprise que Fantastic Mr. Fox s'affirme comme son meilleur film, l'auteur semble avoir trouvé là exactement le sujet et la technique qui lui convenaient. D'une beauté (certes orangée) à couper le souffle, l'œuvre est une petite sucrerie rythmée et ironique, définitivement charmante même si loin d'être parfaite. On retrouve ainsi les travers habituels d'Anderson, qui a toujours autant de mal à décrire des personnages attachants qui dépassent le cadre de l'ébauche. Cependant, ses efforts n'ont jamais autant porté leurs fruits et les quatre ou cinq principaux protagonistes se détachent sans mal d'une galerie de bestioles secondaires complètement bâclées malgré un casting vocal tout bonnement incroyable (de George Clooney à Willem Dafoe en passant par Meryl Streep et Bill Murray).


Anderson peut remercier Roald Dahl, qui lui fournit une charpente inébranlable. Fantastic Mr. Fox n'est jamais aussi bon que lorsqu'il s'abandonne totalement à la comptine, sur une sélection musicale comme toujours sublime (les Beach Boys par deux fois, par exemple, et une intervention exclusive de Jarvis Cocker, excusez du peu). Le problème essentiel du film tient peut-être en sa nature schizophrénique, qui le rend un peu trop distancié pour les mômes et trop léger pour les adultes. Il est par ailleurs très difficile de ne pas avoir en tête Wallace et Gromit et Chicken Run, dont Wes Anderson reprend des pans entiers, sans que l'on sache très bien s'il s'agit d'hommage ou de pompage sans vergogne.


Pourtant le plaisir, simple et futile, est bien présent. On passe un agréable moment et on admire la technique impeccable de l'œuvre. On sourit souvent, on note quelques très belles scènes (l'apparition d'un loup lointain en particulier) et on pardonne les longueurs (le film ne sait jamais quand finir). Devant ce bon petit divertissement, une chose est sûre : Wes Anderson doit continuer dans l'animation, il a trouvé sa voie !

10 janvier 2017

Evil Dead 2 - Sam Raimi


Rares sont les suites qui arrivent à exister en tant que film autonome- ne devant (presque) rien à l'original dont elles ne sont le plus souvent que la copie. Evil Dead 2 est de celles-la. Sam Raimi parvient à faire mieux qu'Evil Dead et offre au spectateur médusé un film hystérique, rageur, drôle, inventif, tordu…. Bref les qualificatifs viennent à manquer. Retour en arrière….

Sorti échaudé de leur première expérience Hollywoodienne ( Crime wave / Mort sur le grill 1985 ) le trio Raimi / Tapert / Campbell – rétrospectivement réalisateur / producteur / acteur - propose à Dino de Laurentiis un projet de suite à leur déjà mythique Evil Dead (1982).
Le budget en poche et la promesse d'une liberté presque totale, Raimi et sa troupe de fidèles partent se terrer dans un gymnase désaffecté au fin fond de la Caroline du nord et s'en vont, en quelques semaines de tournage, écrire une page de l'Histoire du cinéma (tout court). Presque 20 ans après il est encore difficile de se défaire du choc que représente la vision d'un tel film. Sam Raimi parvient à transcender le principe même de l'original…. si le scénario tient sur un cotillon, il laisse le champ libre à l'expérimentation que le jeune réalisateur avait commencé à développer dans la dernière demi-heure quasi-muette du premier Evil Dead.


Le fond et la forme se conjuguent pour offrir un spectacle unique, entre le tour de montagne russe et la « screwball comedy » des années 30. Pour ce faire, Sam Raimi et son scénariste Scott Spiegel, décident de pousser le concept éculé du premier film dans ses derniers retranchements. Un décor unique : que la caméra ne va cesser de nous faire découvrir sous de nouveaux angles vertigineux en déployant des miracles de technologie pour s'abstraire de la pesanteur : la cabane maudite prend des proportions gigantesques ; la caméra -adoptant le point de vue du Mal -n'a plus de limite et traverse les arbres, les murs, les corps…. laissant exsangues les protagonistes et le spectateur. Un protagoniste unique : Au groupe de jeunes écervelés, Sam Raimi substitue un personnage unique Ash/Bruce Campbell. Après avoir rejoué la « partition » du premier film en moins de 5 minutes qui voit sa compagne disparaître à coup de pelle, Ash est livré en pâture aux démons ; véritable punching ball humain, qui pendant une bonne partie du film, se débat seul contre les forces du mal, et accessoirement lui-même, en proie à des hallucinations inédites. Bruce Campbell se prête de bonne grâce au jeu de « chambouletout » organisé par Raimi et livre une performance halluciné à laquelle Jim Carrey n'a du rester insensible. Puis Sam Raimi a besoin de sang frais pour alimenter les rouages et introduit de nouveaux personnages, renouant avec une intrigue plus classique (la seule partie un peu faible du film).


Au gore qui a fait la renommée de son premier film, Sam Raimi décide de substituer l'outrance grand guignolesque.Le temps a passé et les sommets de gore du premier opus ont de la concurrence- Stuart Gordon et son Re Animator ont posé de nouvelles limites, sans parler des délires transalpins de Lucio Fulci et autre Ruggero Deodato. Là ou le premier film pouvait apparaître brutal et choquant (malgré son humour macabre, la scène de viol a du mal à passer) le réalisateur va plutôt puiser son inspiration dans le burlesque non sensique des « three stooges », Marx Brothers du pauvre, qui n'ont cessé de l'influencer depuis ses premiers courts-métrages.

Exit les viols champêtres, bienvenue aux énucléations, démembrements et autres tronçonnages lorgnant dangereusement vers l'absurde et le surréalisme : Ash poursuivant sa main possédé, se mettant à rire hystériquement, suivi à l’unisson par tout le mobilier de la cabane,… le sang tantôt rouge vif, vert ou noir envahit l'écran jusqu’à imprégner la pellicule ( une lampe recouverte de sang diffuse une lumière rouge…) l'équipe du film ne se souciant guère de réalisme ou d'une quelconque censure (foutu pour foutu – le film sera interdit de toute façon).


Sam Raimi nous convie à un grand huit sensoriel où la caméra s'attribue un rôle à part entière. Sans pour autant ressembler à La dame du Lac de Robert.Montgomery ( premier film tourné entièrement en caméra subjective en 1948 ), le statut que le réalisateur confère à sa caméra est singulier ; incarnation de l'esprit du mal qui rôde au sein de la forêt avant d'assaillir Ash, Raimi tarde à briser l'illusion, à donner un visage à sa caméra. Les jeux de miroir sont multiples et renvoient toujours une image distordue et « monstrueuse « du sujet, tous les personnages sont des monstres en devenir – il ne reste plus qu'à attendre le moment opportun pour passer du côté obscur. Il est clair que la sympathie de l'auteur du bien nommé Darkman (1988) va plutôt vers le double possédé de « Ash »

Le personnage incarné par Bruce Campbell gagne cette fois ses galons de super–héros de l'horreur : jeune adulte mal à l'aise dans le premier, il apparaît body buildé, la mâchoire serrée et n'hésite pas à se défaire de sa main possédé puis à la remplacer par une tronçonneuse, tout en brandissant un canon scié de l'autre (main) ; il finira par entrer malgré-lui dans les livres d'Histoire ( les pages du Nécronomicom le représentent comme le sauveur venu du ciel) dans une scène finale d'anthologie qui fait définitivement voler en éclat le cadre devenu trop étriqué du film d'horreur pour basculer en pleine heroic fantasy….


Bruce Campbell trouve en Ash le rôle le plus marquant de sa carrière et aura du mal à se défaire du personnage qui l'aura rendu « célèbre » : il ira même jusqu'à réaliser My name is Bruce où il joue son propre rôle : un acteur de série B que des habitants d'une petite ville confondent avec son personnage fétiche et forcent à se battre avec un vrai démon…. 

Certains mauvais esprits considèrent le cinéma de Sam Raimi comme une attraction foraine à laquelle on jette un coup d'œil agacé, où la camera bouge pour attirer le chaland et inspire plus la charité que le respect…. Le réalisateur revendique haut et fort son côté sale gosse et rend une copie griffonnée, couverte de taches de sang coagulées. Véritable film-manifeste malgré-lui, Evil Dead 2 installe haut et fort le talent de son jeune metteur en scène au panthéon des réalisateurs cultes ( la séquence de High Fidelity de S.Frears où Jack Black et John Cusack dissertent sur Evil Dead 2 en dit long sur le chemin parcouru en 10 ans par le film via une large diffusion vidéo).


EN BREF

Dernier coup de génie de Sam Raimi qui s'en retournera tenter sa chance dans le système des grands studios avec plus ou moins de réussite( Darkman, Army of darkness la suite tant attendue de Evil dead mais aussi Pour l'amour du Jeu ou Intuitions ), adoptant un style plus « neutre » - signe de maturité ? avant de parvenir au grand exercice de funambule que sont les Spiderman où il parviendra miraculeusement à satisfaire les fans de la première heure ainsi qu'un public plus large.

03 janvier 2017

Les Dents de la Mer - Steven Spielberg


TOURNER SUR L'EAU...

Œuvre séminale s’il en est, Les Dents de la mer est à la fois une œuvre décisive dans la carrière de Steven Spielberg, un repère historique pour l’industrie cinématographique mais en plus et surtout, un grand film de cinéma tout court.

En 1975, Spielberg est porté par le petit succès de Sugarland Express et se met à adapter le roman Les Dents de la mer pour son deuxième film. Bien mal lui en a pris. Sous-estimant la difficulté du projet, Steven Spielberg et Universal s'engagent dans un tournage si chaotique qu'il a bien failli tourner à la catastrophe industrielle et enterrer la carrière de Spielby. Il aura bien fallu le talent incommensurable d’un petit génie pour raconter des histoires passionnantes (et en l’occurrence terrifiante) pour rattraper le coup, emballer un chef d'oeuvre du septième art et convaincre massivement le public.


... FAUSSE BONNE IDÉE

D’abord, la production précipite la date de tournage afin d’éviter une grève des scénaristes. Le tournage commence ainsi le 2 mai alors que le script est fini en catastrophe notamment grâce à John Milius. Ensuite, le tournage en-lui-même s’avère beaucoup plus compliqué que prévu, et le tournage qui devait prendre un peu moins de deux mois prend finalement 159 jours. Le budget initial de 2 millions de dollars est rallongé jusqu’à atteindre 9 millions.

À cela s’ajoute la mauvaise préparation des trois faux requins qui dysfonctionnent, des acteurs et une équipe en proie au mal de mer, brûlés par le soleil et éreintés par des journées de travail atteignant souvent 12h. Il faut en plus ajouter à cela l’alcoolisme effréné de Robert Shaw, des caméras noyées, le mauvais temps et quelques accidents, qui ont notamment failli tuer Richard Dreyfuss, couler le bateau du film ou enfin décapiter un scénariste.

Bref, il y aurait un film à faire sur le tournage en lui-même, mais l’histoire se retournera, malgré tout, de façon brillante : Les Dents de la mer sera un carton monumental, que ce soit pour l’époque ou même par rapport aux standards actuels : 260 millions de dollars amassés aux US, 470 dans le monde entier, soit plus de 2 milliards de dollars actuels.


LA PEUR, TOUT SIMPLEMENT

Pour ce qui est du film en lui-même c'est bien simple, c'est un chef d'oeuvre artistique à tout point de vue. Alliant l'efficacité et l'élégance de la mise en scène "invisible" typiquement Spielbergienne à un récit simple et épuré, Les Dents de la mer est une oeuvre bien plus riche qu'il n'y paraît, qui a donné lieu à plusieurs dizaines de lectures différents : tandis que certains y voient une fable politique post-watergate, d'autres en font une métaphore métaphysique. Quand certains y voient une manière détournée de parler de la sexualité, de la famille et du puritanisme, d'autres y voient un téléscopage de Moby Dick et du Vieil Homme et la mer.

Pour notre part on se contentera humblement de dire que Les Dents de la mer est un film qui n'a pas pris une ride. Sa polysémie fait certes sa richesse, mais ce qui le rend vraiment fascinant, c'est le sentiment de terreur qu'il provoque. Un sentiment toujours aussi particulier, rare et intact, car il met brillamment en scène la confrontation entre l'homme et les abysses. Si ces dernières ont été interprétées de tant de manières différentes, c'est peut être que ce sont autant de prétextes rationnalisants et rassurants pour voiler ce qu'est en réalité le requin dans son essence, indicible et inexplicable : tout simplement la peur elle même.