26 janvier 2018

Veronica - Paco Plaza


Depuis [REC]3 Genesis, on était presque sans nouvelle de Paco Plaza, l’un des deux papas avec Jaume Balaguero d’une des plus belles propositions de found footage de ce début de XXIème siècle. C’est pourquoi on attendait beaucoup de ce Veronica, relecture d’un fait divers espagnol teinté de surnaturel.

LE NOUVEL EXORCISME

A l’heure du triomphe des Insidious et autres Conjuring, tandis que le sous-genre du film de possession paraît toujours encroûté dans le schéma parfaitement établi par William Friedkin, c’est avec un peu d’appréhension que l’on voit débarquer une production qui sur le papier lorgne dans les directions précitées. Mais le cinéma ibérique a plus d’un tour dans son sac et Paco Plaza mieux à faire que de recycler vainement des recettes éculées.

Un effet approuvé par l'Union d'Hygiène Buco-dentaire Espagnole

Ainsi, le cinéaste ne cherche pas à dupliquer mécaniquement les recettes horrifiques popularisées depuis une décennie par James Wan, et utilisées ad nauseam par ses clones, de Annabelle en passant par Dans Le Noir. Son Veronica s’attache tout d’abord à ses personnages, à traduire cinématographiquement leur isolement et leurs interactions avec un univers madrilène anxiogène. Dès lors, libéré de l’iconographie à la mode, il peut se jouer de l’imagerie bigote du genre, s’en décaler sans la renier.

Le film compose ainsi une angoisse qui repose aussi bien sur la géographie, des jeux vicieux dans l’espace, ou de purs concepts ludiques (une chute d’objets éminemment éprouvante). Ce pas de deux esthétique s’accompagne d’une volonté évidente de tracer un sillon propre dans le genre, notamment au cours du troisième acte du métrage, qui prend régulièrement des directions inattendues. Imprévisible et esthétiquement roboratif, Veronica devient ainsi particulièrement inconfortable, et donc puissamment immersif.

"Bonjour, c'est bien ici l'exorcisme ?"

CONJURIDIOUS

Plutôt que de s’appuyer sur l’héritage pas toujours glorieux des films de possession et de leurs innombrables conjurations au lexique latin articulé mollement par des comédiens interchangeables, Paco Plaza préfère miser à fond sur ses personnages et son casting. D’où une synergie appréciable, qui permet à chacun d’échapper régulièrement aux stéréotypes afférant à son rôle.

Paco Plaza aime filmer du sang, c'est comme ça.

Mais c’est surtout Sandra Escacena qui retient ici l’attention. La toute jeune actrice crève littéralement l’écran. Aussi à l’aise dans les séquences intimistes, que tour à tour terrifiée et terrifiante dans les scènes plus baroques, Elle est un moteur de la peur d’une remarquable efficacité. Capable d’alterner entre jeu naturaliste et fulgurances oppressantes, elle est la révélation du film, à la fois source d’angoisse et d’empathie.

Maître de ses effets et presque toujours capable de transcender les limites d’un budget qu’on devine modeste, Paco Plaza dresse le portrait terrible et passionnant d’une Espagne coincée entre son passé névrotique et un avenir fragmenté, dont les structures historiques se délitent (voir la famille nucléaire atomisée qui sert d’écrin au récit). Soit un film d’exorcisme méticuleux dans sa construction, et totalement imprévisible dans la modernité qu’il injecte à un genre souvent trop balisé. 

"Le pouvoir des Trois" made in Spain.

EN BREF

Il fallait bien l’un des créateurs de la saga [REC] pour réveiller le cinéma d’exorcisme et nous sortir des automatismes neurasthéniques de ce genre balisé !

18 janvier 2018

Chrono-Critique : Three Billboards - Martin McDonagh


Il y a de la précision d’orfèvre dans le travail d’équilibriste que nous livre à chaque film, Martin McDonagh. Même si 7 Psychopathes se perdait au final dans trop d’absurdités, le film ainsi que Bon baisers de Bruges offraient malices scénaristiques et dialogues caustiques tout en mélangeant avec un certain brio et, surtout, sans complexe, les genres. Cette patte propre au réalisateur, Three Billboards la porte complètement et, qui plus est, elle magnifie un film sur un sujet grave rarement traité de cette façon.


Mildred Hayes est crainte par l’ensemble de la ville où elle habite. Il faut dire qu'elle n'a pas sa langue dans sa poche et lance facilement des vacheries quand on la provoque un peu. Cette mère de famille a également perdu sa fille dans d’horribles circonstances, son corps ayant été retrouvé carbonisé. Pour rajouter au sordide, l’autopsie a révélé qu’elle s’était faite violée avant et après son meurtre. Malgré de nombreux prélèvements ADN, rien ne correspond et l’enquête est au point mort. Exténuée, Mildred, campée par une impériale et féroce Frances McDormand (rappelant ses meilleurs rôles dans les films des frères Coen), choisit une solution radicale : provoquer le shérif avec un message cinglant partagé sur trois énormes panneaux publicitaires aux abords de la ville. Cette attaque ne manque pas de faire vivement réagir la petite communauté d’Ebbing qui a beaucoup de respect pour l'homme de loi, en proie à un cancer tenace. 


Rien de joyeux dans cette exposition. Pourtant, le réalisateur irlandais compose une délicieuse partition entre drame et comédie taclant des sujets aussi divers que la vengeance, les préjugés, le racisme des flics, la classe ouvrière américaine, l’opportunisme des médias autour du sensationnel... Il est impressionnant de remarquer avec quelle efficacité McDonagh balance nos émotions à travers un spectre vraiment large. Il n’est pas rare de s’esclaffer pour ensuite tirer une larme (ou vice versa) tant les rythmes de cette « dramédie » s’enchaînent avec virtuosité. C’est un véritable numéro d’équilibriste auquel s’adonne le réalisateur et ses acteurs sont tous plus excellents les uns que les autres. 


L’intensité est constante, portée par des performances sans faille venant appuyer un solide scénario primé lors du 74e festival de Venise. Sam Rockwell est parfait en policier demeuré et raciste, Woody Harrelson touchant en shérif de bonne volonté mais coincé par manque de preuve, Caleb Landry Jones et Peter Dinklage sont tour à tout attendrissants et hilarants. Que ce soit pour leur personnalité ou leurs dialogues, l’écriture des personnages est ciselée et aucun d'entre eux n’est laissé pour compte. Même les rôles les plus secondaires comme Jérôme le colleur d’affiche (Darrell Britt-Gibson) ou Penelope (Samara Weaving) la nouvelle femme écervelée de l’ex-mari de Mildred, brillent grâce à de fabuleux dialogues faisant mouche à tous les coups. En clair, nous avons affaire-là à un grand film qui sera pour sûr un sérieux candidat dans la course aux Oscars !

10 janvier 2018

Black Mirror : la saison 4 est-elle à la hauteur des attentes ?


Bilan de la saison 4 de Black Mirror.

C'est désormais la série sur toutes les lèvres, montée sur le devant de la scène ces dernières années jusqu'à devenir un rendez-vous incontournable bien au-delà des consommateurs de séries : Black Mirror, anthologie de science-fiction de Charlie Brooker, diffusée sur Netflix.

Après une troisième saison qui a offert quelques très bons morceaux, la saison 4 est arrivée le 29 décembre avec six nouveaux épisodes, portés par quelques acteurs et réalisateurs très connus, de Jodie Foster à John Hillcoat en passant par Andrea Riseborough et Jesse Plemons.

Retour sur cette quatrième saison tant attendue.

ATTENTION SPOILERS

USS CALLISTER

Au bureau, Robert Daly est un homme effacé et introverti, créateur d'un jeu de réalité virtuelle à succès, Infinity. Le soir, il s'évade dans une version spéciale de sa propre création, où il est le capitaine d'un vaisseau lancé dans de palpitantes aventures spatiales. Mais la réalité derrière cette parenthèse enchantée est bien sombre...

L'épisode-hommage à Star Trek était l'un des plus attendus, notamment parce qu'il semblait briser les codes visuels relativement sobres de l'anthologie. Et avec ses décors que n'auraient pas renié Gene Roddenberry (la salle de contrôle du vaisseau avec quelques aliens colorés, la planète désertique avec sa mare ou sa créature), l'épisode de Toby Haynes (réalisateur passé par Sherlock ou encore Doctor Who) est certainement un plaisir pour les yeux.

Largement vendu sur son aspect aventure spatiale, USS Callister est bien évidemment placé dans une réalité beaucoup plus proche : celle des jeux vidéo et réalités virtuelles, à la manière de Playtest dans la saison 3. Avec le message habituel sur les dangers et dérives d'une telle technologie, illustrés par un personnage d'homme a priori bien sous tous rapports (Jesse Plemons, tête et corps de l'emploi), qui exprime sa cruauté et ses tendances sadiques dans un univers qu'il s'est créé. L'idée de créer des clones virtuels doués de conscience, qu'il enferme dans le vaisseau de son petit monde virtuel où il est un dieu, est particulièrement forte, et en phase avec l'époque. Et le casting porté par Cristin Milioti, Jimmi Simpson ou encore Michaela Coel (que le fan de Black Mirror reconnaîtra : elle était l'hôtesse de l'aéroport dans l'épisode Nosedive la saison passée) est excellent.

Jesse Plemons, le faux-gentil 

Mais USS Callister est moyennement satisfaisant pour plusieurs raisons. D'abord, il est trop long pour son propre bien, avec 1h16 au compteur. D'où un rythme très mou, et une efficacité narrative très relative qui étire l'introduction avant de plonger véritablement dans le vif du sujet après une vingtaine de minutes.

La tonalité de l'épisode, parfois résolument légère, puis très premier degré, puis tournée vers le spectaculaire, peine à créer une harmonie. Ce n'est pas aussi drôle et touchant qu'un Nosedive, un autre épisode humoristique, ni véritablement excitant comme un épisode de Star Trek, si bien qu'USS Callister semble hésiter et flotter entre différentes envies et directions.

Dans la même idée, l'écriture des personnages manque de finesse, avec par exemple un Daly très méchant et cruel, et une Cole très gentille et intelligente, tandis que les autres rôles restent bien peu développés. C'est d'autant plus dommage que le scénario pose un regard pas inintéressant sur Star Trek et l'univers des fans en général, interrogeant à la fois le sexisme et la violence virtuelle. Il est à ranger aux côtés de Galaxy Quest dans ses moments les plus amusants, et a suffisamment d’ambiguïté (notamment sur la sexualité) pour dresser un portrait parfois très malin de ce héros affreux aux airs de bon gars, qui symbolise pour beaucoup toutes ces bruyantes voix omniprésentes sur le web.

Visuellement stimulant et extraordinaire dans l'univers Black Mirror, avec en arrière-plan des idées parfois passionnantes, USS Callister tourne finalement à la déception. Il lui manque l'ambition, l'inventivité et un grain de folie pour être à la hauteur de ses idées, en plus d'une réflexion plus poussée sur un sujet désormais très usé.


ARKANGEL

Grâce à la technologie Arkangel, une mère angoissée a la capacité de surveiller en permanence sa fille, voir à travers ses yeux, et même bloquer toute image violente pour la protéger du monde. Au fil des années et alors que sa fille grandit, Arkangel prend une place de plus en plus problématique...

C'était l'un des plus attendus, avec Jodie Foster derrière la caméra et Rosemarie DeWitt en premier rôle, et donc sans surprise l'un de ceux qui a le plus déçu. Arkangel a pourtant sur le papier tout d'un épisode idéal de Black Mirror : une exploration du rôle maternel à l'aune de nouvelles technologies à peine incroyables, qui permettent d'en étendre le pouvoir et donc, les dérives. Avec l'inévitable question des limites de l'amour, et des bonnes intentions qui peuvent mener à l'horreur.

Alors que notre réalité offre la possibilité de suivre les enfants via des balises GPS dans les sacs à dos, l'idée d'une puce qui permet de voir à travers les yeux du bambin tant aimé, tout en y posant un filtre pour bloquer la violence, est aussi terrifiante que géniale d'un point de vue dramatique. L'approche de l'épisode est d'ailleurs intéressante puisqu'il survole la relation entre la mère et sa fille de son enfance à son adolescence, filmant les conséquences de cette technologie qui efface les frontières de l'intimité.

Rosemarie Dewitt

Mais Arkangel avance trop sur des rails pour être à la hauteur du concept et surtout des attentes d'un public qui a désormais adopté Black Mirror et intégré ses mécanismes. L'écriture est bien trop sage, avec une utilisation très attendue de l'outil technologique pour mettre en péril la relation entre les deux femmes. Le rapport à la violence notamment se révèle bien peu adressé, alors même qu'il semblait central et passionnant dans l'apprentissage de la vie par un enfant qu'on aurait essayé de placer derrière un mur protecteur virtuel.

A l'image de ce scénario, la mise en scène de Jodie Foster manque d'envergure. Elle est soignée, et témoigne d'un intérêt évident pour le sujet (Charlie Brooker parle notamment du passé d'enfant star de l'actrice oscarisée pour l'idée de grandir sous surveillance), mais peine à décoller et offrir quelque chose de réellement satisfaisant à l'image. Hormis l'idée très amusante des images floutées, la direction artistique manque elle aussi d'imagination. Que la fin voit la fille s'embarquer précisément dans une situation dangereuse, à cause du désir de protection trop fort de la mère, illustre bien les limites de l'épisode, trop simple pour véritablement briller.

Un Arkangel bien trop gentillet et attendu donc, qui se contente de dérouler une petite histoire très classique à partir d'un bon concept qui aurait nécessité un regard plus incisif.


CROCODILE

Mia, une architecte, pourra-t-elle taire son terrible secret quand Shazia, enquêtrice d'assurance, sonne à sa porte, glanant les récents souvenirs d'un accident voisin ?

John Hillcoat est un très bon faiseur d'ambiance. Le réalisateur l'a prouvé dans The Proposition, un western se déroulant dans l'arrière pays australien mais surtout avec l'adaptation du roman post-apocalyptique de Cormac McCarthy : La Route. Cependant bien au-delà de ses talents de metteur en scène, le cinéaste australien sait aussi parfaitement questionner le spectateur dans ses récits : que ce soit sur les tensions sociales dans The Proposition, la foi et l'être humain dans La Route, ou encore le mythe américain dans Des hommes sans loi.

Avec Black Mirror, John Hillcoat avait donc matière à nous faire réfléchir profondément sur la technologie tout en nous offrant un épisode ambitieux à tous les niveaux : ambiance, scénario et mise en scène. Malheureusement, avec Crocodile, il rate le coche et développe peu ou prou les défauts regrettables de la série.

Andrea Risebourough parfaite

Techniquement parlant, on ne peut pas reprocher grand chose à l'épisode. John Hillcoat confirme qu'il sait toujours instaurer une ambiance angoissante. Dès les premières minutes avec cet accident glacial puis au fil de son intrigue au montage alterné où l'on suit l'enquête d'une jeune détective d'un côté, et les déboires meurtriers d'une architecte de l'autre. Au fur et à mesure de son avancée, le récit va se transformer d'un simple polar à un thriller sanglant et violent assez jouissif par moment mais qui se révèle profondément vain.

Crocodile, s'il est en soit un thriller amusant à suivre, déçoit au sein de Black Mirror par son manque évident de technologie. A l'exception de cette machine qui permet de voir les souvenirs de potentiels témoins d'incidents et le camion-livreur automatisé de pizza,l'épisode ne présentera rien d'innovant technologiquement parlant. De plus, dès l'instant où le personnage d'Andrea Riseborough (parfaite) tue celui de l'enquêtrice (excellente Kiran Sonia Sawar), la technologie disparaît totalement du récit et ne devient qu'un prétexte aux actes atroces commis par Mia transformant ainsi l'épisode en simple thriller banal.

Enfin, à l'image d'un trop grand nombre d'épisodes de la série, Crocodile est d'une immense cruauté envers ses personnages. De Mia, dont le passé tourmenté qu'elle a subi s'acharne sur elle, à la famille de l'enquêtrice tout bêtement sacrifiée pour le spectacle, chacun voit son destin scellé dans la douleur. Une cruauté qui empêche cependant toute forme d'empathie tant le personnage de Riseborough est sous-développé et ses actions inexorables. Crocodile aurait pu être jouissif dans une anthologie de thriller ordinaire mais se révèle terriblement décevant au sein de l'anthologie de Charlie Brooker.


HANG THE DJ

Selon ce système de rencontres, toute relation a une date de fabrication et d'expiration. Mais Frank et Amy remettent vite en question cette logique stérile...

Le monde réel a inventé Tinder, la fiction a inventé le Tinder à échéance programmée. Hang the DJ est sans doute le meilleur épisode de cette saison 4. Il doit beaucoup à son réalisateur Tim Von Patten. L'américain a démontré son talent de metteur en scène dans de multiples séries dramatiques comme Boardwalk Empire, Les Sopranos, The Pacific ou encore Deadwood. Mais pour une fois, sa mise en scène efficace et adroite s'adonne au romantisme. Ici chacun de ses cadres sont pensés pour envoûter le spectateur dans cette aventure à la fois tyrannique et poétique.

Car si Hang the DJ peut s'appuyer sur la mise en scène précise de Tim Van Patten, il reste avant tout un des plus bels épisodes de l'anthologie dystopique grâce à la perfection de sa narration, son concept original et son magnifique duo d'acteur (incroyables Joe Cole et Georgina Campbell). Charlie Brooker touche au plus profond de chaque spectateur en parlant d'amour, de recherche de soi mais surtout de la peur de la solitude. Avec un scénario où le monde et le système empêche d'être célibataire, l'histoire de Hang the DJ n'est pas sans rappeler le conte dystopique de Yorgos Lanthimos : The Lobster. Pire, là où l'oeuvre grecque laissait le choix à ses personnages de trouver leur âme soeur seuls, ici c'est le système qui forme lui-même les couples et décide qui est fait pour qui... à moins que.

Georgina Campbell et Joe Cole, sublime couple et superbes acteurs

Malgré son système tyrannique, l'épisode est finalement une ode anarchique à l'amour et toutes les règles qui sont présentées se révèlent être des apparences. Ici, c'est justement la rébellion devant l'ordre et le choix personnel qui sont en fait les clés pour trouver son âme soeur. A travers cet épisode, Charlie Brooker nous prouve à quel point nous sommes dépendants de la technologie mais surtout à quel point cette dépendance est factice. 

Il est clair que pour lui, ce n'est pas à la technologie de guider nos actions mais bien à nos propres sentiments, nos propres pulsions ou nos propres intuitions de mener nos vies. D'où cette ultime séquence fantasmée (ou plutôt virtuelle) de fugue, où le véritable amour entre deux êtres n'a pas besoin d'autorisation à l'image du final du Lauréat de Mike Nichols d'ailleurs. 

Certes le twist final enlève un peu la magie du récit. Terminer l'épisode sur cette sublime évasion extrêmement romantique, où tout s'arrête de vivre à l'exception des deux amoureux, aurait rendu Hang the DJ des plus poétiques et des plus féériques. Cependant grâce à cette dernière et unique séquence dans la réalité, Black Mirror nous met face à nos propres démons : les applications de rencontres. Celles qui essayent d'organiser nos amours, nos sexualités et par conséquent nos vies. La série nous rappelle ainsi que la magie n'est pas si loin. Le seul moyen de la vivre vraiment ne dépend que d'une chose : laisser la technologie de côté et laisser parler son coeur. Ne dit-on pas qu'il a des raisons que la raison ne connait point ?


METALHEAD

Dans un futur post-apocalyptique, une femme se retrouve poursuivie par un impitoyable robot tueur à l'apparence canine.

Metalhead occupe une place particulière : cet épisode plus court que tous les autres est en noir et blanc, et délaisse les habituels petits twists et réflexions cruelles sur la société (la fin originale voyait le chien contrôlé à distance par une autre personne chez elle), pour emballer un petit survival classique et carré. D'où une modeste impression de fraîcheur pour le cauchemar réalisé par David Slade, derrière des films comme 30 jours de nuit, Hard Candy et Twilight 3

Ce que l'épisode perd en profondeur thématique, en pertinence par rapport aux réflexions habituelles de Black Mirror, il le gagne en efficacité, en clarté. À la manière de White Bear, de la deuxième saison, Metalhead prend la forme d'un petit cauchemar nerveux à la Terminator, où le monde est devenu le terrible théâtre d'une chasse à l'homme. Mais contrairement à celui-ci, il économise dialogues et ficelles scénaristiques (pas de twist) pour revenir à une trame simple, nette et brutale.

Maxine Peake dans Metalhead

Hormis une ultime image qui pourra servir de chute plus symbolique qu'autre chose, Metalhead ne s'intéresse à rien d'autre qu'aux dernières heures de Bella (excellente Maxine Peake). Ce refus de contextualiser, de livrer des détails sur le pourquoi de ce chaos, l'origine de ces bestioles métalliques ou les survivants, offre à l'épisode une atmosphère plus sèche, proche d'une bonne série B. Le choix malin du noir et blanc permet de contrebalancer la trame très ordinaire, tandis que la mise en scène de David Slade assure le service, avec suffisamment de péripéties, de pauses, d'étapes et de sang pour garantir une quarantaine de minutes très amusantes.

Ces choix permettent ainsi à Metalhead de représenter une petite bulle d'air frais dans le programme de plus en plus prévisible de Black Mirror, qui a habitué le spectateur à chasser les indices pour deviner les twists et les détails. S'il pourra étonner et décevoir par son absence de réflexion sociétale et autres gadgets devenus une quasi-obligation dans la série, il n'en demeure pas moins un petit morceau fort sympathique.


Bonus Track : pour vous donner une petite idée du pouvoir de prédiction technologique de cette série, la firme américaine Boston Dynamics développe actuellement SpotMini, un prototype de robot à quatre pattes, proche dans son look de celui imaginé par Charlie Brooker et ses équipes. La société de robotique vient de mettre en ligne une vidéo destinée à tester la robustesse de sa création. Et elle est plutôt concluante : on y voit un homme tenter de stopper le robot avec un bâton de hockey. L’intelligence artificielle est repoussée, puis se remet en quête de sa mission première : ouvrir la porte. Ce qu’elle finit par faire. ce test montre que le robot, malgré un élément perturbateur, peut ajuster son comportement pour atteindre son but. Flippant...




BLACK MUSEUM

Sur un tronçon d'autoroute vétuste, une touriste tombe sur un musée vantant des artéfacts criminels rares. Mais le clou de l'exposition lui réserve une surprise de choc...

Même si Black Mirror est une anthologie et que sur le papier tous les épisodes sont indépendants, leur ordre au sein de chaque saison est loin d'être anodin. D'autant plus dans cette quatrième saison avec Black Museum. Réalisé par Colm McCarthy, derrière The Last Girl et la saison 2 de Peaky Blinders entre autres, ce sixième épisode à une importance particulière au sein de cette dernière saison.

Si dès ses premières minutes, Black Museum frappe par son ambiance aride, silencieuse mais profondément lumineuse aux abords de cette station-service paumée dans ce désert, il va vite rappeler le sombre et hivernal Blanc comme neige porté par Jon Hamm, Rafe Spall et Oona Chaplin. Souvent considéré comme l'un des meilleurs segments de la série, ce nouvel épisode s'attaque a du très lourd en reprenant la même construction. Lors de sa première partie, consacré à ce médecin accro à la douleur, Black Museum intrigue profondément grâce à une histoire fascinante. Cependant le schéma narratif de l'épisode va se calquer de manière trop frontale sur son modèle.

La construction trop similaire ne devient alors qu'un artifice un peu grossier pour raconter un récit faussement complexe et assez prévisible. La mécanique de Black Mirror n'est plus inconnue et le dernier acte de cet épisode tombe une nouvelle fois dans la facilité en reprenant un des codes trop souvent usés par la série : un twist final rocambolesque.

Douglas Hodge et Letitia Wright

Reste cependant une double lecture intéressante apporté par Black Museum puisqu'une grande partie des inventions meurtrières de Black Mirror (ou leurs conséquences directes) sont citées : la scanner d'ADN de USS Callister, la baignoire ensanglantée de Crocodile, les abeilles de Haine Virtuelle, la tablette d'Arkangel, le pendu de L'Hymne national. Le centre San Junipero, au coeur d'un des épisodes les plus appréciés de la saison 3, est également mentionné durant l'épisode par le propriétaire des lieux. Le moyen de prouver que chaque épisode est finalement, plus ou moins lié au même univers et que l'anthologie est plus resserrée qu'on le pensait. Mais pas que ?

En brûlant le Black Museum dans son plan final grâce a son héroïne d'un jour, Charlie Brooker qui ne laisse rien au hasard avec son écriture souvent irréprochable, pourrait bien nous faire un signe sur l'avenir de sa série en détruisant les représentations technologiques cauchemardesques du show, Comme s'il tirait un trait sur ces technologies cruelles pour ne laisser place, dans une éventuelle saison 5, qu'à des inventions utiles au bonheur, au bien-être, au profit... des hommes et de l'humanité. Laisser place à des intrigues plus légères, plus drôles et moins moralisatrices à une époque où le monde semble en manque d'amour. L'avenir nous le dira...


Avec sa quatrième saison, Black Mirror déçoit plus qu'elle n'enchante. A l'exception d'un superbe épisode romantique en milieu de saison avec Hang the DJ, la série de Charlie Brooker montre une nouvelle fois ses limites, déjà perceptibles en partie dans la saison 3. Cette nouvelle saison manque profondément d'imagination à propos des nouvelles technologies, ce qui fait normalement l'âme du show : la tablette d'Arkangel rappelle la puce de Retour sur image, Crocodile développe très peu l'aspect technologique et Metalhead instaure des chiens mécaniques assez banals. De plus, la mécanique des épisodes est maintenant trop prévisible avec ses twists, la cruauté mais également le côté moralisateur, ainsi qu'une diabolisation de la technologie, d'où se dégage une vision trop manichéenne.

Reste cependant quelques très belles réflexions sur la maternité, la famille, l'amour ou nos dépendances fabriquées et une réalisation au mieux virtuose, au pire maîtrisée.

02 janvier 2018

Le jour où la Terre s'arrêta - Robert Wise


C'est l'une des images les plus emblématiques de la science-fiction : l'extraterrestre Klatuu et le robot Gort du Jour où la Terre s'arrêta de Robert Wise, classique de 1951 (sortie en 1952 en France) qui a marqué le genre et les esprits, et notamment donné lieu à un remake hautement dispensable avec Keanu Reeves en 2008.

Pour la ressortie cette semaine en version restaurée de l'adaptation de la nouvelle Farewell to the Master de Harry Bates, petit retour sur un film culte à (re)voir.


LE JOUR OÙ LA TERRE SE RÉVEILLA

Lorsqu'un vaisseau spatial se pose à Washington en juillet 1951, la Terre s'arrête de tourner une première fois. L'armée est déployée pour affronter cette éventuelle menace venue d'ailleurs, même lorsqu'un être à forme humaine, Klaatu, se présente et déclare venir en paix. Le tir accidentel d'un soldat nerveux déclenche l'arrivée de Gort, un robot qui neutralise armes et tank grâce à un rayon laser.

La Terre s'arrête de tourner de manière plus littérale quand Klaatu décide de couper l'électricité de toute la planète, afin de prouver son identité et ses pouvoirs. L'alien est venu visiter l'Homme pour une seule raison : le mettre en garde. Face à leur armement nucléaire et autres technologies, plusieurs peuples extraterrestres s'inquiètent et tenaient à avertir la Terre que la paix n'était plus un choix, mais une obligation. En cas d'irresponsabilité et de risque pour d'autres civilisations, l'humanité sera anéantie.


L'ÉNIÈME TENTATION DU CHRIST

Bien au-delà de ses effets désormais très vieillots, Le Jour où la Terre s'arrêta a traversé les époques grâce à ses différents niveaux de lecture. Comme de nombreux autres classiques de la science-fiction, il est né du trouble provoqué par la Guerre froide, période floue et paranoïaque où le spectre d'une attaque nucléaire plane sur les consciences, et où l'Autre, celui qui vient d'ailleurs malgré une apparence normale, est susceptible d'être une terrible menace.

C'est d'ailleurs là l'impulsion première du producteur Julian Blaunstein, qui a cherché parmi quelques centaines de nouvelles de science-fiction le matériau susceptible d'offrir la bonne histoire. Ironie du sort : la chasse aux sorcières qui a notamment touché Hollywood, pour traquer les personnes soupçonnées de communisme, a failli coûter sa place à Sam Jaffe, interprète du professeur Barnhardt dans le film. Le célèbre Darryl F. Zanuck le gardera, mais l'acteur traversera malgré ça une période difficile dans les années 50.


L'autre lecture inévitable est religieuse. Un prophète venu vendre la paix et l'amour, qui prend le nom de John Carpenter (JC donc, en plus de "carpenter" qui signifie charpentier), tué et ressuscité : difficile de ne pas y voir un parallèle. Ce que le scénariste Edmund North a confirmé, expliquant qu'il avait voulu glisser des éléments en pensant qu'ils seraient suffisamment discrets pour ne pas attirer l'attention. Le comité de censure de l'époque à néanmoins souhaité atténuer la chose, et obligé Robert Wise et Edmund North à ajouter une ligne de dialogue lors de la résurrection de Klaatu, pour préciser qu'elle était temporaire et exceptionnelle.

"KLAATU BARADA NIKTO"

Le Jour où la Terre s'arrêta a rencontré un certain succès à sa sortie. Avec un budget d'à peine un million de dollars (moins de dix millions avec l'inflation en 2017), il a attiré plus d'un million de spectateurs en France, et engrangé près de 4 millions dans le monde.


Mais le film de Robert Wise avec Michael Rennie et Patricia Neal a surtout marqué des générations entières de cinéphiles et cinéastes. Joe Dante notamment clame son immense admiration pour ce classique : "Peu de films de science-fiction des années 1950 sont aussi érudits, intelligents et soignés. Ce film est unique." Le grand écrivain Arthur C. Clarke le classait comme le septième plus grand film de science-fiction, juste avant 2001 : L'Odyssée de l'espace. Klaatu et Gort résonnent depuis des décennies dans la science-fiction et les films de genre : Star Wars, Battlestar Galactica, X-Men, Tron, Evil Dead 3 - L'Armée des ténèbres et quantité de jeux vidéo ont placé des hommages plus ou moins évidents au film, et notamment au fameux "Klaatu Barada Nikto" final.

Malgré une tonalité et un discours qui peuvent a priori sembler plats, le film est plus complexe, et pose de lourdes questions sur les limites de la liberté et de la peur comme instrument de la paix. La question de l'équilibre de la terreur est centrale, et reste tristement d'actualité plus d'un demi-siècle plus tard. 


La musique inoubliable de Bernard Herrmann et la lumière chiadée de Leo Tover permettent eux aussi au film de traverser les époques, et de conserver une force certaine. Foncez donc, pour les plus chanceux Parisiens : Le Jour où la Terre s'arrêta ressort dans une version restaurée ce 3 janvier.